Au Niger, l’enjeu de mettre fin à la contractualisation pour assurer un travail décent aux professeurs

Au Niger, l'enjeu de mettre fin à la contractualisation pour assurer un travail décent aux professeurs

A teacher at a primary school in Zinder, Niger’s second largest city, in November 2021.

(Saidou Arji)
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L’une des décisions fortes annoncées par le nouveau gouvernement du Niger dans le secteur de l’éducation est de mettre fin à la contractualisation des enseignants. Cette décision prise à l’issue d’une rencontre des principaux responsables du système éducatif nigérien a été réaffirmée le 27 octobre 2021 au cours de la rencontre que le Président de la République, Mohamed Bazoum, arrivé en fonction au mois d’avril, a eue avec les syndicats du secteur de l’éducation.

La contractualisation des enseignants est une question qui préoccupe aussi bien l’État que les syndicats du secteur de l’éducation. En 2017, sur un effectif de 76.184 enseignants du cycle primaire, 59.870 étaient des contractuels, soit une proportion de 81,3%. Les femmes représentent 70 à 80 % des enseignants contractuels.

Après avoir introduit le volontariat dans le système éducatif en 1998, le Niger a décidé de recourir, en 2001, aux enseignants contractuels pour pallier l’insuffisance d’instituteurs et d’institutrices, notamment dans les écoles primaires des zones rurales. Mais cette option, qui devait être provisoire, s’est pérennisée.

Outre l’accélération du recrutement des enseignants, cette option permet au gouvernement de réduire les dépenses dans le secteur, car les enseignants contractuels touchent des rémunérations inférieures à celles de leurs collègues fonctionnaires. Le recours massif à la contractualisation dans le secteur de l’enseignement est une option qui entre dans le cadre des mesures inspirées par les institutions financières internationales, notamment le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) en vue de rehausser le taux de scolarisation avec peu de moyens. Malheureusement, ce sont les ressources humaines qui font les frais de ce choix qui privilégie la course aux indicateurs, au détriment de la qualité de l’éducation.

À travail égal, rémunérations différentes !

À maints égards, il existe une véritable discrimination entre l’enseignant fonctionnaire et son collègue contractuel, à commencer par la rémunération dont le nom diffère, ainsi que le montant, selon le statut du travailleur. Un enseignant fonctionnaire du plus bas niveau, à savoir l’instituteur-adjoint, commence sa carrière avec un salaire mensuel net de 151.000 francs CFA (environ 230 euros), tandis que le contractuel touche un « pécule » de 75.000 FCFA (environ 114 euros). Pourtant, les deux personnes font le même travail et le contractuel ne bénéficie pas de son pécule à terme échu. En effet, ce dernier est toujours payé en retard et dans des conditions qui l’empêchent de travailler convenablement, comme l’ont témoigné plusieurs enseignants auprès d’Equal Times. À titre illustratif, au 15 février 2022, les enseignants contractuels n’ont toujours pas perçu leur pécule du mois de janvier passé.

Depuis 6 ans, le paiement du salaire de l’ensemble des contractuels est confié à la Poste qui ne dispose pas de bureau dans certaines localités et manque parfois de liquidités. Conséquence : les enseignants contractuels des zones reculées consacrent plusieurs jours à l’encaissement de leurs salaires en abandonnant leurs classes.

Le paiement des salaires par la Poste est également source d’insécurité pour les enseignants contractuels, car cette institution publie le calendrier de paiement des enseignants pour chaque localité. Cette publicité a occasionné plusieurs agressions et rackets des enseignants par des bandits, notamment dans la zone frontalière entre le Niger et le Burkina Faso, en proie à une insécurité grandissante.

Il existe une autre discrimination qui touche la vie professionnelle. L’enseignant fonctionnaire bénéficie d’un plan de carrière prévu par le statut de la fonction publique, tandis que son collègue contractuel, lui, n’a aucune perspective. Son seul espoir est le reversement dans la fonction publique ou l’admission aux tests de recrutement qu’elle organise.

Or, le reversement des enseignants contractuels dans la fonction publique, qui doit leurs assurer une meilleure stabilité, est toujours en-deçà du nombre des enseignants qui devraient être régularisés. Madame Halima Kangay fait partie des contractuelles qui espèrent toujours une intégration dans la fonction publique. « Cela fait 8 ans que je suis contractuelle et j’aurais bientôt 45 ans, l’âge limite de recrutement à la fonction publique. C’est vrai que les syndicats négocient une dérogation sur la limite d’âge, mais je perds espoir de jour en jour », confie-t-elle avec amertume.

Mounkaila Halidou est le secrétaire général du Syndicat national des agents contractuels de l’éducation de base (SYNACEB), depuis sa création, et il milite depuis des années auprès du corps enseignant. Le syndicat est affilié à la Confédération nigérienne du travail (CNT), dont il a également pris la tête en novembre 2021. Selon lui, « un enseignant contractuel qui passe un certain nombre d’années dans le métier devrait être reversé dans la fonction publique et bénéficier du statut de fonctionnaire. Mais cette période n’est pas du tout respectée. Il n’est pas surprenant que des enseignants contractuels abandonnent l’enseignement dès qu’ils ont la moindre opportunité dans un autre secteur », souligne-t-il.

La précarisation à plusieurs dimensions

Le non-respect des règles est confirmé par le SYNACEB, pour qui les textes n’ont jamais été appliqués dans leur plénitude. La précarisation du statut de l’enseignant contractuel réside également dans la facilité avec laquelle il est sanctionné, voire révoqué, sans aucun respect de la procédure prévue. Par exemple, en matière de révocation, c’est la même procédure qui s’applique théoriquement aussi bien à l’enseignant fonctionnaire que l’enseignant contractuel, notamment avec la comparution devant un conseil de discipline avec toutes les garanties de défense.

Mais malheureusement, cette procédure n’est pas appliquée quand un enseignant contractuel est mis en cause. « Les contractuels sont à la merci des inspecteurs de l’enseignement primaire. Il suffit qu’un inspecteur écrive au directeur régional de l’éducation pour dire qu’il relève un enseignant de ses fonctions pour telle ou telle faute et il résilie le contrat. Nous avons même des localités où ce sont des maires qui résilient les contrats », déplore Mounkaila Halidou.

Une situation aux antipodes des exigences requises pour un travail décent. Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), le travail décent implique une rémunération adéquate, la protection sociale pour les travailleurs et leurs familles, la sécurité sur le lieu de travail, ainsi que de « meilleures perspectives de développement personnel et d’insertion sociale, la liberté pour les individus d’exprimer leurs revendications, de s’organiser et de participer aux décisions qui affectent leur vie, et l’égalité des chances et de traitement pour tous, hommes et femmes ».

À ceux qui soutiennent que la baisse du niveau des élèves est imputable, entre autres, à l’exercice de la fonction enseignante par les contractuels, le secrétaire général du SYNACEB -répond ceci dépend des conditions psychologiques et matérielles dans lesquelles l’enseignant se trouve et exerce son métier.

« Avec quel moral quelqu’un qui se trouve avec un salaire de 75.000 francs, qui ne vaut même pas une indemnité de certains agents de la fonction publique, peut accomplir son sacerdoce ? » lance le syndicaliste, avec un brin d’indignation.

Au titre des mesures d’amélioration du système éducatif, le ministère de l’Éducation a amorcé, en 2020, le recrutement à la fonction publique par voie de concours de 500 enseignants et enseignantes du cycle primaire, parmi les contractuels justifiant de 4 ans d’ancienneté. Mais jusqu’à présent, ce processus n’a pas abouti et c’est dans ce contexte que le gouvernement annonce l’arrêt de la contractualisation et le recours au service civique national pour, dit-il, rehausser la qualité de l’éducation. L’option choisie consiste à mettre à la disposition du ministère de l’Éducation des diplômés de niveau supérieur qui auront suivi une formation pédagogique de 45 jours.

Cette option est discutable selon le secrétaire général du SYNACEB pour qui « on ne peut pas former un bon enseignant en 45 jours, quelque soit le diplôme supérieur qu’il possède et ce n’est pas la solution pour rehausser le niveau ».

Mobilisation et dialogue social

Le SYNACEB, avec l’appui de la CNT, défend plusieurs mesures dont l’amélioration de la rémunération, le respect de la périodicité du reversement dans la fonction publique et le plan de carrière au profit des enseignants contractuels. Cependant, la solution devrait être, de l’avis des syndicats, une approche globale et intentionnelle en lieu et place des annonces épisodiques.

« Nous sommes en discussion avec le gouvernement pour définir les modalités de l’intégration des enseignants contractuels dans la fonction publique, mais le statut de celle-ci est en cours de révision », a affirmé à Equal Times le secrétaire général du SYNACEB.

Le dialogue mené par le syndicat avec les autorités peut rencontrer des blocages. C’est la raison pour laquelle plusieurs grèves ont été organisées dans les écoles.

« Il existe un fait que le gouvernement ne veut pas admettre : les enseignants contractuels sont les plus nombreux et disposent d’une capacité réelle de pression, car chaque fois qu’ils vont en grève, toutes les écoles sont fermées », souligne un inspecteur de l’enseignement primaire qui a requis l’anonymat.

C’est le cas notamment lorsque le SYNACEB a organisé, les 13 et 14 février 2020, une grève qui a été très suivie sur toute l’étendue du pays.

Le SYNACEB organise également des marches et sit-in pour revendiquer le paiement des arriérés de salaire, ainsi que de meilleures conditions de salaire et de carrière. Dans sa stratégie de lutte, le syndicat mène en plus de la confrontation, des actions de plaidoyer en direction des autorités ainsi que des sensibilisations à l’égard de ses militants en vue de susciter leur engagement et une unité d’action dans la défense des intérêts de la corporation.

Le SYNACEB ne défend en effet pas que les droits des enseignants contractuels à un meilleur traitement et un statut stable. Il prend aussi en charge les cas individuels de ses militants qui sont en difficulté, notamment lorsqu’ils sont victimes d’abus de la part des responsables de l’éducation. Le Secrétaire général du syndicat indique que leur organisation est toujours disposée à défendre un militant dont les droits sont bafoués, pour peu que ce dernier saisisse expressément les responsables du SYNACEB de sa région. Les problèmes que rencontrent les enseignants peuvent même faire l’objet d’un traitement au niveau national lorsque les responsables régionaux de l’éducation continuent de persécuter un militant, ajoute Mounkaila Halidou. « Il arrive aussi que le syndicat soutienne financièrement des militants qui rencontrent des problèmes sérieux, mais cette action est limitée par le peu de moyens dont dispose l’organisation », a-t-il précisé.

Le plus urgent pour son syndicat reste la prise en compte des contractuels dans la réforme envisagée de la fonction publique, pour leur assurer un travail décent. « Le principe est acquis, mais il n’est pas encore mis en œuvre ». D’autant plus, que dans une volonté de décentralisation des services publics, cette réforme prévoit le recrutement et la prise en charge de la rémunération des enseignants contractuels par les communes. Or, de nombreuses collectivités locales connaissent des difficultés financières, notamment à cause de l’incivisme fiscal. Le syndicat lutte pour obtenir au plus vite des garanties afin d’éviter des problèmes de paiement aux professeurs.

This article has been translated from French.

Cet article a été réalisé avec le soutien du syndicat belge ACV-CSC et de la Direction Générale de la Coopération belge au Développement.