Au Brésil, l’interdiction de l’usage de l’amiante fait toujours débat

Au Brésil, l'interdiction de l'usage de l'amiante fait toujours débat

Les membres de l’association des « Exposés à l’amiante » lors d’un évènement de sensibilisation du public dans les rues d’Osasco, le 27 avril 2017. Au Brésil, 2400 décès ont été recensés entre 2000 et 2011 à cause de l’amiante, selon le ministère de la Santé.

(Mathilde Dorcadie)

Troisième producteur mondial d’amiante, grand exportateur et consommateur, le Brésil n’a toujours pas interdit totalement l’utilisation de cette fibre isolante autrefois considérée comme « miraculeuse » mais qui est désormais reconnue comme cancérigène par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Pour les familles de victimes et les spécialistes de la santé des travailleurs, l’hésitation des législateurs n’a que trop duré.

À 76 ans, Mauricio Mendes espère encore voir sa maladie pulmonaire reconnue et indemnisée, après un combat de deux décennies. La justice a exigé que son ancien employeur, l’entreprise Eternit, lui verse une indemnisation de 250.000 R$ (80.000 USD). Mais l’ancien technicien de laboratoire, qui a travaillé 14 ans dans l’usine Eternit d’Osasco, située dans la banlieue de São Paulo, pourrait ne jamais voir la couleur de cet argent. Le géant de l’amiante-ciment a demandé un nouveau recours.

« J’ai été diagnostiqué en 1998, presque 20 ans après être sorti de l’entreprise. Le processus judiciaire ensuite est extrêmement long. Il faut passer une série d’examens médicaux certifiés par des experts. Les juges eux-mêmes connaissent encore à peine les effets de l’amiante », témoigne-t-il.

Pour la famille Roncadin, en revanche, les espoirs se sont envolés. Le père, José, est décédé sans que la justice ne lui reconnaisse, après deux procès perdus, l’origine de son cancer : un mésothéliome, maladie du poumon rare, incurable et très virulente puisque le malade meurt généralement dans l’année.

Lui aussi travaillait à Osasco chez Eternit. Toute la journée, il mélangeait des préparations à base d’amiante, « sans aucune protection », précise son fils Vanderlei à Equal Times.

Selon l’OMS, 125 millions de travailleurs sont encore exposés à l’amiante aujourd’hui à travers le monde. L’ampleur des conséquences sanitaires à long terme est encore méconnue, car les symptômes peuvent se développer de nombreuses années après l’exposition. L’organisation internationale estime à environ 107.000 le nombre de décès par an attribués à cette fibre.

Au Brésil, ce sont 2400 décès qui ont été recensés entre 2000 et 2011 par le ministère de la Santé.

Cependant, de nombreuses personnes malades de l’amiante ne sont pas diagnostiquées ou reconnues comme telles.

« Il y a un vrai manque d’informations et de connaissances, de la population, des organismes de santé et de la justice sur les risques et conséquences de l’amiante », souligne Fernanda Giannasi, inspectrice du travail retraitée, fondatrice de l’Associação Brasileira dos Expostos ao Amianto (Association brésilienne des exposés à l’amiante, ABREA).

Bénévole depuis sa création en 1995, Fernanda a vu beaucoup de gens mourir, des victimes venues chercher un soutien fraternel et juridique auprès de l’association. « Nous recevons régulièrement des attaques de la part des lobbies et des syndicats, qui nous accusent de vouloir tuer des emplois, mais les choses avancent, certes avec un certain retard par rapport à l’Europe », témoigne-t-elle.

Une progression lente

À partir de la fin du XIXème siècle, cette substance minérale fibreuse a été largement utilisée dans le monde pour ses propriétés isolantes et résistantes, notamment au feu. Longtemps qualifié de « fibre magique », elle a été développée dans plus de 3000 applications techniques et industrielles. On en trouve aussi bien dans les murs, les plafonds, les tuyaux de canalisation, que dans les jouets, certains tissus ou les systèmes de freinage et d’embrayage.

Au Brésil, et dans beaucoup de pays en développement, l’amiante est très utilisée dans la fabrication des toitures bon-marché et des réservoirs individuels d’eau, courants dans les régions où les systèmes d’approvisionnement sont sommaires.

« Encore aujourd’hui, l’État encourage l’usage de l’amiante à travers ses programmes de construction de logements sociaux. Même l’organisme public de tutelle des Indiens, la FUNAI, fournit du matériel de construction aux villages indigènes à base de cette substance », s’indigne Fernanda Giannasi.

Les effets néfastes sur la santé étaient pourtant connus depuis les années 1930, mais les industriels ont continué d’exploiter la fibre jusqu’à la fin des années 1990, quand des pays industrialisés comme les États-Unis et la France ont commencé à légiférer pour son interdiction.

Elle est totalement interdite aujourd’hui dans près de 70 pays. Au Brésil, huit Etats fédéraux sur 26, dont le dernier en date, celui de Santa Catarina qui vient de voter l’interdiction fin janvier, ont adopté des mesures prohibitives au nom de la protection de la santé.

La loi fédérale brésilienne continue d’autoriser l’extraction, l’utilisation et la commercialisation de la variété chrysotile (ou « amiante blanc ») au niveau national, tout en imposant des exigences de sécurité pour les quelques 5000 travailleurs en contact. L’Instituto Brasileiro do Crisotila (IBC, Institut Brésilien de la chrysotile) qui regroupe en son sein les entreprises et les syndicats de travailleurs, affirme à Equal Times qu’aujourd’hui toutes les mesures sont prises pour contrôler tous les risques de problèmes pour la santé aussi bien pour les mineurs que pour les ouvriers.

« En 30 ans, les choses ont beaucoup changé. Nous nous approchons désormais du risque zéro » affirme Adilson Santana, vice-président de la Comissão Nacional dos trabalhadores do Amianto (CNTA, Commission Nationale des travailleurs de l’amiante). « Tout le travail des syndicats pour implanter des normes et des contrôles sera balayé si une interdiction totale est adoptée », déplore-t-il. Pour le président de l’IBC, Marcondes Braga de Moraes, « l’industrie de la chrysotile est la cible d’une guerre commerciale ».

Avec 150.000 emplois indirects concernés, l’enjeu économique reste fort, car le Brésil est aussi un des rares pays à avoir des sites d’extractions.

C’est à Minaçu que l’on trouve l’unique mine d’amiante d’Amérique du Sud encore en activité. Cette petite ville de 30.000 habitants de l’État de Goias, au nord de Brasilia, vit essentiellement de la chrysotile.

Appartenant à l’entreprise Eternit après avoir été longtemps propriété de Saint-Gobain, la mine a une capacité de production de 240.000 tonnes par an et emploie un millier de personnes directement ou indirectement. Le gisement pourrait encore être exploité pendant une vingtaine d’années. Dans la région cependant, les habitants craignent que la mine ne ferme avant.

Parallèlement aux actions de sensibilisation du public des associations comme l’ABREA, des procureurs du ministère public du Travail (MPT) ont lancé un programme en 2013 qui cherche notamment à inciter les entreprises du secteur à développer des filières alternatives.

« Nous menons des enquêtes sur les conditions de travail des ouvriers du secteur, mais nous pensons qu’il est impossible de contrôler parfaitement les mesures de sécurité exigées par la loi. Alors nous dialoguons avec les entreprises afin de trouver des accords pour encourager l’industrie à abandonner l’usage d’amiante dans les processus de fabrication », explique Márcia Kamei Lopez Aliaga, procureure du MPT, à la tête du Programa Nacional de Banimento de Amianto (programme national pour le bannissement de l’amiante.)

Pour Fernanda Giannasi, c’est certainement les lois du marché qui devrait en finir avec l’amiante avant la loi brésilienne : « C’est une tendance mondiale, le Brésil pays exportateur continuera à être affecté par la baisse de la demande. Il y a une sorte d’effet domino. Le Canada, qui avait une grande part du marché de la production, a annoncé une prochaine interdiction en 2018. »

Un constat partagé par Márcia Kamei Lopez Aliaga du ministère public du Travail : « une chose est sûre, le scandale sanitaire est au moins aussi grave que ce qu’a connu l’Europe ».

Sauf que le Brésil n’en a pas encore pris conscience.