Au Togo, les femmes sont au cœur du développement et du changement politique

Au Togo, les femmes sont au cœur du développement et du changement politique

La rappeuse togolaise Milly Parkeur s’adresse à des jeunes dans une région rurale du Togo durant sa tournée organisée en collaboration avec Plan International.

(Atomik Corporation)

« Quand une femme réussit, c’est tout le village qui réussit. » C’est avec ces mots que la rappeuse togolaise Milly Parkeur commençait son discours à l’intention de filles et garçons de villages au Togo en juin dernier au sujet du consentement dans les rapports sexuels. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest d’environ 7,8 millions d’habitants, les femmes continuent d’affronter au quotidien des défis économiques et sociaux, alors qu’elles constituent le pilier du changement et de la prospérité. Vingt-deux pour cent des Togolaises âgées de 20 à 24 ans se sont mariées pour la première fois avant l’âge de 18 ans, et 22 pour cent des femmes âgées de 15 à 49 ans ont subi la violence physique et/ou sexuelle de leur partenaire intime au moins une fois dans leur vie. En outre, en 2016, le Togo a été classé 134e à l’Indice de l’inégalité fondée sur le sexe par ONU Femmes, indice qui traduit les inégalités entre femmes et hommes en matière de santé reproductive, de pouvoir politique, de réussite dans le domaine éducatif et de participation sur le marché du travail.

Cette tournée de villages éloignés était organisée per le label musical togolais African Real Music Industry (ARMI) en collaboration avec le bureau togolais de l’ONG Plan International. Elle se fondait sur la chanson Toi et moi contre le monde de Milly Parkeur (dont le vrai nom est Glawdys Mensah-Neglopke), qui traite de la problématique du consentement sexuel et des grossesses précoces. « Nous voulions utiliser son image, son exemple, pour montrer que les femmes peuvent réussir et réaliser leurs rêves », a dit le fondateur d’ARMI, « Atomik » Etse Edem Prudencio à Equal Times. « Une grossesse précoce empêche les filles d’avoir les mêmes possibilités que les garçons, car elles doivent quitter l’école. Pourtant, les femmes contribuent à l’évolution du Togo, et ce serait bien plus facile si elles recevaient une éducation. » D’après des données de l’UNICEF, 14 pour cent des femmes âgées de 20 à 24 ans ont déjà eu un enfant avant l’âge de 18 ans.

Étudiante en droit en plus d’être une chanteuse renommée, Milly Parkeur cite le poète Égyptien Hafez Ibrahim lorsqu’elle explique son engagement aux côtés de Plan International : « La mère est une école. Éduquez-la, et vous préparez une grande nation ».

Elle dit que dans son expérience, ce sont les mères qui transmettent les valeurs aux jeunes, ce qui explique pourquoi une mère peut exercer une influence positive sur tout son entourage : « Les femmes travaillent, elles donnent à manger à leur famille et elles occupent une place importante dans l’économie », rappelle-t-elle.

Le bureau au Togo de Plan International compte de nombreux projets destinés à renforcer les capacités des filles et des femmes, qu’il s’agisse de modules de formation à l’exercice de la citoyenneté et à la participation politique ou de programmes sur l’émancipation économique, la santé, l’éducation ou encore sur la prévention des mariages précoces. « Les femmes togolaises sont au cœur du développement », dit Atsu Komi G. Eklu, conseillère chargée des partenariats avec la société civile au bureau de Plan International au Togo. « Mais les défis que les femmes doivent relever limitent leurs activités et les rendent plus vulnérables du point de vue économique. Par exemple, les femmes sont sous-représentées en politique : sur 26 ministres au gouvernement, seulement six sont des femmes, 17 membres du Parlement sur 91, et deux préfètes territoriales sur 39. » Mme Eklu dit à Equal Times que : « L’éducation est essentielle pour l’égalité entre femmes et hommes au Togo, mais celle-ci n’arrivera jamais tant que l’on n’aura pas analysé puis changé les croyances négatives et les normes sociales ».

L’éducation et la sensibilisations sont des activités qui peuvent se développer en ligne, comme l’a découvert l’avocate Mikafui Akue au début de l’année. Sur la base de son expérience personnelle, ayant travaillé sur les droits de la femme avec des organisations locales et internationales, Mme Akue s’est peu à peu attachée à partager son savoir et ses expériences en la matière. « [Lorsque j’étais plus jeune] j’ai eu accès à une bonne éducation et je n’avais pas l’impression d’être victime de discrimination » confie-t-elle à Equal Times. « Mais je me souviens qu’à l’école, une étudiante avait été violée par son professeur, et cela m’a obligée à reconsidérer la question. Du coup je suis devenue co-chef de file d’une association d’étudiants, puis j’ai travaillé avec des ONG, notamment pour donner des conseils juridiques à des femmes victimes de violence conjugale. En outre, je suis devenue mère en juillet 2017. Tout ceci m’a amenée à vouloir davantage m’impliquer personnellement et à œuvrer à bâtir un meilleur avenir pour ma fille. » Sur son blog, Mme Akue parle des droits des femmes, met en exergue la réussite de certaines Togolaises et aborde les défis quotidiens que les filles et les femmes doivent relever ; en outre, elle dispense des conseils sur la manière de surmonter ces problèmes.

Elle souligne que les femmes ont toujours eu une place importante dans la politique togolaise « avant même l’indépendance [d’avec la France en 1960] ». Elle poursuit : « De nos jours, les femmes font partie de l’opposition [contre le Président Faure Gnassignbé, qui est au pouvoir depuis la mort de son père en mai 2005, ce qui fait que la dynastie Gnassignbé règne depuis 50 ans] mais elles sont rarement en première ligne, alors que ce sont souvent les premières à apporter un financement aux groupes d’opposition. Elles sont aussi capables de mobiliser les foules lors des manifestations, mais on continue de les voir comme des acteurs de second rang dans la sphère politique. »

Les femmes en politique : une nécessité dans les moments charnière

Les femmes telles que la militante politique et blogueuse Farida Nabourema font partie de l’histoire politique du Togo. Alors qu’elle avait 13 ans, le père de Mme Nabourema avait été arrêté par les services de l’ancien président, Eyadema Gnassingbé, et c’est cet événement qui l’a poussée à se mobiliser politiquement. Dans les années 90, après avoir adhéré à l’Union des forces de changement, le parti politique de son père, elle a fait partie d’un mouvement étudiant qui exigeait le changement politique dans le pays. Elle s’est aussi ralliée à bon nombre de manifestations organisées par l’opposition. Elle a même fondé, en 2011, le mouvement Faure doit partir !

« Ma mission est de dénoncer l’injustice subie par le peuple togolais et de mobiliser la jeunesse », dit-elle à Equal Times. « Les femmes ont organisé des protestations, elles ont même fait une grève du sexe et des manifestations où elles se rendaient nues, utilisant des symboles culturels et religieux dans leur lutte contre la dictature de Gnassignbé ». Désormais en exil (elle refuse de dire dans quel pays pour des raisons de sécurité), Mme Nabourema continue de diffuser son message en ligne et dans le cadre de conférences internationales sur la paix et la démocratie. Autre figure politique proéminente, Kafui Adjamagbo-Johnson a même été candidate à l’élection présidentielle de 2010 et représente désormais une importante coalition de partis d’opposition.

Les femmes togolaises ont manifestés nues deux fois : en août 2012, à l’issue de la semaine de grève du sexe d’une semaine qui avait été convoquée par le collectif « Sauvons le Togo » en vue de mobiliser les hommes contre le Président Gnassingbé puis, pour les mêmes raisons, en septembre 2017.

Alors que des élections législatives sont prévues le 20 décembre, la participation des femmes à la politique est plus importante que jamais. La situation politique et sociale actuelle est tendue ; en effet les protestations augmentent depuis 2017, et désormais on exige que soit adopté un amendement à la Constitution afin de limiter à deux le nombre de mandats présidentiels.

« Ils commencent à déstabiliser Gnassingbé », affirme Mathias Hounkpe, administrateur de programme pour Open Society West Africa (Osiwa). « Avant, les gens manifestaient uniquement à Lomé [la capitale du Togo], mais maintenant les protestations se font un peu partout. Même dans le fief de Gnassingbé. »

En janvier, la Communauté économique de Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a entamé une médiation auprès du gouvernement et en juillet une feuille de route a été adoptée concernant une profonde réforme politique à mettre en œuvre avant le mois de décembre. « Je crois que le délai a été décidé en vue de faire pression sur le pouvoir », dit M. Hounkpe. « Le 23 septembre, le comité de suivi des réformes a décidé de restructurer la commission électorale afin que des mesures réalistes soient prévues. Compte tenu de tout cela, je pense que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que les élections se tiennent plutôt en février ou en mars. » Reste encore à savoir si les réformes seront adoptées avant ou après les élections.

M. Hounkpe pense que cette fois-ci les électeurs se rendant aux urnes seront plus nombreux (pour les sénatoriales de 2013, 46,93 pour cent de la population électorale avait voté, contre 84,92 pour cent en 2007) justement grâce à la participation des femmes dans les manifestations de protestation et au sein du mouvement d’opposition. « C’est très simple. En général, les femmes ont peur pour les membres de leur famille qui vont manifester ou qui expriment leur opposition. En revanche, si ce sont elles qui protestent et se mobilisent, cela pousse non seulement les jeunes mais aussi les plus âgés à se joindre à la lutte. »

Cet article a été traduit de l'anglais.