Au Gabon, les forestiers locaux peinent à se faire entendre face aux choix environnementaux de la communauté internationale

Au Gabon, les forestiers locaux peinent à se faire entendre face aux choix environnementaux de la communauté internationale

Gabonese loggers have been trying to meet the environmental criteria set by the international community for over 20 years. New rules on padouk exports were adopted without taking into account the reality on the ground, they say.

(Sophie Eyégué)

Assis derrière son bureau en bois massif, Marius Kombila, directeur de Global Forest Environment Consulting, un cabinet de consultance gabonais chargé d’accompagner les exploitations forestières locales vers une gestion durable du bois, est sollicité de toutes parts. « Je suis à vous dans une minute », lâche-t-il en alternant, selon l’interlocuteur, tantôt son rôle de PDG d’une entreprise, tantôt son rôle de conseiller technique au syndicat des industriels et aménagistes gabonais (SIAG) qui réunit plusieurs chefs d’exploitation forestière. « Vous voulez parler du padouk », questionne-t-il d’un rire gêné. « C’est une question sensible ».

En novembre 2022, à Panama City, des pays du monde entier se sont réunis lors de la 19e Conférence des parties de la Convention internationale contre le trafic d’espèces sauvages (CITES). Au terme des discussions, plusieurs essences ont été indexées à l’annexe de II de la convention, et figurent désormais dans la liste des espèces à protéger. C’est le cas désormais du padouk, cinquième bois le plus exporté par le Gabon. Mais la conséquence de cela est que sans la publication d’un « avis de commerce non-préjudiciable » (c’est à dire une étude prouvant que le commerce de ce bois ne met pas en péril sa survie), les forestiers gabonais sont confrontés à d’importantes barrières administratives depuis le 23 février 2023. Il faut désormais que chaque cargaison destinée à être exportée soit munie d’un permis. Un ralentissement certain de l’activité économique.

« On n’a même pas encore le mode d’emploi, donc toute la production est à l’arrêt », fustige Jean-Christophe Ricordeau, directeur général de la société équatoriale d’exploitation forestière et président du SIAG.

En effet, pour obtenir un permis et ainsi continuer d’exporter, aucune indication n’a été donnée aux forestiers à ce jour. Pour l’entreprise, le padouk représente 5 % de sa production, mais du fait de son prix élevé, le directeur estime que cette mesure lui fera perdre 3 à 5 % de chiffre d’affaires. « Pour moi, c’est une production secondaire, mais pour certains, c’est plus de la moitié de leur revenu qui s’en va ». Depuis fin février, ces entreprises n’ont pas pu honorer leurs commandes, en dehors de celles déjà en transit, du fait du flou planant sur la mise en œuvre de la mesure.

Pour le secteur, c’est l’incompréhension, car ce bois n’est pas en danger au Gabon. « Le problème qui s’est posé à Panama City était comment différencier le padouk d’Afrique de l’Est, qui, lui, risque l’extinction, de celui du Gabon », explique Jean-Louis Doucet, professeur de foresterie tropicale à l’Université de Liège, en Belgique. « Cela rajoute des contraintes très importantes aux sociétés forestières, qui selon moi ne se justifient pas d’un point de vue écologique. Les efforts devraient être faits dans les pays importateurs pour pouvoir distinguer les différentes espèces au sein d’un même genre ».

Pour l’économie du pays, c’est un coup dur, car la filière bois est le premier employeur du secteur privé, bien qu’elle ne représente que 3 % du taux de croissance et embauche 7 % de la population active. Une dizaine de milliers de foyers pourraient alors voir leurs revenus diminuer si le commerce du padouk ralentit et, à long terme, être plongés dans la précarité.

Le Gabon, trop petit pour se faire entendre

« La CITES donnait trois mois au Gabon pour établir un avis de commerce non-préjudiciable pour prouver que ces essences ne sont pas en danger ici et que les forestiers puissent établir des quotas d’exportation », explique Lucien Boussougou, chargé d’études à l’agence d’exécution des activités de la filière bois rattachée au ministère des Eaux et Forêt gabonais. « Trois mois, pour faire l’inventaire de 22 millions d’hectares, on savait que ça serait impossible ».

Lors des négociations à Panama City, même si les représentants gabonais ont alerté sur les risques économiques, mettant en avant les conclusions des derniers colloques scientifiques qui ne désignent pas le padouk comme essence en danger de disparition en Afrique centrale, sa voix seule, sans le soutien de ses voisins du bassin du Congo, n’a pas suffi. Les forestiers gabonais se sentent alors lésés.

« C’est encore une décision prise par des grands penseurs depuis leur beau bureau à New York, mais qui n’ont jamais mis un pied au Gabon », ne décolère pas Jean-Christophe Ricordeau.

Certains y voient une stratégie de la Chine et ses alliés pour conserver la place de leader dans le commerce du bois transformé. Le Gabon, deuxième exportateur de contreplaqué (réalisé à partir de l’okoumé, une autre essence présente dans les forêts locales) dans le monde et premier du continent africain, a pourtant peu de chances de devenir un concurrent à la hauteur du pays asiatique.

« Notre pays, c’est un vingtième de la production mondiale en bois tropicaux et ces derniers représentent moins de 5 % de la consommation dans le monde, brut ou transformé », rend compte le représentant du SIAG. « Le centre du monde dans le secteur se situe entre la Chine et l’Inde et on en est bien loin » .

Coût financier de l’écologie sur les entreprises locales et concurrence chinoise

En 30 ans, les normes, taxes et directives environnementales de protection de la forêt se sont multipliées. À titre d’exemple, en 2018, le président Ali Bongo Ondimba souhaitait que toutes les concessions forestières gabonaises soient certifiées du label de l’ONG Forest Stewardship Council (FSC). Ce qui a un coût élevé pour les entreprises qui doivent alors embaucher des experts, souvent européens, recommencer l’inventaire des exploitations, investir dans la formation de leurs employés…

« On nous demande de prendre soin de la forêt, ce qu’on fait à nos frais et ça nous semble aujourd’hui normal, mais on a rien en retour », rend compte Jean-Christophe Ricordeau.

Ces frais s’additionnent au coût de l’inflation. « Il n’y a qu’un truc qui ne monte pas, c’est le prix du bois », déclare dépité, le président du SIAG. Entre 2002 et 2022, alors que les prix des pick-ups ont explosé passant de 5 ou 10 millions de francs CFA ( soit de 8.000 à 16.000 USD) à 20 millions en moyenne (32.000 USD), le prix du bois, lui, a augmenté bien plus lentement. Un mètre cube d’okoumé, bois le plus produit au Gabon, se vendait 70.000 francs CFA (112 USD) en 2002 et aujourd’hui, il ne se vend que 90.000 francs CFA.

« On finit par ne plus avoir assez d’argent pour assurer la chaîne de production, stockage et livraison. C’est pour ça que toutes les entreprises nationales ont été rachetées par des investisseurs chinois ou indiens pour la plupart », raconte-t-il.

Les entreprises chinoises détiennent un quart de la surface forestière exploitée au Gabon. Des investisseurs qui apportent avec eux une main d’œuvre qualifiée selon leurs standards, supprimant ainsi des emplois locaux, dénonce l’ONG Brainforest. « À l’exception de quelques sociétés comme Honest Timber Gabon, dont le ratio des Gabonais employés est très important (80 %) comparativement à celui des étrangers incluant les Chinois (20 %), toutes les autres sociétés chinoises emploient essentiellement les ressortissants de leur pays et un nombre marginal de Gabonais ».

Les promesses de la communauté internationale

Le poids des mesures environnementales sur la filière bois et l’injuste répartition des gains générés par l’exploitation des ressources forestières avec la population locale ont été au cœur des discussions lors du One Forest Summit, qui s’est tenu à Libreville les 1er et 2 mars 2023. De ce sommet, plusieurs promesses ont été formulées.

Des entreprises internationales comme Eurazeo, Eramet, Flying Whales, Touton ou Valgo se sont engagées à créer 10 millions d’emplois liés à la gestion durable des forêts tropicales d’ici 2030. Néanmoins, aucune précision n’a été donnée concernant la localisation et à qui seront destinés ces emplois créés.

Un fonds de 100 millions d’euros, financé à 50 % par la France, contribuera à mettre en place un mécanisme de rémunération des pays exemplaires dans la préservation des forêts. Si les pays perçoivent une aide financière issue de ce fonds, il leur sera alloué des « certificats de biodiversité », qu’ils pourront échanger contre une contrepartie financière de la part des États ou des entreprises qui souhaitent compenser leurs émissions de gaz à effet de serre.

Ces propositions permettront au Gabon d’être rémunéré pour ses efforts environnementaux et pourraient contrebalancer les frais engagés pour répondre aux exigences internationales en matière d’écologie. Mais les États n’ont pas d’obligation quelconque quant à la redistribution des ressources qui peuvent alors être réinvesties au bon vouloir des gouvernements.

This article has been translated from French.