Au Kenya, une femme se bat pour les victimes de la pollution au plomb causée par l’industrie

Au Kenya, une femme se bat pour les victimes de la pollution au plomb causée par l'industrie

Phyllis Omido talks to children from her local community outside a former lead smelter plant. The children play in the dirt, next to the factory wall, where the soil is still contaminated with lead.

(Goldman Environmental Prize)

En 2015, Phyllis Omido – surnommée la « Erin Brockovitch de l’Afrique de l’Est » - a décroché le prix Goldman pour l’environnement pour son activisme dans la lutte contre l’intoxication par le plomb au sein de sa communauté, dans le village de Owino Uhuru, à proximité de la ville côtière de Mombassa.

Au Kenya, comme dans tant de régions d’Afrique, la refonte du plomb extrait des vieilles batteries d’automobiles est un négoce lucratif, en particulier en raison de la popularité croissante des panneaux solaires. Cependant, le recyclage par la fonte de batteries usagées est aussi incroyablement toxique et dégage des fumées et des eaux résiduelles nocives qui contaminent l’air, le sol et l’eau. Les effets secondaires possibles de l’inhalation ou l’ingestion du plomb incluent des lésions cérébrales, des insuffisances rénales et même la mort.

La campagne de Phyllis Omido a conduit à la fermeture de la Kenya Metal Refineries EPZ Limited, une fonderie de plomb appartenant à des propriétaires indiens, dont il a été démontré qu’elle contaminait l’environnement local, causant décès et maladies parmi les habitants, y compris son propre enfant.

Elle était encore loin de soupçonner qu’il ne s’agissait là que du début d’une bataille de longue haleine. Après avoir remporté le prix et obtenu la fermeture d’EPZ Limited ainsi que de plusieurs autres usines similaires, la fondatrice et directrice générale du Centre for Justice, Governance and Environmental Action (CJGEA), âgée de 41 ans, espérait pouvoir consacrer son argent et son attention à l’obtention de traitements médicaux pour les personnes atteintes d’intoxication saturnine. Au lieu de cela, elle s’est vue forcée de se lancer dans une nouvelle croisade : récupérer une somme équivalant à 375.000 USD correspondant aux dons et à l’argent du prix Goldman, perdue par son organisation dans la faillite de la banque où elle l’avait placée, et se protéger, elle-même, sa famille et ses collègues, contre d’éventuelles représailles violentes.

« J’avais obtenu une récompense de 175.000 USD [dans le cadre du prix Goldman] et plus de 200.000 USD en dons au bénéfice de notre organisation. Tout cela a été perdu dans la faillite de l’Imperial Bank of Kenya », confie Mme Omido lors d’un entretien avec Equal Times.

En octobre 2015, la Banque centrale du Kenya (Central Bank of Kenya, CBK) a annoncé qu’elle avait placé l’Imperial Bank sous redressement judiciaire pour une période d’un an, pour ce que l’organisme de contrôle a qualifié de conditions bancaires « à risque ». Le 11 décembre 2018, CBK a annoncé que les clients d’Imperial Bank auraient accès à 12,7 % de leur argent par l’intermédiaire de la Kenya Commercial Bank (KCB). Un porte-parole de la KCB a signalé que la banque se trouvait dans l’étape finale de l’acquisition de l’Imperial Bank, ce qui permettra aux déposants éligibles de récupérer, à titre de paiement définitif, 19,7 % supplémentaires de leurs soldes restants. Néanmoins, cela laisse des déposants comme Mme Omido avec un manque à gagner colossal, et ce sans le moindre espoir de restitution.

Les répercussions pour le CJGEA ont été catastrophiques. « Les donateurs ont retiré leur soutien à l’organisation par manque de confiance. J’ai perdu trois de mes principaux partenaires internationaux parce qu’ils n’arrivaient pas à croire que leur argent avait coulé avec la banque. À présent, j’essaie de trouver de nouveaux partenaires mais c’est tellement difficile », soupire Phyllis Omido.

La centre fournissait des traitements médicaux, une aide nutritionnelle et des suppléments à plus de 800 enfants ainsi qu’à de nombreux adultes, pour les aider à éliminer les métaux lourds de leur corps. Or, son organisation n’est plus en mesure de les financer, selon Mme Omido. « Presque immédiatement après que nous ayons cessé d’apporter ce soutien, 10 enfants ont perdu la vie. » Mme Omido précise qu’elle menait aussi des recherches pour déterminer combien des 5.000 habitants du village de Owino Uhuru souffrent d’intoxication saturnine mais, qu’à ce jour, un tiers seulement de cette communauté à faibles revenus a pu être testée. C’est par pur courage et détermination que Phyllis Omido a pu poursuivre sa mission : « Si l’organisation fonctionne toujours c’est parce que je suis déterminée à ce que justice soit rendue au peuple », souligne-t-elle.

Une occasion qui a tourné au cauchemar

En 2009, Phyllis Omido, mère célibataire d’un enfant alors en bas-âge, a été embauchée par la société EPZ Limited en tant qu’agente de liaison communautaire. À l’époque, l’entreprise était en activité depuis deux ans et Mme Omido avait été chargée de réaliser une étude d’impact environnemental. En collaboration avec un groupe d’experts, elle a démontré que la proximité de la fonderie avec le village de Owino Uhuru exposait les habitants à l’intoxication par le plomb.

Les analyses du sol ont montré que les niveaux de plomb avaient presque décuplé entre 2008 et 2009, lorsque l’usine est devenue opérationnelle. Son rapport suggérait la délocalisation de l’usine, mais ses recommandations ont été rejetées par la direction et Phyllis Omido a été réassignée.

Peu de temps après, elle a remarqué que l’état de santé de son fils King David se dégradait et a soupçonné son lait maternel d’être la cause de ses vomissements et de ses fièvres fréquentes. Les tests ont révélé que le sang de son bébé contenait 35 microgrammes de plomb par décilitre (35 μg/dl), alors que le US Center for Disease Control considère qu’un taux de 5 μg/dl chez les enfants est le seuil à partir duquel une intervention est requise. C’est à ce moment qu’elle a donné sa démission et s’est lancée dans une campagne pour la fermeture de l’usine. La fonderie a finalement cessé ses activités en 2014.

Selon Hosea Jackson, un quinquagénaire du village, quand l’usine était encore en chantier en 2006, personne ne s’imaginait qu’elle allait un jour mettre leur vie en danger. Les bons emplois sont une denrée extrêmement rare dans cet établissement informel, et EPZ Limited offrait aux travailleurs aux alentours de 6 dollars US par jour pour extraire le plomb des batteries usagées – soit près du double de ce que touchent les gens de la localité pour travailler dans le port de Mombassa.

« On nous avait informés qu’il s’agissait d’une entreprise de confection de biscuits, ce qui ne posait aucun problème à nos yeux. Lorsque l’usine a finalement ouvert ses portes, tout le monde était encore content parce qu’elle avait créé des emplois. Mais peu de temps après, mes enfants ont commencé à souffrir de toux persistante. Je n’ai jamais travaillé dans l’usine mais nous toussions tous sans arrêt à cause de la fumée », a-t-il expliqué.

D’après un rapport publié en 2018 par Quartz Africa, les employés de l’usine travaillaient sans protection, tandis que la fumée qui s’échappait de la cheminée de la fonderie soufflait sur les maisons situées aux alentours. M. Jackson, père de sept enfants, raconte que deux de ses enfants souffrent aujourd’hui d’intoxication. « Ma femme a fait une fausse couche et j’ai perdu la santé. Mon corps était constamment affaibli et j’avais des fièvres persistantes. Nous avions alors été informés des dangers de la fonderie et étions donc conscients. Le médecin a confirmé que j’avais développé des problèmes rénaux provoqués par l’intoxication au plomb », a-t-il indiqué.

Hosea Jackson explique que Phyllis Omido et son organisation ont constitué une planche de salut vitale pour la communauté, où près de 3.000 personnes seraient atteintes à des degrés divers par le saturnisme. « Nous recevions de l’aide – traitements médicaux, nourriture – du centre pour la Justice, mais tout cela s’est arrêté très rapidement. Je dépense à présent près de 100 dollars par mois pour des médicaments et je n’ai pas de travail. »

Beaucoup d’autres ont vu leur traitement s’arrêter complètement depuis que l’argent du Centre a été perdu par l’Imperial Bank. «Il y a eu le cas d’une mère qui souffrait d’insuffisance rénale et est décédée car elle ne pouvait aller à l’hôpital. Nous l’avions mise sous traitement et elle était en voie de guérison lorsque nous avons perdu notre argent », indique Mme Omido.

Attaques violentes et harcèlement

Aujourd’hui, Phyllis Omido canalise les ressources limitées de son organisation vers la sensibilisation du public sur l’empoisonnement au plomb et la diffusion d’informations sur l’accès à l’aide. Elle veut cependant aller toujours plus loin. « J’ai perdu de l’argent, du personnel, des partenaires et des enfants, mais je ne renoncerai pas tant que justice ne sera pas faite. Lorsque je vois des mères mourir, lorsque je vois des enfants mourir à cause de cela, j’en ai le cœur brisé, mais cela me donne aussi la force de continuer. »

En 2016, le Centre pour la Justice et neuf membres de la communauté ont engagé une équipe d’avocats afin d’intenter un recours collectif contre le gouvernement kenyan, EPZ Limited, Penguin Paper and Book Company [l’entreprise qui abritait la fonderie, sans lien avec la maison d’édition internationale, nda]. Ils accusent l’entreprise de violer la législation kenyane et le droit international, et réclament 1,6 milliard de shillings kenyans (environ 15 millions de dollars US) pour nettoyer l’intégralité du terrain contaminé et indemniser les milliers de personnes affectées.

Depuis qu’ils ont intenté leur action en justice, Mme Omido et ses collègues ont subi des violences et des harcèlements sans fin ; ils ont, notamment, été traqués, battus, attaqués, arrêtés et menacés de mort. Les domiciles de deux collègues de Mme Omido ont même été détruits dans des incendies criminels, ce qui avait poussé John H. Knox, à l’époque rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme et l’environnement, à avertir qu’il fallait mettre fin à ces « violations des droits humains ».

Un verdict est attendu en juillet. « J’ose espérer qu’il s’agira de la toute dernière audience et qu’un jugement sera rendu. Je suis confiante que nous obtiendrons gain de cause. Je demande des traitements pour tous les membres de la communauté, le nettoyage de l’environnement, des compensations pour les vies perdues et pour celles et ceux dont la santé a été compromise », a déclaré Mme Omido.

Cinq années ont passé depuis la fermeture de l’usine, mais le sol reste toxique, l’eau est toujours contaminée, les gens tombent toujours malades et les femmes enceintes ont du mal à mener leur grossesse à terme. Il a été question de délocaliser le village, mais un grand nombre de ces familles ont vécu sur ces terres depuis des générations et la proximité avec le port signifie que les emplois et le foncier dans cette zone priment. Dans ce contexte, la plupart des gens n’ont nulle part d’autre où aller.

La CJGEA collabore aussi avec d’autres activistes et organisations environnementales pour disséminer les leçons apprises à Owino Uhuru et contribuer à la sensibilisation dans la région côtière de Lamu, où la construction d’une centrale électrique au charbon a été suspendue le mois dernier par les juges, faute de licence environnementale.

« Mon rôle est de faire savoir aux gens qu’ils ont le droit d’être informés. Contrairement à ce qui est arrivé dans le cas de Owino Uhuru, les gens doivent comprendre exactement à quoi l’usine doit servir, quels seront les effets négatifs éventuels, et en quoi ils bénéficieront de la présence d’une telle usine. La plupart du temps, on se contente de ne parler aux gens que des avantages et c’est ce qui fait qu’ils finissent par regretter ensuite. » Malgré tous les revers qu’elle a subis, Phyllis Omido est déterminée à obtenir ce qui est dû aux habitants de Owino Uhuru, et à s’assurer qu’aucune autre communauté au Kenya ne soit amenée à souffrir de la sorte à l’avenir.