Au Brésil, la situation des peuples indigènes toujours plus critique

Au Brésil, la situation des peuples indigènes toujours plus critique

Les Indiens Guarani du Pico de Jaraguá, près de de São Paulo, protestent contre le projet de réforme de délimitation des terres indigènes, le 28 avril 2017.

(Gustavo Basso)

Chamboulé depuis plusieurs mois par les crises économique et politique, le géant d’Amérique latine délaisse complétement le traitement de la question des autochtones. Pis encore, la situation favorise des attaques contre les Amérindiens, dont la survie n’a jamais été aussi menacée, et contre leurs droits les plus fondamentaux.

Début juin, les Nations unies et la Commission interaméricaine des droits humains en sont même venues à exprimer leurs vives préoccupations. « Le Brésil devrait, dans un contexte comme celui-ci, renforcer les moyens institutionnels et légaux pour protéger les populations indigènes », écrivent les délégués de ces deux organisations dans un communiqué conjoint. « Il est donc hautement préoccupant qu’au contraire le Brésil soit en train de fragiliser ces protections  ».

Quels sont donc les risques accrus qui pèsent sur ces peuples ? Il faut d’abord rappeler que pendant les gouvernements de Lula da Silva et de Dilma Rousseff, la situation des quelque 900.000 Indiens du Brésil n’était déjà pas des meilleures. Alors que la Constitution brésilienne prévoyait, il y a 30 ans, que l’ensemble des terres ancestrales indigènes soient cadastrées (via le processus de demarcação) et comme telles, protégées, de très nombreux conflits territoriaux s’éternisent dans les tribunaux et parfois les armes à la main.

Tandis que les populations, elles, vivent dans des conditions plus précaires d’année en année.

Mais depuis l’arrivée de Michel Temer au pouvoir, soutenu par un Congrès très conservateur, les faibles perspectives d’amélioration restantes se sont envolées. Les courants parlementaires « ruralistes », qui défendent les intérêts de l’« agrobusiness », ont aujourd’hui un pouvoir d’influence décuplé par la fragilisation de l’exécutif, pris dans un chaos d’affaires liées à la corruption ; et par un marasme économique, où seuls les secteurs de l’agriculture et des matières premières arrivent encore à soutenir l’économie.

Tous les indicateurs sont au rouge

« Désormais, ce n’est plus seulement les propriétaires terriens qui nous attaquent, c’est notre propre gouvernement », estime le chef guarani Ladío Verón, originaire du Mato Grosso. Pour les leaders indigènes et les défenseurs de leur cause, tous les indicateurs sont donc aujourd’hui au rouge.

Ainsi, le nouveau président a commencé par choisir comme ministre de l’Agriculture Blairo Maggi, le « Roi du soja », un homme qui a fait justement sa fortune dans cette région du Mato Grosso, également connu pour être un des points chauds en termes de conflits territoriaux. Depuis un an, aucun territoire indigène n’a vu sa démarcation approuvée par l’État – ce processus nécessite pour cela la signature du ministre de la Justice et du président.

La Fondation nationale de l’Indien, la FUNAI, organisme public de tutelle qui prend en charge toutes les questions relatives à ces populations, a vu son budget quasiment amputé de moitié, ainsi qu’une valse de ses directeurs, ces derniers mois.

« À ces coupes budgétaires s’ajoutent les ingérences politiques et les nominations de personnes notoirement connues pour leurs actions anti-indiens, qui contribuent à la militarisation de la FUNAI, avec le choix d’un général de l’Armée à la présidence de la fondation », remarque Felipe Milanez, professeur de sciences sociales à l’Université de Bahia et auteur spécialiste de l’environnement amazonien et des questions indigènes.

Certains députés souhaiteraient même en finir complètement avec cette institution, pourtant reconnue depuis 50 ans. Suite à une commission d’enquête parlementaire, ils ont publié un rapport jugeant cette dernière « trop protectrice et paternaliste ».

Composée de scientifiques et d’experts de terrain, dont de nombreux anthropologues, la FUNAI reste ce faible rempart qui peut encore permettre de préserver les cultures et les modes de vie indigènes, face aux intérêts économiques.

« La FUNAI est la seule agence gouvernementale dans laquelle les Indiens ont encore confiance », constate Victoria Tauli-Corpuz, rapporteuse spéciale des Nations unies pour les droits des peuples indigènes. Lors de son dernier voyage au Brésil, elle a pu constater que les coupes budgétaires affectent directement les ressources humaines sur le terrain. Un décret a ainsi supprimé en mars près de 350 postes et 50 coordinations locales. Or, c’est justement lorsque les agents de la FUNAI ne sont plus présents pour surveiller ce qu’il se passe dans des régions reculées que les violences reprennent.

Si la Fondation de l’Indien venait à disparaître, ce serait « un retour en arrière de la protection des terres indigènes » s’alarme Victoria Tauli-Corpuz. « Nous sommes particulièrement préoccupés par les futurs processus de délimitation de terres, mais aussi par l’avenir de celles qui ont déjà été reconnues ».
En effet, la plus grande crainte des 300 tribus du Brésil est que le système d’attribution des terres soit modifié. L’amendement constitutionnel 215 (Proposta de emenda à Constituição 215 ou PEC 215) est un serpent de mer qui n’a jamais été aussi près d’être adopté par les députés.

« J’ose espérer qu’il ne le sera pas et que les mouvements indigènes réussiront à mobiliser la société brésilienne pour faire pression sur le Congrès », confie Felipe Milanez à Equal Times. « Mais il est vrai que la proposition provoque une peur panique chez les Indiens, car elle mettrait fin aux droits territoriaux et ouvrirait un nouvel épisode colonialiste au Brésil ».

Cet amendement prévoit de transférer le pouvoir de décision sur l’attribution des terres de l’Exécutif aux parlementaires. Étant donnée la composition du Congrès – bien plus favorable aux intérêts économiques de l’agriculture et des secteurs miniers et de la construction, qu’aux droits des Indiens – il y a fort à craindre que les populations indigènes soient encore moins écoutées, voire spoliées.

« C’est comme une bombe atomique qui pourrait tuer tous les Indiens du Brésil », résume le leader indigène Adalto Guarani. Certains défenseurs de la cause indigène, comme l’ONG Survival International, estiment en effet que ce qui est en train d’avoir lieu pourrait conduire à un génocide.

Les assassinats de leaders indigènes, ainsi que de défenseurs de l’environnement ou des paysans sans terre, connaissent une recrudescence dans le contexte actuel troublé du Brésil. S’ajoute à cela un contexte d’impunité.

« Ceux qui cherchent à accumuler des terres, par tous les moyens, trouvent là l’opportunité d’accélérer ce processus et apparemment ils semblent être convaincus de pouvoir le faire en toute impunité », s’attriste Jeane Bellini, coordinatrice nationale de la Comissão Pastorale da Terra (Commission pastorale de la terre, CPT), qui rappelle que sur les 1800 assassinats commis depuis 1985, seulement 112 ont été jugés par un tribunal.

Depuis 2003, les assassins de Marcos Verón n’ont jamais été condamnés pour ce crime. Son fils, le chef guarani Ladío Verón, tente désormais d’alerter les Européens sur les menaces qui pèsent sur leur territoire dans le Mato Grosso, à travers une tournée internationale de sensibilisation, qui passe par une douzaine de pays.

« Il faut qu’il y ait une répercussion à l’extérieur » insiste Felipe Milanez. « Le Brésil vit un moment de léthargie dans lequel ces atrocités sont simplement en train de se normaliser, rien ne se passe, ni se révolte, c’est terrible ».