Au sein du mouvement pro-démocratie à Hong Kong : ceux qui partent par milliers, et ceux qui restent avec le poids de l’incertitude

Au sein du mouvement pro-démocratie à Hong Kong : ceux qui partent par milliers, et ceux qui restent avec le poids de l'incertitude

L’avocat Chow Hang-tung (au centre), vice-président de l’Alliance de Hong Kong pour le soutien des mouvements démocratiques patriotiques en Chine, s’adresse aux journalistes à Hong Kong le 5 septembre 2021. Mme Chow et six autres membres-clés de l’Alliance, qui organise à Hong Kong la veillée annuelle de commémoration des événements de la place Tiananmen, ont été arrêtés les 8 et 9 septembre, un jour après avoir refusé de coopérer à une enquête de sécurité nationale.

(Danny Chan)

Ces derniers mois, alors que de nombreuses figures du mouvement pro-démocratie ont été jetées en prison, se sont réfugiées à l’étranger ou font tout simplement profil bas dans un climat politique tendu, Tonyee Chow Hang-tung s’est imposée comme une voix ostensible de la dissidence à Hong Kong. Emprisonnée ou en liberté, cette avocate et activiste de 36 ans n’a pas hésité à critiquer et à défier les autorités. Elle a défié l’ordre de coopérer avec la police dans le cadre d’une enquête qu’elle juge grotesque, elle a exhorté les Hongkongais à « continuer à résister » et a qualifié une accusation portée contre elle de « ridicule » devant un tribunal. Ces actions sont audacieuses, compte tenu de la campagne menée par Pékin visant à écraser la dissidence dans l’ancienne colonie britannique.

« Je mène une bataille que je considère devoir mener et je suis donc prête à en assumer les conséquences, quelles qu’elles soient », déclarait-elle récemment à Equal Times à propos de son besoin irrépressible de dénoncer les injustices. Peu de temps après, elle se faisait arrêter ; la troisième fois en trois mois. Cette fois, elle risque de rester derrière les barreaux pendant longtemps, avec quatre chefs d’accusation retenus contre elle, dont « incitation à la subversion du pouvoir de l’État », passible d’une peine maximale de dix ans d’emprisonnement.

Pour Mme Chow, la bataille se joue entre les forces pro-démocratie de Hong Kong et le pouvoir en place. Elle dure depuis près de deux décennies et a désormais atteint un tournant : le camp pro-démocratie subit une défaite écrasante aux mains d’un pouvoir de Pékin toujours plus sûr de lui. Les Hongkongais de tous bords sont confrontés à un avenir incertain.

Au moment de la rétrocession de ce pôle financier asiatique par la Grande-Bretagne en 1997, la Chine avait promis aux Hongkongais que leur ville indépendante jouirait d’un « haut degré d’autonomie » pendant 50 ans, conformément au principe « un pays, deux systèmes ». Pour les activistes pro-démocratie, cependant, le parti communiste chinois n’a pas honoré cette promesse, puisqu’il a constamment rogné la semi-autonomie de Hong Kong. Les efforts pour stopper ce recul et lutter pour plus de démocratie ont explosé lors du « Mouvement des parapluies » de 2014 qui avait duré 79 jours. En juin 2019, un projet de loi controversé relatif à l’extradition vers la Chine continentale a ravivé la flamme du mouvement pro-démocratie, cette fois à une échelle plus grande et plus disruptive, qui a duré plus de sept mois et a pris un tour violent au fil du temps.

Finalement, Pékin a mis fin à l’agitation en imposant une loi draconienne de sécurité nationale à Hong Kong. Punissable d’une peine maximale de prison à vie, la loi a créé quatre infractions : la sécession, la subversion, la collusion avec l’étranger et le terrorisme. La législation est en partie ancrée dans la conviction de Pékin que Hong Kong, une ville occidentalisée, est utilisée comme façade par l’Occident dans une lutte plus large contre la Chine. Selon Pékin et les autorités de Hong Kong, la nouvelle loi a permis de rétablir la stabilité et de mieux protéger les droits et libertés fondamentaux des Hongkongais. Nombreux sont ceux qui pensent le contraire.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur la sécurité en juin 2020, plus de 150 responsables politiques, militants et journalistes pro-démocratie ont été arrêtés à Hong Kong au motif de l’avoir violée.

Des dizaines de personnes ont été inculpées, nombre d’entre elles essuyant un refus de libération sous caution et étant détenues pendant des mois dans l’attente de leur procès. Des peines de prison ont également été prononcées à l’encontre de certains des principaux activistes pour des chefs d’accusation liés aux manifestations. Le parlement de la ville a été vidé de son opposition en raison de la disqualification, de la démission en masse et de l’exil des législateurs de l’opposition. Le système électoral a été remanié afin que seuls les « patriotes » puissent occuper des postes de pouvoir politique.

Un numéro téléphonique de sécurité nationale a été créé pour encourager les citoyens à se dénoncer mutuellement de manière anonyme. De nombreux syndicats et groupes de la société civile ont été dissous sous la contrainte. Au cours de l’année écoulée, environ 90.000 résidents ont quitté Hong Kong dans le cadre d’une nouvelle vague de migration. Ceux qui ne partent pas font attention à leurs paroles et à leurs actions en public, car, selon les critiques, la nouvelle loi est si large et si vague qu’il est difficile de savoir si on l’a enfreinte avant qu’il ne soit trop tard.

Démantèlement de la société civile et de la presse libre

Le mois dernier, un autre groupe civil établi de longue date a été englouti par la déferlante de la loi relative à la sécurité nationale, suscitant des critiques selon lesquelles Pékin s’en servirait pour démanteler la société civile à Hong Kong. Depuis trois décennies, l’Alliance de Hong Kong pour le soutien des mouvements démocratiques patriotiques de Chine organisait régulièrement la plus grande veillée commémorant le massacre de la place Tiananmen en 1989, un événement annuel qui distinguait Hong Kong de la Chine continentale, où la commémoration du massacre est interdite. Aujourd’hui, les autorités qualifient ce groupe modéré d’« agent étranger » et les deux dernières veillées ont été interdites au motif de la pandémie de coronavirus.

La police a récemment ordonné à Mme Chow, vice-présidente de l’Alliance, et à d’autres membres de fournir des informations sur d’autres membres et les finances du groupe. Suite à leur refus, la police a arrêté Mme Chow et trois autres membres le 8 septembre. Accusés de ne pas avoir respecté l’obligation de fournir des informations dans le cadre d’une enquête de sécurité nationale, ils risquent jusqu’à deux ans de prison. Mme Chow et deux autres membres essentiels de l’Alliance de Hong Kong, dont le président et dirigeant syndical Lee Cheuk-yan, sont également accusés avec le groupe lui-même d’incitation à la subversion du pouvoir de l’État en vertu de la loi sur la sécurité nationale.

Avant son interpellation, Mme Chow s’attendait déjà à être incarcérée dans un avenir proche, étant donné qu’elle est confrontée à deux autres chefs d’accusation pour avoir incité d’autres personnes à participer aux veillées en mémoire de la répression sur la place Tiananmen ; veillées qui avaient été interdites. Sa capacité à braver les difficultés imminentes s’est souvent manifestée sous la forme de messages blagueurs sur les réseaux sociaux et une tendance à terminer une phrase sur deux par un petit gloussement. Ce qui la tracasse cependant, c’est que son avenir incertain l’empêche d’accepter de nouveaux dossiers dans son cabinet d’avocats. Cette situation est frustrante, d’autant plus qu’un nombre croissant d’avocats quittent la ville.

D’après Mme Chow, certains de ceux qui restent pratiquent une « autocensure » dans la mesure où ils n’osent pas traiter les affaires relevant du droit de la sécurité nationale.

Mme Chow, qui a représenté deux responsables politiques dans une affaire fortement médiatisée et en cours concernant la loi sur la sécurité, impliquant 47 responsables politiques et activistes prodémocratie, explique : « Il n’y a pas encore de ligne rouge. Personne n’a été harcelé pour avoir pris en charge des affaires relevant de la loi relative à la sécurité nationale. Mais ils évitent ces cas, car ils souhaitent faire des affaires avec des clients du continent [chinois]. »

Cette avocate formée à Hong Kong estime que la notion bien ancrée selon laquelle les avocats peuvent contribuer à faire régner la justice dans les tribunaux est en train de s’effriter à Hong Kong, compte tenu des décisions de justice « ridicules » qui ont été rendues dans certaines affaires liées aux manifestations. « Mais les avocats ont encore un rôle important à jouer tant que l’État a besoin des tribunaux pour couvrir de manière éhontée sa répression politique », déclare-t-elle.

Le journalisme est un autre secteur qui subit également des pressions. En juin, une onde de choc a secoué le paysage médiatique autrefois dynamique de Hong Kong lorsque l’Apple Daily, un tabloïd fondé il y a 26 ans et critique à l’égard de Pékin, a été contraint de fermer ses portes après l’arrestation de six journalistes et cadres supérieurs en vertu de la loi sur la sécurité. À ce moment-là, le fondateur très engagé du journal, Jimmy Lai, était déjà derrière les barreaux depuis six mois pour avoir enfreint la loi et pour d’autres chefs d’accusation.

En décembre, un réseau de télévision câblée a licencié 40 membres du personnel dans ce qui a été considéré comme une action de répression politique. Au sein du radiodiffuseur public RTHK, au moins six programmes populaires ont été supprimés, les contenus des archives en ligne ont été retirés et le personnel a reçu l’ordre d’utiliser un langage approuvé par Pékin.

Shirley Leung, une journaliste qui a perdu son emploi à l’Apple Daily après sa fermeture, déclare que si par le passé les médias étaient « une grenouille que l’on fait lentement bouillir vivante », aujourd’hui, on fait monter la température de manière drastique. « Il est désormais plus difficile de mener des enquêtes approfondies […]. Les journalistes travaillent dans un contexte de plus en plus contraignant », déclare-t-elle.

En tant que reporter de terrain, Mme Leung doit relever un défi de taille : trouver des personnes qui acceptent de lui parler. La plupart des personnalités pro-démocratie de premier plan sont aujourd’hui en prison, et les gens ordinaires craignent également de parler ouvertement en raison de la loi sur la sécurité. Mme Leung a envisagé sa propre arrestation, mais elle essaie de ne pas laisser la loi la déstabiliser. Elle publie actuellement une série d’articles sur les Hongkongais impliqués dans le mouvement de 2019.

« Je me considère comme une chroniqueuse. L’année 2019 revêt une très grande importance dans l’histoire de Hong Kong. Les événements de cette année-là doivent être consignés… afin qu’ils ne soient pas effacés ou déformés à l’avenir. Aujourd’hui, vous entendez encore certaines personnes dire que le 4 juin [date du massacre de la place Tiananmen] n’a jamais eu lieu. C’est affreux », déclare-t-elle.

« Les syndicalistes vivent dans un climat de peur sans précédent »

Dans la phase finale du mouvement de protestation de 2019, de nombreux employés favorables au mouvement, issus de différents secteurs, ont formé de nouveaux syndicats. En se développant en tant que force, ils espéraient obtenir des sièges dans la législature de la ville et contribuer à la politique électorale. De ce fait, le nombre total de syndicats enregistrés était passé de 917 en 2019 à 1.410 en 2020. Pendant un certain temps, il existait un espoir que les syndicats puissent devenir une force avec laquelle il faudrait compter dans la société capitaliste de Hong Kong, où la culture des syndicats est faible.

Cet optimisme n’a été que de courte durée. Le climat politique actuel met de nombreux syndicalistes sur la sellette. Des activités qu’ils considéraient comme tout à fait normales auparavant, notamment l’organisation de manifestations, la critique des autorités et la recherche de la solidarité à l’étranger, peuvent désormais leur attirer des ennuis. Le 19 septembre, la Confédération des syndicats indépendants de Hong Kong (Hong Kong Confederation of Trade Unions, HKCTU), un syndicat indépendant, annonçait sa dissolution, invoquant des menaces extérieures sur la sécurité personnelle de ses membres, sans donner plus de précisions. Deux membres de la HKCTU sont déjà derrière les barreaux : la présidente, Carol Ng, a été placée en détention provisoire pour avoir enfreint la loi sur la sécurité, tandis que le secrétaire général Lee Cheuk-yan purge une peine de 20 mois de prison pour des accusations liées aux manifestations. Mung Siu-tat, le directeur général de la confédération, a récemment fui Hong Kong.

« Le secteur syndical vit aujourd’hui dans un climat de peur sans précédent », déclare un syndicaliste de longue date qui a parlé à Equal Times sous condition d’anonymat.

« Lorsque la loi sur la sécurité nationale est arrivée, les groupes politiques étaient la principale cible. En juillet et en août, il est devenu manifeste que les syndicats étaient également une cible importante. »

En juillet, cinq membres d’un syndicat d’orthophonistes ont été arrêtés et accusés de sédition à propos de trois livres pour enfants. Ces livres électroniques allégoriques dépeignent les manifestants du mouvement de 2019 comme des moutons dans un village entouré de loups menaçants. La police a déclaré qu’ils avaient tenté de susciter la « haine » envers le gouvernement et d’inciter à la violence. En août, le syndicat des enseignants professionnels (Professional Teachers’ Union), le plus grand syndicat mono-sectoriel de Hong Kong avec 95.000 membres, a été dissous après que des médias pro-Pékin l’aient qualifié de « tumeur maligne » infiltrant les écoles avec des politiques pro-démocratie.

« Mais le problème n’est pas que les syndicats veulent faire de la politique, c’est que la politique nous affecte », affirme le syndicaliste aguerri. Nous ignorons combien de syndicalistes il reste dans la ville, mais ce qui compte le plus aujourd’hui, déclare-t-il, c’est que les syndicalistes qui partagent les mêmes idées restent en contact. « [Les autorités] peuvent discréditer les syndicats, mais elles ne peuvent pas discréditer les liens entre les personnes. »

En octobre, le syndicat des orthophonistes sera radié par le gouvernement. Le syndicaliste estime que les implications de la répression vont au-delà des syndicats ; elles laissent présager une érosion de la liberté artistique à Hong Kong dans le cadre impérieux de la sécurité nationale.

Autocensure au cinéma

Dans le secteur du cinéma, cette érosion a déjà eu lieu. En août, une ordonnance sur la censure a été introduite, permettant aux autorités de soumettre les films (y compris les titres déjà parus) à un examen minutieux pour déterminer s’ils portent atteinte à la sécurité nationale. Les contrevenants risquent jusqu’à trois ans de prison.

Lorsque le réalisateur Kiwi Chow a entendu parler de l’ordonnance pour la première fois, il a éclaté de rire. « Parfois, on ne peut que rire de toutes ces choses absurdes qui surviennent à Hong Kong », déclare-t-il. « Cela ne me surprend pas. Je m’y attendais. Dans le passé, ils étaient plus subtils. Maintenant, ils sont franchement flagrants. »

Le cinéaste, primé, est apparemment lui-même dans le collimateur des autorités. Une récente projection privée de son drame romantique à succès a fait l’objet d’une descente de police. L’événement a eu lieu peu après la première de son nouveau film, Revolution of Our Times, au Festival de Cannes en juillet. Cette production de 150 minutes, qui constitue une « œuvre journalistique captivante et cruciale » sur les manifestations de 2019, a été incluse à la dernière minute dans le programme de Cannes en qualité de « documentaire surprise », sans doute pour minimiser les éventuelles répercussions diplomatiques avec la Chine.

Cependant, Revolution ne sera pas présenté dans sa ville d’origine. En raison des risques liés à la loi sur la sécurité, M. Chow a vendu les droits du film à un distributeur européen et s’est débarrassé de tout le matériel enregistré du film. Il est le seul membre de l’équipe de tournage à être identifié ; tous les autres sont collectivement désignés comme des « Hongkongais » dans le générique de fin du film.

Une telle prudence était impensable dans le Hong Kong d’avant la loi sur la sécurité nationale, car les cinéastes y avaient toujours joui de liberté de création. Avec les nouvelles règles de censure, M. Chow pense qu’il n’y aura pas d’interdiction à grande échelle, mais que les films liés à la campagne pro-démocratie de la ville seront supprimés. Parallèlement, l’autocensure est fréquente chez les cinéastes locaux.

« Je sais que de nombreux cinéastes de Hong Kong censurent désormais leurs propres films, très fortement. Certains ont supprimé des contenus sensibles afin d’obtenir un permis de diffusion », déclare-t-il. « Il faut s’en prendre à ceux qui répandent la peur. »

M. Chow refuse pourtant de céder. Le réalisateur de 42 ans, dont la filmographie comprend Ten Years, un film dystopique récompensé par plusieurs prix, restera à Hong Kong et continuera à faire les films qu’il souhaite faire. Si la situation se dégrade, il diffusera ses œuvres à l’étranger uniquement.

« L’autocensure est ce que le régime veut de moi. J’essaie d’y résister parce que c’est injuste », déclare-t-il. Il a contacté un avocat et établi des plans d’urgence avec quelques amis au cas où il serait arrêté. Et pourtant, sa vie continue. Il va à la plage avec sa famille et va chercher son fils à l’école comme d’habitude.

« Je ne pense pas que l’on puisse se permettre d’avoir peur. Objectivement, il y a des risques, mais nous avons le choix de vivre dans la peur ou non. J’ai décidé de ne pas me laisser contrôler par la peur. »

Cette attitude inébranlable est également adoptée par Tonyee Chow. « Je fais quelque chose en quoi je crois. Cela me met dans un état d’esprit qui n’est pas malheureux », déclare-t-elle. « Je suis convaincue que le totalitarisme ne peut pas durer éternellement. Je ne sais pas exactement quand il prendra fin… mais cela ne m’intéresse pas tant que ça. Faire ce qui est juste et aller dans la bonne direction me suffit. »

Cet article a été traduit de l'anglais par Charles Katsidonis

Note : Ce reportage a pu être réalisé grâce au financement d’"Union to Union" — une initiative des syndicats suédois, LO, TCO, Saco.