Aux États-Unis, ces travailleuses de la santé qui n’ont pas accès à l’assurance maladie

Aux États-Unis, ces travailleuses de la santé qui n'ont pas accès à l'assurance maladie

Cummie Davis, travailleur des soins à domicile et membre de NC Raise Up - une organisation soutenue par le Service Employees International Union - dénonce les bas salaires et les mauvais traitements du personnel de santé.

(NC Raise Up)

Sandra Brown est aide-soignante à domicile à Asheville, en Caroline du Nord, depuis un peu plus d’un an, mais elle travaille dans le secteur de la santé depuis 1993. Au cours de sa carrière, elle a travaillé en tant qu’infirmière auxiliaire certifiée dans des maisons de retraite, dans des hôpitaux, dans un cabinet médical et dans le domaine de la santé comportementale. Pourtant, malgré toute son expérience, son salaire n’est que de 10 dollars de l’heure.

« C’est la première fois que j’ai un job dans le secteur de la santé qui n’offre aucun avantage social », dit Sandra Brown. « Le salaire est le même que celui que je gagnais il y a quinze ou vingt ans. » Et comme beaucoup de travailleurs aux États-Unis, elle ne bénéficie pas d’une assurance maladie. « Donc vous êtes là à fournir des soins de santé et vous, vous ne recevez en retour ni soin de santé, ni filet de sécurité. Est-ce que cela a un sens ? »

Sandra Brown n’est qu’un exemple parmi des millions de soignants faiblement rémunérés à travers les États-Unis, qui suivent les débats politiques et s’organisent avec des travailleurs comme elle pour changer leurs conditions de travail  : la plupart du temps seuls au domicile de leurs patients, fournissant des médicaments et un soutien physique et émotionnel, et tout cela pour des salaires de misère. Avec l’arrivée d’une nouvelle administration démocrate à Washington et l’apparition de la pandémie de Covid-19, le travail des soignants est de nouveau sous les feux des projecteurs, mais il n’est pas certain que les travailleurs voient leurs conditions de travail s’améliorer dans un proche avenir.

Sandra Brown a commencé à travailler dans le secteur des soins à domicile après que son mari s’est vu diagnostiquer un cancer en phase terminale. Un de ses amis ayant reçu l’agrément pour bénéficier de services de soins à domicile, payés par Medicaid [le système public de santé pour les plus démunis, ndlr], lui a demandé si elle accepterait de s’occuper de lui. Cet emploi lui a permis d’être flexible pour prendre soin de son mari et de s’occuper de ses deux filles après le décès de ce dernier. Depuis, elle a commencé à accepter d’autres postes de soignante pour compléter son revenu, mais aucun de ces emplois ne donne droit à des avantages sociaux.

Cummie Davis, elle aussi, travaille dans le secteur des soins depuis des décennies. Elle a commencé dans un établissement de soins infirmiers, puis est passée aux soins à domicile lorsque sa mère est tombée malade. Cela fait plus de 13 ans qu’elle travaille dans le secteur des soins à domicile à Chapel Hill, en Caroline du Nord, mais son salaire stagne.

« Ils ne font rien pour vous inciter à continuer à travailler. En y réfléchissant, la raison pour laquelle je suis encore là, c’est essentiellement parce que j’ai encore des factures qui se succèdent chaque mois et que je dois payer. »

Pour son travail de soins à domicile, qui vient s’ajouter à un autre emploi dans une maison de retraite, elle passe la nuit chez son patient, mais elle n’est pas payée pour la période comprise entre 22 heures et 6 heures du matin. « Je trouve qu’ils devraient nous payer pour avoir dormi là-bas et ne pas avoir été dans notre propre lit cette nuit-là », dit-elle, même si ce n’est pas au même niveau que son taux horaire normal — qui n’est que de 11 dollars de l’heure.

Tant Cummie Davis que Sandra Brown soulignent que le manque de personnel dans le secteur des soins à domicile affecte également les patients et cela de bien des façons. Lors de la pandémie, l’absence d’équipement de protection individuelle — dont elles ont toutes deux fait l’expérience, dans différentes régions de l’État et auprès de différents employeurs — a mis en péril à la fois les travailleurs et les patients. Lorsque Sandra Brown a dû prendre un congé pour subir une intervention chirurgicale, elle a demandé à l’agence si elle avait quelqu’un pour prendre en charge les besoins de son patient. La réponse ? « Nous avons tout le temps dans cette région des patients qui se retrouvent sans soins. » Les amis du patient ont fini par intervenir, puis Sandra Brown est retournée au travail plus tôt que prévu, avant d’avoir reçu l’autorisation médicale, pour s’assurer que son patient recevrait les soins nécessaires.

Les deux femmes sont irritées par le contraste entre, d’une part, la nature essentielle de leur travail — ce qui a été souligné à maintes reprises pendant la pandémie, lorsque les maisons de retraite sont devenues des foyers de contamination et que les soins à domicile étaient encore plus nécessaires — et, d’autre part, leur faible rémunération et les mauvais traitements qu’elles subissent. « Si nous ne le voyons pas sur notre fiche de paie, montrez-moi que je suis un travailleur essentiel  », a déclaré Cummie Davis. « En cherchant à savoir pourquoi nous avons été sous-payés, je pense que c’est à cause du racisme. Et je pense que cela conduit les gens à sous-estimer les aidants. »

Près de 90 % des soignantes à domicile sont des femmes

Des travailleurs comme Cummie Davis et Sandra Brown sont au cœur actuellement d’un vaste débat de politique publique dans les couloirs du Congrès. Le président américain Joe Biden avait initialement proposé d’investir massivement dans les soins à domicile, ce qui permettrait à la fois d’améliorer l’accès aux soins (et donc de créer des emplois) et d’augmenter les salaires des soignants, mais les détails sont encore en cours de discussion entre les démocrates modérés — aucun républicain n’est disposé à soutenir la mesure, même si certains reconnaissent du bout des lèvres la nécessité des soins à domicile — le président et les démocrates progressistes (plus à gauche) de la Chambre des représentants et du Sénat.

Dans son American Jobs Plan, Biden avait prévu 400 milliards de dollars pour les services de soins à domicile, mais cette somme a été réduite à la suite des critiques de démocrates modérés comme Joe Manchin (Virginie occidentale) et Kyrsten Sinema (Arizona). Les pourparlers se poursuivent et Biden a récemment fait part de son engagement en faveur du financement des soins à domicile, mais aucun calendrier n’a été fixé pour l’adoption d’un tel projet de loi et les défenseurs des droits humains notent que le montant réduit - 150 milliards de dollars - est loin d’être suffisant.

Les fonds destinés aux soins à domicile figuraient à l’origine dans le projet de loi sur les infrastructures de M. Biden, qui avait été adopté par le Sénat avec un soutien bipartite, mais les élus républicains ont objecté que les soins à domicile n’étaient pas des infrastructures. Cependant, l’économiste Kate Bahn du Center for Equitable Growth à Washington, D.C., souligne que c’est à cause de préjugés que le travail de soignant, comme une grande partie du travail associé au rôle historique des femmes au foyer, est moins bien rémunéré. « Cela ne reflète pas la valeur économique de ces emplois. »

Le secteur des soins à domicile, note-t-elle, emploie un très grand nombre de personnes et connaît une croissance rapide. Sa taille a doublé entre 2008 et 2018, et on estimait que cette profession était celle qui connaissait la croissance la plus forte aux États-Unis avant que la pandémie de Covid-19 ne vienne renforcer le besoin de travailleurs comme Cummie Davis et Sandra Brown. On sait que 87 % des personnes travaillant dans le secteur de la santé à domicile sont des femmes, et la plupart d’entre elles sont des femmes de couleur comme Mme Davis. Les migrants constituent 31 % de la main-d’œuvre des soins à domicile.

« C’est un secteur qui a été particulièrement affecté par la pandémie, et soutenir ce secteur est donc un moyen vraiment bien ciblé de répondre au fait que les femmes noires et latines ont subi le plus grand nombre de pertes d’emploi lors de la pandémie », a déclaré Mme Bahn.

Elle a également fait observer que dans ce type de travail, il existe un lien direct entre la qualité de l’emploi et les objectifs de santé et de sécurité. « L’ancienneté et la qualité de l’emploi ont un lien direct avec la sécurité. Les travailleurs sont plus performants dans ces emplois lorsqu’ils peuvent les exercer plus longtemps et notamment dans le même poste, et les gens restent beaucoup plus souvent dans un emploi lorsqu’il est mieux rémunéré et de meilleure qualité.  »

Mais dans le cas des soins, le marché n’y pourvoit tout simplement pas  : « Les personnes qui en ont le plus besoin sont celles qui sont le moins en mesure de les payer. » Aux États-Unis, le secteur des soins à domicile n’est pas uniformément public ou privé, mais plutôt un mélange des deux ; une combinaison de recrutement privé et de remboursement par Medicare (pour les personnes âgées) et Medicaid (pour les personnes en dessous d’un certain seuil de revenu). Ces deux programmes sont gérés par les États, ce qui signifie que leur qualité est très variable. Une étude récente a classé la Caroline du Nord, où travaillent Cummie Davis et Sandra Brown, comme le pire État du pays pour ces travailleurs. Selon Mme Bahn, pour résoudre ce problème, il faut une offre publique de meilleure qualité qui permette d’améliorer les salaires et les avantages sociaux des travailleurs dans tout le pays.

Selon elle, un tel investissement constituerait « l’une des mesures de développement économique les plus importantes que nous puissions prendre, car elle pourrait créer des emplois et relever les salaires d’une main-d’œuvre mal payée et durement touchée par la pandémie, ce qui permettrait à d’autres familles de s’engager dans l’économie comme elles le souhaitent  ».

« Parler ne coûte pas cher »

Cummie Davis ne veut pas attendre que le Congrès se décide. « Les paroles ne coûtent pas cher. Ce dont nous avons besoin, c’est de voir des actes concrets, a-t-elle déclaré. C’est vraiment difficile de sortir de cette situation de pauvreté. Nous ne sommes pas valorisés pour le travail que nous faisons. »

Cummie Davis et Sandra Brown font toutes les deux parties de NC Raise Up, une organisation soutenue par le syndicat Service Employees International Union dans le cadre de sa campagne "Fight for 15". Cette campagne a débuté dans le secteur de la restauration rapide en 2012 et s’est étendue depuis à de nombreux secteurs à bas salaires. Mme Davis se souvient de la première manifestation à laquelle elle a participé  : « C’était tellement intense. C’était puissant, de nous voir protester ensemble. C’était la meilleure chose que je pouvais faire.  »

« Chaque fois qu’on peut parler à quelqu’un qui vit la même chose que soi, on se sent mieux de savoir qu’on n’est pas seul à se battre. »

Cummie Davis avait déjà occupé un emploi syndiqué, et les avantages accordés étaient bien supérieurs à ceux dont elle bénéficie actuellement dans le secteur des soins à domicile. Mais de nombreux travailleurs de Caroline du Nord ne savent même pas que la syndicalisation est possible dans leur État.

Lorsque Cummie a entendu parler d’une campagne de syndicalisation dans un hôpital local, cela l’a surprise et l’a incitée à s’impliquer elle-même dans le mouvement syndical. Depuis lors, elle a rejoint l’équipe de travailleurs sociaux de Raise Up en Caroline du Nord occidentale et a pris part à des réunions publiques et à des journées d’action. Elle a également participé à la collecte de signatures pour une pétition et une déclaration rédigées par des travailleurs de la santé de Caroline du Nord, réclamant des conditions de travail plus sûres, une revalorisation des salaires et des avantages sociaux, et l’adoption du plan de 400 milliards de dollars proposé par le président Biden pour les travailleurs de la santé.

Cummie Davis et Sandra Brown espèrent que leur organisation, aux côtés d’autres travailleurs qui ont permis à l’État de fonctionner pendant la pandémie, changera la manière dont leur travail est perçu - et dont il est rémunéré. « Nous regroupons les services alimentaires, l’industrie, l’hôtellerie — tous les emplois à bas salaire, en gros — et les épiceries, explique Sandra Brown. Tous ces travailleurs que les gens ont qualifiés de travailleurs essentiels et de héros, et pourtant nous nous retrouvons ici sans rien et sans aucune protection.  »

Cummie Davis conclut  : « La société a cessé de considérer comme essentiels les services que nous rendons à nos concitoyens pour les aider à mener leur vie quotidienne. Elle estime qu’il est normal de nous payer seulement 10 dollars alors que nous devrions être payés bien au-delà de 15 dollars de l’heure. Mais 15 dollars de l’heure, ce serait déjà un bon début. »

Cet article a été traduit de l'anglais.

Note : Cet article est une version actualisée d’un article qui a été publié à l’origine par HesaMag de l’Institut syndical européen dans son numéro 24 (automne 2021).