Aux États-Unis, la bataille autour de l’immigration s’intensifie

News

Alors que leur différend avec le président Barack Obama s’intensifie, les membres républicains de la Chambre des représentants des États-Unis ont passé un projet de loi qui coupera tout financement au département de la Sécurité intérieure (Department of Homeland Security) pour avoir suspendu la déportation de personnes sans papiers.

En décembre, le président à donné ordre à ce département de différer temporairement, à compter du printemps prochain, la déportation d’immigrants sans papiers ayant des enfants nés aux États-Unis (et qui sont donc des citoyens américains).

Un précédent ordre du président Obama avait suspendu l’expulsion de jeunes migrants sans papiers arrivés aux États-Unis alors qu’ils étaient encore enfants.

Le projet de loi républicain abrogerait les deux ordres.

Un nouveau Congrès à majorité républicaine est entré en fonctions en janvier. Le Département de la sécurité intérieure devra recevoir des fonds du Congrès d’ici au 27 février, sans quoi il pourrait être fermé.

Le président Obama a menacé d’opposer son véto à ce projet de loi et bien que le Sénat réunisse suffisamment de votes républicains pour le faire adopter, ces votes ne sont pas suffisants pour passer outre à un véto.

Le mouvement syndical américain soutient les procédures de report et s’oppose aux expulsions massives qui atteignent désormais au total plus de deux millions de personnes sous la présidence Obama – soit environ 400.000 par an.

Richard L Trumka, président de l’AFL-CIO a averti, suite à l’élection de la majorité républicaine, que leur proposition de définancement « exacerberait l’exploitation et contraindrait les membres de notre communauté à continuer à vivre et à travailler dans la peur ».

Selon Guillermo Perez, président du Pittsburgh Labor Council on Latin American Advancement, la tâche du mouvement syndical est de veiller à la mise à exécution de l’ordre de report du président Obama, pour « nous aider à organiser les lieux de travail dont l’effectif inclut un nombre important de personnes sans papiers ».

Sa position était partagée par Joe Hansen, président du syndicat United Food and Commercial Workers. « Une mesure exécutive n’est pas tout ce dont nous avons besoin ni ce que nous méritons », a-t-il dit. « Mais c’est tout de même un pas dans la bonne direction. »

 

Controverse

La plus récente mesure exécutive d’Obama et, en particulier, les conditions rattachées aux reports temporaires ont, cependant, suscité énormément de controverse chez les syndicats et les militants des droits des migrants.

Les employeurs du secteur des technologies de pointe, par exemple, seront autorisés à faire venir aux États-Unis des travailleurs recrutés dans le cadre de programmes de sous-traitance, qu’ils rémunéreront à une fraction du salaire des résidents américains.

Plus de 900.000 travailleurs arrivent déjà chaque année aux États-Unis dans le cadre de ces programmes, qui n’ont pas manqué de susciter des critiques en raison des faibles droits dont disposent ces travailleurs.

Par ailleurs, plusieurs organisations ont aussi critiqué l’ordre de l’administration du fait qu’il durcit l’application des règles d’immigration.

À l’heure actuelle, la législation américaine interdit à toute personne dépourvue du statut d’immigré légal de travailler, or environ 12 millions de personnes le font de toute façon.

En vertu de l’ordre du président Obama, entre quatre et cinq millions de personnes, au plus, obtiendront leur permis de travail.

Mais parallèlement à cela, le Département de la sécurité intérieure renforcera la mise en application de la loi contre les millions d’autres qui n’auront pas de permis.

La dernière décennie a vu des centaines de milliers de travailleurs de l’agriculture, du conditionnement de la viande, de la construction, des services de construction, du secteur manufacturier et d’autres industries perdre leur emploi à l’issue de contrôles sur les lieux de travail.

La quasi-majorité d’entre eux étaient syndiqués et les licenciements n’ont pas manqué de soulever un flot de récriminations au sein du mouvement syndical.

Des centaines de travailleurs ont, par exemple, été licenciés au cours d’une campagne d’organisation dans une chaîne de supermarchés californienne.

Pour Gerardo Dominguez, directeur de l’organisation dans la section Local 5 du syndicat United Food and Commercial Workers, les licenciements constituent « une catastrophe économique pour la zone de la Baie de San Francisco. Ces travailleurs paient des impôts qui soutiennent les écoles et les services locaux. Le licenciement sur la base du statut migratoire constitue une atteinte à leurs droits humains et civils. Leurs familles et notre communauté tout entière en sortiront lésées, tandis que l’inégalité et la pauvreté augmenteront. »

D’autre part, le président a annoncé que des ressources encore plus considérables seront consacrées à la sécurisation de la frontière États-Unis/Mexique, où des centaines de personnes meurent chaque année.

« Une application renforcée implique qu’encore plus de gens perdront la vie en tentant de traverser et que des violations accrues des droits civils et humains surviendront au sein de nos communautés frontalières », selon la Coalicion de Derechos Humanos , organisation pour la défense des droits des migrants basée à Tucson, Arizona, alliée du mouvement syndical.

« Nous nous devons de démilitariser la frontière et non d’intensifier sa militarisation. Les États-Unis dépensent déjà plus d’argent sur l’exécution des règles d’immigration que la somme des autres programmes fédéraux chargés de l’application de la loi, y compris les tribunaux irréguliers de la tristement célèbre Operation Streamline. Il serait inexcusable de dépenser encore plus. »

Le président Obama a aussi annoncé qu’il augmenterait le nombre de prisons privées réservées aux migrants et reverrait à la hausse le nombre autorisé de détenus par prison.

Un centre de ce type, le South Texas Family Residential Center, a déjà été construit au Texas pour l’internement de plus de 2400 enfants et adultes d’Amérique centrale.

La détention d’enfants en provenance d’Amérique centrale a été durement critiquée par l’AFL-CIO.

Une mission récente au Honduras dirigée par le vice-président de la fédération, Tefere Gebre, a même exhorté le gouvernement hondurien de refuser l’entrée dans le pays de personnes déportées depuis les États-Unis si celles-ci n’ont pas été autorisées à exercer leur droit légitime de demande d’asile.

 

Politiques de libre-échange

D’après de nombreuses organisations de défense des droits des travailleurs et des migrants, toutefois, les migrants d’Amérique centrale, du Mexique et d’ailleurs ont été poussés à l’émigration par les accords de libre-échange et autres politiques économiques imposées par le gouvernement des États-Unis.

Cela n’a pourtant pas empêché l’administration Obama de demander le feu vert du Congrès dans le cadre de la procédure de ratification du Partenariat transpacifique, accord de libre-échange qui couvre 12 pays du pourtour du Pacifique.

Le Dignity Campaign, réseau de syndicats, de comités de travailleurs et d’organisations des droits des migrants locaux, a averti :

« L’expérience de deux décennies avec l’ALENA nous montre que ces traités poussent les gens vers la pauvreté et entraînent une augmentation des déplacements et des migrations mondiales, cependant que des emplois sont supprimés aux États-Unis.

« Une politique d’immigration judicieuse voudrait que nous mettions un terme à ces accords de libre-échange. Nous devons revoir la législation migratoire et la politique commerciale des États-Unis afin de nous attaquer aux causes fondamentales de la migration et garantir les droits humains et civils, ainsi que les droits du travail pour les migrants et l’ensemble des travailleurs. »

L’ordre exécutif d’Obama ne modifiera pas la législation américaine – seul le Congrès est investi du pouvoir de légiférer. La seule chose qu’il peut modifier, c’est la manière dont la législation en place est appliquée.

Aussi n’est-il pas à exclure qu’une nouvelle administration élue en 2016 puisse la révoquer et, par-là même, expulser les personnes qui ont introduit des demandes de report. Ce risque a déjà dissuadé une partie des demandeurs potentiels.

« Le plus difficile c’est d’amener ces gens à introduire une demande, de leur obtenir un statut légal et de faire en sorte qu’ils ne le perdent jamais », dit Perez.

« Si nous n’arrivons pas à inscrire suffisamment de personnes au programme il y a d’autant plus de chance que celui-ci soit supprimé. Comme j’aimerais voir les locaux syndicaux aux quatre coins du pays ouvrir leurs portes et servir de centres d’accueil où les gens pourraient obtenir des informations utiles sur la procédure de demande. Ça serait merveilleux. »