Avec l’entrée en bourse d’Uber, la lutte contre son modèle économique défaillant se poursuit

L’entreprise Uber se positionne sur le marché comme une « innovation disruptive » qui reconfigure les marchés mondiaux du transport qui s’étendent à travers de nombreux pays et secteurs.

Véritable symbole des entreprises de plates-formes, Uber a fait son entrée en bourse la semaine dernière dans ce qui aurait dû être l’une des plus importantes introductions en bourse de l’histoire. Mais l’entreprise, qui n’a jamais été rentable, a déjà revu son objectif de valorisation à la baisse.

Sous le vernis rutilant d’Uber se cache un modèle économique défaillant. Uber ne crée pas d’emplois. L’entreprise se contente de remplacer les emplois – en optant pour une réduction des coûts grâce à une gigantesque force de travail composée de sous-traitants indépendants à qui elle ne garantit pas de salaire, d’heures, d’avantages sociaux ou encore de sécurité sociale.

Uber a fait le pari, avec le soutien du capital-risque, que ces types de plates-formes commerciales seraient acceptées même si elles ne parviennent pas à décrocher une licence sociale leur permettant d’opérer dans de nombreux pays où elles sont implantées.

Les investisseurs décident désormais s’ils souhaitent miser sur une société dont les rapports financiers font état de pertes substantielles et dont le modèle économique engendre d’importants risques sur le plan juridique, réglementaire et de la réputation.

Il s’agit tout simplement d’un mauvais pari.

Uber doit affronter les mêmes obstacles de rentabilité que Lyft, son principal concurrent, qui est entré en bourse en mars et a vu la valeur de ses actions chuter de 31 % en quelques semaines. Les recettes de covoiturage des deux entreprises sont générées par les commissions prélevées sur les tarifs passagers.

Afin de réaliser des bénéfices, elles doivent offrir une rémunération suffisante pour retenir les conducteurs, maintenir des tarifs passagers suffisamment bas que pour proposer des prix inférieurs à ceux des autres modes de transport et créer de la valeur pour leurs investisseurs.

Ce modèle ne donne à Uber qu’une très faible marge pour dégager des bénéfices. À maintes reprises, l’entreprise a réagi à cette pression en réduisant ce que les conducteurs peuvent gagner plutôt qu’en augmentant ce que les passagers doivent payer. Toutefois, les chauffeurs ont riposté en organisant des guildes de conducteurs, des arrêts de travail à l’échelle de villes entières et des procès en recours collectif partout dans le monde.

La plupart de ces procès allèguent qu’Uber a indûment classifié les conducteurs comme des sous-traitants indépendants plutôt que comme des employés. Ces classifications abusives ont parfois donné lieu à une jurisprudence et à des verdicts aux conséquences plus profondes sur les normes d’emploi dans tous les domaines.

Certains tribunaux ont statué en faveur d’Uber, avec des conséquences néfastes pour les travailleurs dans les secteurs directement visés et même au-delà de ceux-ci. En revanche, d’autres tribunaux ont imposé d’importantes restrictions opérationnelles voire purement et simplement interdit l’entreprise et ses concurrents du secteur du covoiturage. Pas plus tard que cette semaine, le verdict rendu par un tribunal suisse a ouvert la voie à la reconnaissance des conducteurs d’Uber en qualité d’employés, en lieu et place du statut maquillé de « sous-traitant indépendant » que l’entreprise les oblige à accepter.

En 2017, la plus haute juridiction de l’UE a infligé un sérieux revers à l’entreprise en classant Uber dans la catégorie des services de transport et en supprimant les protections contre la réglementation nationale qui découlaient de sa classification antérieure dans la catégorie des services numériques. Tous les regards sont désormais rivés sur la Californie — l’un des principaux marchés d’Uber — où une loi fondée sur une décision de la Cour suprême qui restreint la définition des sous-traitants est actuellement discutée en assemblée législative, avec des implications potentielles importantes pour les chauffeurs de services de covoiturage.

Les chauffeurs de taxi se sont également dressés contre Uber, en organisant des grèves et en collaborant avec les collectivités pour pousser les gouvernements à imposer des restrictions au covoiturage. Des réglementations interdisant certains services de covoiturage d’Uber ou imposant d’importantes restrictions opérationnelles ont été adoptées dans des marchés clés, notamment en Argentine, en Allemagne, en Corée du Sud, en Espagne, en Italie et au Japon. En 2018, la ville de New York est devenue la première juridiction des États-Unis à imposer une structure tarifaire pour les chauffeurs pour compte d’autrui, répondant en partie à une vague de suicides de chauffeurs de taxi attribués à la prolifération du covoiturage.

Tous ces événements ont donné mauvaise presse à Uber, qui a également fait l’objet de poursuites pour harcèlement sexuel, d’allégations de discrimination sexuelle, de scandales de gouvernance d’entreprise et de grèves des chauffeurs de taxi au fil des années. Pourtant, rien ne semble avoir eu d’impact. Bref, malgré un généreux afflux d’investissements privés, un impressionnant travail de lobbying et des frais juridiques considérables, l’entreprise a toujours du mal à générer des revenus et à obtenir sa licence sociale pour exercer son activité.

En tant que société cotée en bourse, Uber devra maintenir sa croissance et rechercher la rentabilité pour convaincre les investisseurs de sa valeur.

Pour les travailleurs, cela ne peut que constituer une mauvaise nouvelle. Dans son prospectus d’introduction en bourse, l’entreprise le déclare sans ambages : « comme nous nous efforçons de réduire les avantages des Conducteurs afin d’améliorer notre performance financière, nous nous attendons à une augmentation générale du mécontentement des Conducteurs. »

Uber est à la fois un symbole et un vecteur des nouveaux modèles économiques des plates-formes. L’entreprise a joué un rôle fondamental dans l’établissement d’un modèle fondé sur la rupture des relations de travail. Pourtant, elle n’a pas suffisamment perturbé le marché des transports que pour dégager des revenus suffisants avec ses services en covoiturage. La résistance qu’Uber a rencontrée de la part des chauffeurs, des travailleurs et des collectivités a été déterminante dans la mise en place d’obstacles sur la voie de la rentabilité de l’entreprise.

Le mouvement syndical international se bat contre le modèle économique d’Uber et s’est organisé pour faire respecter les droits des travailleurs.

Uber passant d’une société privée à une société dont les actions seront échangées à la Bourse de New York, la CSI continuera de défendre le droit des conducteurs à un salaire stable, des heures régulières, des avantages sociaux, une sécurité sociale et tout autre avantage qu’un employeur qui se respecte est censé accorder à tous ceux qui permettent en fait à son entreprise de rester à flot.