Cinq ans après le lancement de Recruitment Advisor, la main-d’œuvre migrante accède toujours difficilement au travail décent

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Ce mois d’avril marque le cinquième anniversaire du lancement de la plateforme en ligne RecruitmentAdvisor.org. Hébergée par des syndicats indépendants avec l’appui de la Confédération syndicale internationale (CSI), cette plateforme aide les travailleuses et travailleurs migrants du monde entier à accéder à un recrutement équitable et au travail décent. Mis sur pied dans le but de protéger la main-d’œuvre migrante contre les pratiques abusives en matière d’emploi, ce site web fournit des informations essentielles sur les agences pour l’emploi et les droits du travail.

Sa création avait bénéficié du soutien de l’Initiative de l’Organisation internationale du travail (OIT) pour un recrutement équitable, lancée suite à l’adoption du Protocole et de la Recommandation de l’OIT sur le travail forcé en 2014. Le Protocole relatif à la Convention sur le travail forcé est désormais en vigueur dans plus de 50 pays.

Néanmoins, selon de récentes estimations mondiales, le travail forcé concernerait encore 27,6 millions de personnes. Les pratiques injustes de recrutement augmentent le risque d’une exploitation extrême de la main-d’œuvre et empêche celle-ci de se rapprocher du travail décent.

À l’appui des appels à l’action contre la servitude par la dette, la traite des personnes et le travail forcé – phénomènes auxquels la main-d’œuvre migrante est trois fois plus exposée – les syndicats ont fait une promotion vigoureuse des Principes généraux et directives opérationnelles concernant le recrutement équitable de l’OIT (2016) afin d’influer sur la législation et les politiques nationales en matière de recrutement équitable et de migration sûre.

Qu’il s’agisse de dialogue social ou de discussions tripartites, ou encore d’activités de sensibilisation et d’organisation des travailleurs migrants au niveau local, les syndicats s’attachent à protéger les travailleuses et travailleurs contre toute exploitation, dans un environnement caractérisé aujourd’hui par un taux de chômage élevé et une concurrence intense entre chercheurs d’emploi, situation qui a en outre été exacerbée par la Covid-19. Recruitment Advisor a constitué un outil précieux dans ce cadre. Cependant, en dépit des progrès réalisés grâce à la plateforme, des défis nombreux et complexes demeurent.

Même dans ce nouveau cadre juridique et malgré l’engagement de nombreux gouvernements à faire en sorte que le recrutement ne comporte pas de frais, la main-d’œuvre migrante continue de payer des frais exorbitants pour trouver un emploi à l’étranger.

Grâce à Recruitment Advisor, les syndicats sont en mesure de recueillir en ligne des faits signalés par les travailleurs et, dès lors, de présenter des données exactes à la table des négociations avec les pouvoirs publics et les entreprises afin de s’assurer que les politiques concernant les frais de recrutement soient modifiées.

Par exemple, selon un rapport de 2022 publié par la Fédération générale des syndicats népalais (GEFONT), moins de 2 % seulement des 1.593 Népalais ayant migré pour travailler et partagé leur expérience sur Recruitment Advisor n’ont pas eu à payer de frais de recrutement ou d’autres coûts liés à leur recrutement. En moyenne, ils ont payé 855 dollars US pour trouver un emploi à l’étranger, indique le rapport.

Dans la même veine, l’Organisation centrale des syndicats du Kenya (COTU-K) a signalé que 76 % des personnes recrutées avaient eu à payer des frais de recrutement ou d’autres coûts tels que tests médicaux, orientation, formation, voyage et logement. Ces données réaffirment la nécessité d’améliorer les politiques et d’accroître les inspections pour remédier au problème des frais de recrutement imposés à la main-d’œuvre, puisque ceux-ci sont à l’origine de l’asservissement par la dette qui entraîne les personnes qui en sont affectées vers le travail forcé.

Une approche novatrice pour organiser la main-d’œuvre migrante

Comme indiqué dans l’Indice CSI des droits dans le monde 2022, 113 pays ne permettent pas aux travailleurs d’exercer leur droit à constituer un syndicat ou à y adhérer. Cette tendance est le reflet aussi des principales conclusions d’un rapport de Recruitment Advisor de la même année, réalisé avec l’appui de la Confédération indonésienne du travail (KSBSI) montrant que 80 % des travailleurs n’ont pas accès à un syndicat, et que quiconque établit un syndicat est susceptible d’un licenciement arbitraire ou d’une expulsion immédiate.

Alors que les syndicats du monde entier continuent de faire face à des défis complexes pour organiser la main-d’œuvre, notamment migrante, Recruitment Advisor a été amplement utilisée comme un outil d’organisation par les syndicats afin d’interagir avec la main-d’œuvre migrante et gagner sa confiance.

En outre, les syndicats qui utilisent la plateforme sont parvenus à coopérer davantage avec d’autres organisations syndicales des pays d’origine ou des pays de destination.

De tels efforts restent fondamentaux pour édifier le pouvoir collectif des travailleurs migrants afin de protéger leurs droits.

Par exemple, un syndicat affilié à la Fédération générale des syndicats du Bahreïn (GFBTU) a réussi, dans une entreprise qui avait recruté plusieurs milliers de personnes provenant d’Asie du Sud pour travailler au nettoyage, à faire en sorte que près de1.000 d’entre elles adhèrent au syndicat ce qui lui a permis de négocier avec succès une convention collective mise à jour, avec une revalorisation salariale pour tous les effectifs. Le Bahreïn est l’un des premiers pays de destination dans lesquels la centrale nationale utilise Recruitment Advisor et en fait la promotion.

Mais si nous voulons parvenir à transformer fondamentalement l’économie au bénéfice de l’ensemble de la main-d’œuvre, y compris migrante, nous aurons besoin d’un nouveau contrat social, qui garantisse les emplois, les droits, la protection sociale universelle, l’égalité et l’inclusion pour toutes et tous. Or, il ne sera pas possible d’atteindre cet objectif tant que l’on n’aura pas mis sur pied un processus de recrutement équitable, qui est la première phase du travail décent.

Dans l’idéal, avec un accès généralisé à internet et avec la maîtrise du numérique à la portée de tous et toutes, il est tout à fait possible de promouvoir une nouvelle manière pour les travailleurs d’utiliser la technologie, et Recruitment Advisor pourrait alors réaliser son plein potentiel en tant que ressource mondiale en ligne œuvrant à la solidarité au sein d’une communauté de travailleuses et de travailleurs qui mettront en commun leurs expériences de recrutement.

La difficulté, c’est que contrairement aux plateformes commerciales où les clients sont invités à évaluer les services des prestataires, la main-d’œuvre migrante est souvent réticente à partager son vécu parce qu’elle craint d’être mise sur liste noire ou de perdre son emploi.

C’est pourquoi la CSI va continuer d’apporter son appui à Recruitment Advisor et à d’autres initiatives qui recourent aux technologies innovantes dans le but de protéger les droits des travailleurs et de renforcer leur pouvoir.

Nous souhaitons également collaborer avec celles et ceux qui organisent des activités de promotion du recrutement équitable et qui voudraient utiliser la plateforme, à la condition que celle-ci demeure autonome et continue de protéger les travailleurs. Elle offre une opportunité unique de mener à bien une vérification indépendante des pratiques de recrutement dans n’importe quel pays ou dans un secteur donné. Ce n’est qu’en réunissant nos forces que nous pourrons réellement œuvrer à ce qui apparaît désormais comme un objectif commun des pouvoirs publics, des entreprises et des travailleurs : le recrutement équitable et le travail décent pour garantir le bon fonctionnement du marché du travail.

Pour des informations complémentaires, utiliser les données recueillies par Recruitment Advisor ou rejoindre l’initiative, veuillez écrire à l’adresse [email protected].