Compétitivité, croissance et emploi en Europe : les bienfaits de l’adoption de l’égalité de genre dans les sciences et les technologies

Compétitivité, croissance et emploi en Europe : les bienfaits de l'adoption de l'égalité de genre dans les sciences et les technologies

Monica Passananti (left), postdoctoral fellow in physics, and Golnaz Roudsari (right), a PhD student in theoretical physics, at the Atmospheric Mass Spectrometry & Atmospheric Physical Chemistry Laboratory of the Physics Department of Helsinki University.

(Marta Checa)

Pourquoi le nombre de femmes qui choisissent puis font toute leur carrière dans les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques (STIM) est-il si réduit ? En effet, elles n’occupent qu’à peine 2 emplois sur 10 et ne représentent que 22 % des diplômés de ces secteurs dans l’UE.

Plus important encore : comment mettre un terme à cette sous-représentation, sachant que les STIM demandent beaucoup de sacrifices et sont donc moins attrayantes pour tous, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, tout en constituant cependant les domaines les plus prometteurs en termes d’opportunités d’emploi dans le cadre de la quatrième révolution industrielle dans laquelle nous sommes engagés ?

La ségrégation fondée sur le genre, tant dans le monde de l’éducation que dans le monde du travail, qu’elle soit verticale (concentration d’un genre dans certaines études, certains niveaux de responsabilité ou postes) ou horizontale (concentration d’un genre dans certains domaines, la majorité d’entre eux dans les STIM, la majorité d’entre-elles dans l’éducation, la santé et le bien-être, pour plus de 60 %) représente une réalité dans toute l’Union européenne.

L’Institut européen pour l’égalité entre les femmes et les hommes (EIGE) note que dans les secteurs des STIM et de l’éducation, de la santé et du bien-être, où la ségrégation entre les sexes est la plus marquée, aucune amélioration n’a été observée au cours de la dernière décennie et que celle-ci s’est maintenue à un niveau élevé de manière persistante.

Dans son rapport du mois d’octobre 2017 sur la Ségrégation entre les sexes dans l’éducation, la formation [professionnelle] et le marché de l’emploi pour le Conseil, l’EIGE insiste : « La ségrégation entre les sexes réduit les choix de vie, les options en matière d’éducation et d’emploi, entraîne des inégalités salariales, renforce les stéréotypes sexistes et limite l’accès à certains emplois, tout en perpétuant une inégalité des rapports de pouvoir entre les sexes dans les sphères publique et privée, » et est à l’origine, entre autres, de la pénurie de professionnels dans les domaines des STIM, ainsi que de l’inefficacité et de la rigidité du marché du travail.

De surcroît, dans son Indice de l’égalité de genre 2017 publié en octobre dernier, l’EIGE indique que, souvent, « les femmes acceptent des emplois dans des secteurs qui se caractérisent, généralement, par de faibles salaires, un statut inférieur, une faible valeur, de piètres perspectives d’emploi, moins d’options pour le développement des compétences et souvent avec des conventions d’emploi informelles. » Ces éléments sont non seulement à l’origine de l’écart salarial entre les hommes et les femmes, « mais aussi du fossé entre les hommes et les femmes qui existe en matière de pensions et de la dépendance économique des femmes tout au long de leur vie. »

Le Forum économique mondial prévient par ailleurs que « la lenteur du processus de transition vers la parité entre les sexes (particulièrement dans la sphère économique) entraîne un risque important, car de nombreux postes, occupés en majorité par des femmes, risquent d’être proportionnellement les plus affectés par la prochaine ère de progrès technologiques, communément appelée la quatrième révolution industrielle ».

Il n’est donc pas surprenant que cette ségrégation se reflète aussi dans les prix Nobel. Sur les 923 lauréats depuis 1901 (dont 27 organisations), seuls 48 sont des femmes (pour un total de 49 distinctions ; Marie Curie en cumulant deux), dont 16 ont reçu le prix Nobel de la paix, 14 le prix de Littérature et 12 le prix en Médecine. Ou d’ailleurs dans les prestigieux fonds de recherche du Conseil européen de la recherche (CER, une institution qui a pris des mesures pour ne pas pénaliser la maternité) : les bourses Advanced Grants, dont 16 % ont été attribuées à des chercheuses en 2017 et les bourses Consolidator Grants, dont les femmes représentaient 32 % des lauréats.

La méthode scientifique et les droits de l’homme

Plusieurs arguments pourraient une fois pour toutes abattre les obstacles et le dénigrement dont ont souffert les femmes dans les STIM tout au long de l’Histoire – depuis les astronomes Maria Kirch et Mina Fleming à la première programmeuse Ada Lovelace en passant par la mathématicienne Emmy Noether et la chimiste Rosalind Franklin. Des obstacles spécifiques tels que le « plafond de verre », les « planchers collants », les « biais implicites » ou l’« écart salarial » se rajoutent à la difficulté intrinsèque de la discipline et font obstacle à des millions de femmes à travers le monde qui souhaitent rejoindre les rangs des STIM (ou les poussent à s’abstenir, phénomène connu sous le nom de « fuites dans le réservoir de talents »).

Parmi ces arguments, le plus évident est la méthode scientifique : « Faites tout ce qui est en votre pouvoir pour ne pas vous convaincre vous-même que quelque chose est vrai alors que ce n’est pas le cas, ou que quelque chose n’est pas vrai quand c’est bien le cas », comme le résume l’astrophysicien et vulgarisateur scientifique Neil deGrasse Tyson.

En d’autres termes, bien que les études aient permis de démentir les idées reçues, à savoir que le problème de la sous-représentation des femmes dans les facultés de STIM se rééquilibrera naturellement avec le temps, que le milieu universitaire est un environnement basé sur la méritocratie ou que les femmes dans ces domaines sont moins productives et moins compétitives que leurs collègues masculins, le monde scientifique et des technologies se révèle être particulièrement peu souple lorsqu’il s’agit de se conformer aux données disponibles (qui, au bout du compte, mettent en lumière un problème de ségrégation et de discrimination entre les sexes).

L’argument des droits de l’homme ne semble pas non plus enrayer le problème (en effet, des formes plus subtiles de sexisme apparues récemment en Allemagne, en France, en Hongrie, en Pologne ou en Slovaquie viennent s’ajouter aux menaces latentes qui pèsent sur la parité hommes-femmes dénonce la FRA, l’Agence européenne des droits fondamentaux).

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne interdit toute inégalité fondée sur le sexe et affirme que l’égalité « doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération ».

En outre, la FRA souligne dans son rapport Défis pour les droits humains des femmes dans l’UE que l’inaction de l’UE et des États membres à ce propos entraînera l’échec de « la réalisation des objectifs — entérinés par l’UE et les 28 États membres — en matière d’égalité entre les femmes et les hommes et d’émancipation de toutes les femmes et filles à l’horizon 2030 », cibles qui font partie des Objectifs de développement durable des Nations unies (et qui appellent à l’élimination de la discrimination, de la violence et des pratiques dommageables à l’encontre des femmes et des filles et à leur pleine participation à la vie politique, économique et publique).

En ce sens, la FRA résume : « que les stéréotypes sexistes répandus empêchent les femmes et les filles de jouir pleinement de leurs droits et renforcent les aspects structurels de l’inégalité entre les femmes et les hommes ».

L’agence européenne estime que les femmes sont confrontées à une inégalité de genre structurelle courante dans le monde du travail. Dans un sondage mené en 2012, la FRA concluait que 14 % des femmes avaient ressenti une discrimination en rapport avec leur sexe à un moment donné de leur vie professionnelle. Ce sentiment de discrimination croît d’autant plus que le niveau d’éducation est élevé : il atteint 22 % pour les femmes ayant fait des études universitaires. Et, dans le cas des femmes occupant des postes de direction, ce pourcentage atteint 28 %.

« Même si la loi me protège, à dire vrai, j’ai dû jongler (en tant que mère et scientifique). Ce domaine est un club d’hommes et les hommes ont tendance à se soutenir entre eux. Donc, plus on est dans le club des hommes, plus on a d’opportunités. Cela veut dire que tu dois devenir l’un d’entre eux, et c’est ce que j’ai fait. Je déteste ça, par principe fondamental d’égalité. Mais c’est comme ça, vos connaissances ne sont pas ce qu’il y a de plus important. Dans cette société [néerlandaise], on s’attend à ce que la femme consacre du temps pour s’occuper des enfants. Je veux que l’on me juge sur la base de mes connaissances scientifiques, pas parce que je suis une “femme”, une “mère”, une “épouse”, ou alors, si c’est cela que l’on souhaite juger, je devrais être considérée comme une “personne cumulant 10 emplois” », nous déclare une scientifique titulaire d’un postdoctorat en biologie moléculaire, virologie et immunologie originaire de l’ex-Yougoslavie qui a partagé toute sa carrière entre le Royaume-Uni et les Pays-Bas, pays où elle travaille actuellement.

Toutefois, en théorie du moins, l’Europe est le continent offrant aux femmes les meilleures conditions pour travailler dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques. Malgré les différences importantes entre tous les pays, dans le cadre d’une analyse globale, l’Europe occupe la première place dans le classement du Forum économique mondial sur la réduction de l’écart entre les femmes et les hommes (sur la base de quatre domaines : la réussite scolaire, la santé et la survie, les opportunités économiques et l’autonomisation politique, dans 144 pays au total).

Selon ce rapport, l’Europe occidentale est le champion de la résorption des disparités entre les sexes ; l’Islande, la Norvège, la Finlande et la Suède occupant quatre des cinq premières places.

Au niveau communautaire, il existe plusieurs initiatives pour mettre fin à la ségrégation entre les sexes dans l’éducation, la formation et le marché du travail : la plus récente est le Socle européen des droits sociaux, qui coexiste notamment avec le cadre stratégique « Éducation et formation » (ET 2020), la stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente, durable et inclusive ainsi que l’engagement stratégique de l’UE en faveur de l’égalité des sexes (2016-2019), qui identifie l’indépendance économique des femmes et des hommes comme étant un domaine prioritaire. À ces initiatives s’ajoute également l’engagement de l’UE en faveur du Programme d’action de Pékin (BPfA des Nations unies).

Au niveau national, non seulement il existe notamment une législation sur l’égalité salariale depuis plus de trois décennies, mais au cours de la dernière décennie, de nombreux gouvernements ont pris des mesures pour combler cet écart : de la législation nationale intégrant la thématique de la parité hommes-femmes aux accords avec les acteurs sociaux en passant par des plans d’égalité, la sensibilisation, etc. Au Royaume-Uni, par exemple, depuis avril 2017, toute entreprise employant plus de 250 salariés est tenue de déclarer l’écart salarial.

Cependant, l’engagement au niveau de l’État et de la communauté demeure insuffisant : « Pour le moment, les politiques de l’UE visant à réduire la ségrégation entre hommes et femmes n’inversent pas la tendance ou n’ont que peu d’impact. Des actions supplémentaires et une mise en œuvre plus poussée sont nécessaires, » a expliqué Jolanta Reingarde, chercheuse et analyste de l’EIGE, au cours d’un séminaire au Parlement européen en mars dernier.

La Finlande, un exemple à suivre (incomplet, mais qui ne se repose pas sur ses lauriers)

« D’une manière ou d’une autre, en Finlande, les femmes sont une force de travail appréciée. Il s’agit d’un petit pays (5,5 millions d’habitants) qui a connu de terribles guerres. Pour redresser l’économie, tout le monde a dû travailler dur, hommes et femmes. Nous n’avons ni or ni industrie minière... et notre climat est ce qu’il est, » déclare à Equal Times Hanna Vehkamäki, professeure de physique, un matin glacé, mais de saison, de la fin du mois de décembre à Helsinki.

« Il est possible (dans un couple) d’avoir des enfants et de faire carrière tous les deux sans devoir être millionnaire et sans que l’un d’entre nous doive quitter son emploi. La législation en matière de congé de maternité et de paternité est bonne et les structures d’accueil pour les enfants sont abordables, » souligne Vehkamäki comme points forts de ce pays nordique qui s’enorgueillit d’avoir été le premier au monde à reconnaître le suffrage passif des femmes et le premier en Europe à leur reconnaître le droit de vote (tous deux en 1906). Le pays reconnaît l’égalité de genre comme sa valeur fondamentale nationale.

La rémunération n’est d’ailleurs pas le seul élément à ne pas être affectée. La maternité n’est pas pénalisée non plus en matière d’attribution de projets, de place ou lors de demandes de financement, affirme le vice-recteur de l’Université d’Helsinki, Pertti Panula : « Lorsqu’un âge limite est fixé pour le candidat, outre le mérite, il est aussi (toujours d’abord) tenu compte de la présence éventuelle d’enfants (toujours en premier lieu). » Outre la discrimination positive à l’égard des femmes, il existe une extension de la limite d’âge, qui varie en fonction du nombre d’enfants de la candidate.

En d’autres termes, « les problèmes structurels (de la discrimination à l’égard des femmes ou de la pénalisation de la maternité, par exemple) n’existent pratiquement plus en Finlande. Mais de nombreuses petites choses faites ou dites de façon inconsciente nuisent à la carrière d’une femme. Je vous donne un exemple dont j’ai été témoin : lors de la présentation d’une étude réalisée par trois scientifiques, deux hommes et une femme (cette dernière ayant par ailleurs une formation plus poussée que ces collègues), les deux hommes ont été qualifiés d’“experts en” alors que l’on a dit d’elle qu’elle “avait de l’expérience en”... Ce n’est pas la même chose et les conséquences se font sentir à long terme, » insiste Vehkamäki.

L’une des raisons pour lesquelles ce changement « sera d’une lenteur frustrante, » déclare la physicienne, est que les hommes n’ont pas conscience du problème.

Des données récoltées en 2012 à ce sujet sont révélatrices. Elles ont été présentées dans le cadre du Festival de l’égalité qui s’est tenu sur le campus de Kumpula de l’Université d’Helsinki en décembre dernier. Par exemple, à la question « Notre département (physique) est géré de façon équitable, » 41,5 % des employés de sexe masculin ont répondu par l’affirmative contre 16 % de leurs collègues de sexe féminin.

Le vice-recteur de l’Université d’Helsinki assure que l’institution dispose de mécanismes permettant de garantir que toute femme se sentant victime de discrimination ou de harcèlement puisse le communiquer directement et que les mesures appropriées soient prises. Par ailleurs, souligne-t-il, pour l’institution académique qu’il représente l’objectif de la parité entre les sexes est prioritaire (devancé uniquement par l’excellence académique), ce qui a mené, par exemple, à une quasi-parité du nombre de recteurs hommes et femmes dans les 11 facultés de l’Université : 6 recteurs et 5 rectrices (là où la moyenne européenne générale du nombre de rectrices se situe à environ 20 %).

Même lorsqu’il faut licencier du personnel, comme ce fut le cas en 2016, à cause des coupes budgétaires, la répartition hommes-femmes reste équitable. « Les syndicats n’apprécièrent pas les licenciements, mais ne virent aucun problème de disproportion entre les sexes. »

L’unité Égalité entre les sexes du ministère de la Santé et des Affaires sociales ne considère cependant pas que son travail soit terminé. Ainsi, l’écart salarial entre les hommes et les femmes, les stéréotypes sexistes et la ségrégation dans l’éducation et le marché du travail restent des défis à relever pour l’avenir. « Les choses évoluent très lentement, mais le gouvernement teste de nouvelles mesures, » comme l’augmentation du nombre de jours de congé de paternité ou l’augmentation et l’uniformisation des exigences en mathématiques pour tous les étudiants, et ce, quelle que soit la discipline choisie, explique Riitta Martikainen, conseillère ministérielle.

Lorsque l’argument victorieux est économique

« La promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes contribuera à résoudre les problèmes liés à l’emploi, à la productivité et au vieillissement de la population, » assure l’EIGE dans son étude intitulée Avantages économiques de l’égalité de genre dans l’Union européenne.

Photo: Marta Checa

Cet organisme rappelle que la plupart des États membres éprouvent « de sérieuses difficultés à recruter de la main-d’œuvre qualifiée dans les disciplines des STIM, notamment en ingénierie et en technologies de l’information (...). Par exemple, au Royaume-Uni, il est difficile de couvrir plus de 40 % de l’offre de postes de travail liés aux STIM (c.-à-d. deux fois la moyenne des autres pays) en raison d’une pénurie de candidats. » Il convient par ailleurs de ne pas oublier que la demande de professionnels dans ces domaines devrait augmenter de 8 % d’ici 2025.

Pour ce qui est de ses prévisions plus concrètes, l’EIGE estime qu’à long terme (2050) le taux d’emploi de l’UE atteindra presque 80 %, « contre 76 % en l’absence d’améliorations [visant à éliminer la ségrégation de genre dans les choix éducatifs et à augmenter la participation des femmes dans les STIM]. Le taux d’emploi de l’UE s’élèvera à 72,6 % dès 2030. Il y aurait entre 6,3 et 10,5 millions d’emplois supplémentaires en 2050 (…) et environ 70 % de ces emplois seraient occupés par des femmes ».

En termes de PIB, les résultats de l’EIGE indiquent « une augmentation du PIB de l’UE allant de plus de 2 % à moyen terme (2030) et jusqu’à presque 10 % à long terme (2050). Cela correspond à une augmentation possible de l’ordre de 1950 à 3150 milliards d’euros du PIB par habitant global d’ici à 2050. »

Les États membres qui mettent actuellement en œuvre des actions limitées en matière d’égalité de genre sont ceux qui gagneraient le plus d’une réduction des disparités entre les femmes et les hommes. Concrètement, il s’agit des États suivants : Belgique, Bulgarie, Croatie, Grèce, Italie, Lituanie, Pologne, Portugal, République tchèque et Slovaquie.

En ce qui concerne exclusivement les STIM, l’Institut européen conclut que la réduction des écarts entre les hommes et les femmes dans l’enseignement entraînerait une augmentation de 850.000 à 1,2 million d’emplois à l’horizon 2050. Elle contribuerait aussi à une hausse du PIB par habitant de 0,7 à 0,9 % en 2030 et l’augmentation se situerait entre 2,2 et 3 % en 2050, ce qui se traduirait par une amélioration du PIB de 610 à 820 milliards d’euros à l’horizon 2050.

De plus, « une participation accrue des femmes dans les sciences et les secteurs liés aux technologies créera de nouvelles opportunités pour une science plus durable ainsi que pour la croissance d’une économie durable et “verte” ».

Till Alexander Leopold, chercheur principal du Forum économique mondial dans le domaine de l’éducation, des questions de genre et du travail, affirme que même s’ils n’ont pas réalisé ces calculs et qu’ils ne les avalisent pas, ils les utilisent : « Il n’y a pas de sensationnalisme, ils sont réalistes. »

C’est précisément ce Forum qui réclame depuis plusieurs années une accélération en matière d’égalité. Dans son livre blanc publié l’été dernier et intitulé Accélérer l’égalité entre les sexes dans la quatrième révolution industrielle, il souligne que, pour tirer parti de ce nouveau contexte socio-économique et ne pas se laisser entraîner par les incertitudes que celui-ci impose, « tous les secteurs doivent accroître la diversité de leurs réservoirs respectifs de talent et leurs dirigeants doivent tirer parti de toute la palette de points de vue, de la pensée créative et des compétences nécessaires ».

Ainsi, l’« instant actuel nous offre une opportunité stratégique et avantageuse pour tous si l’égalité de genre fait l’objet d’une promotion proactive et si nous évitons de creuser le fossé entre les sexes (et les capacités) ».

L’urgence invoquée par le Forum est également due aux mauvais résultats globaux observés dans sa dernière étude sur la réduction de l’écart entre les genres. Selon les estimations (qui ne constituent pas des « conclusions inéluctables »), le fossé actuel entre les deux sexes sur le lieu de travail persistera pendant encore 217 ans, bien que l’Europe occidentale (ainsi que la Slovénie, la Bulgarie et la Lettonie) « reste la région la plus performante de l’Indice, avec un écart hommes-femmes moyen restant de 25 % ».

Klaus Schwab, directeur général et fondateur du Forum est catégorique : « Plus que jamais, la compétitivité au niveau national ainsi qu’au niveau des entreprises dépendra de la capacité d’innovation d’un pays ou d’une entreprise. Qui survivra ? Ceux qui comprendront qu’ils doivent intégrer les femmes dans leur réservoir de talents en qualité de force importante. »

…mais il faudra d’abord faire ses devoirs

« Pour obtenir ces impacts positifs, il convient de s’attaquer à l’une des principales causes des inégalités de genre : la répartition inégale des responsabilités domestiques non rémunérées entre les hommes et les femmes, » déclare l’EIGE, qui propose des mesures concrètes telles qu’une « amélioration de l’accès à des services de garde d’enfants de qualité et abordables », une « organisation du travail plus souple et favorable à la vie de famille », la « promotion de l’adhésion à des systèmes de temps de travail flexibles, avec un meilleur équilibre hommes-femmes » et la promotion des femmes à des postes de haut niveau, notamment.

En ce qui concerne les mesures visant à augmenter le nombre de diplômées dans les secteurs des STIM, l’Institut européen (mais aussi le Forum économique mondial) recommande notamment « l’élimination des stéréotypes de genre dans l’éducation ; la sensibilisation et la promotion des filières STIM pour les filles et les femmes ; une orientation professionnelle incitant les filles à envisager des domaines d’études traditionnellement dominés par les hommes ».

« Il est vraiment très important de stimuler l’intérêt des filles pour les STIM et cela doit se faire dès le plus jeune âge, dans les écoles maternelles et à l’école, » a insisté Petra Jantzer, directrice d’ARDS, lors du Congrès STEMM Equality Congress qui s’est tenu à Berlin en juin dernier.

Au niveau des entreprises, l’UNESCO souligne dans son rapport de 2007 intitulé Science, technologie et genre : Rapport international, qu’il arrive que « certains employeurs refusent tout bonnement d’employer des femmes dans les sciences et les technologies. Ce à quoi il convient d’ajouter que les femmes peuvent aussi se sentir malvenues dans certains milieux de travail. Il peut s’agir d’un effet délibéré ou involontaire de la culture machiste au sein de l’organisation. Le harcèlement sexuel, bien que difficile à quantifier, affecte la vie professionnelle de nombreuses femmes. Pour que les femmes rejoignent les rangs de la Science et de la Technologie, il est essentiel d’aborder tous les aspects de la culture d’une entreprise qui permet de tels abus. »

Pour Irene Rosales, responsable politique et des campagnes pour le groupe de pression féministe Lobby européen des femmes, cela ne fait aucun doute : « Dans les secteurs dominés par les hommes comme les STIM, les femmes courent un risque accru de harcèlement et de harcèlement sexuel. Les secteurs dominés par les hommes créent des espaces où les voix, les histoires et l’identité des femmes sont mises au ban. » Marianne Bruun, conseillère Égalité dans le syndicat danois 3F, précise par ailleurs (dans le rapport « Safe at Home, Safe at Work », de la CES) : « Le harcèlement sexuel est une affaire de pouvoir – rarement de sexe, plus souvent de pouvoir. C’est ce sur quoi nous devons travailler si nous voulons lutter contre le harcèlement sexuel ».

Siân Webb, responsable de la société britannique Gapsquare (une entreprise de technologie qui a développé un logiciel innovant visant à réduire l’écart entre les sexes dans les entreprises), explique que l’écart salarial croissant n’est pas uniquement un élément qui dissuade les femmes d’entrer dans les STIM. Il contribue également à les inciter à renoncer lorsqu’elles s’y sont déjà engagées. De plus, elle rappelle que les secteurs des STIM « soutiennent et promeuvent l’emploi à temps plein ».

« Nous avons besoin de compétitivité, mais peut-être aussi d’une culture moins “sauvagement compétitive”. Il y a un culte des longues journées de travail, une dépendance au travail, à tout donner pour son travail ; c’est comme un mythe. Et nous oublions qu’il faut se reposer, car sinon, la créativité baisse et les résultats en pâtissent. Il est important que cette culture change et pas seulement pour les femmes, » déclare Vehkamäki.

Webb est d’accord et reconnaît que « ce problème ne concerne pas seulement les femmes ; les hommes qui tentent également d’obtenir des horaires de travail à temps partiel dans les STIM, avec des horaires flexibles ou encore qui s’opposent à ce modèle de travail désuet subissent des pressions internes excessives (tant qu’ils n’ont pas compris que) cela compromettrait leur carrière et leurs possibilités de promotion ».

Que ce soit pour des raisons de valeurs humanistes, de cohérence scientifique ou de motivations matérialistes, mettre fin à l’inégalité et à la ségrégation entre les hommes et les femmes n’est pas seulement un impératif, mais aussi une conclusion logique. Comme le résumerait Markus Nordberg, responsable du développement des ressources au CERN : « voyez grand et faites le bien. »

This article has been translated from Spanish.