Condamnation de dirigeants syndicaux : « Un nouveau coup de massue pour le mouvement syndical indépendant du Kazakhstan »

Condamnation de dirigeants syndicaux : « Un nouveau coup de massue pour le mouvement syndical indépendant du Kazakhstan »

In this picture, taken on 1 August 2017 during a press conference at the Kazakhstan International Bureau for Human Rights and the Rule of Law (from left to right): Yevgeny Zhovtis, director of the Bureau, Lyudmila Ekzarkhova, press secretary of the KNPRK, and lawyer Svetlana Katorcha.

(Naubet Bisenov)
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Le mouvement syndical international appelle le gouvernement du Kazakhstan à réexaminer la condamnation d’une éminente syndicaliste à l’issue d’un procès qui a été décrit comme « une atteinte flagrante aux droits humains et aux droits syndicaux au Kazakhstan ».

Le 25 juillet 2017, un tribunal de Shymkent, ville du sud du Kazakhstan, a condamné Larisa Kharkova, ex-dirigeante de la Confédération des syndicats indépendants du Kazakhstan (sigles anglaises CNTUK ou KNPRK en kazakh), à quatre ans de restriction à sa liberté de mouvement et cinq ans d’interdiction d’occupation d’une charge publique, pour des chefs de détournement de fonds, que les syndicats et les organisations des droits de l’homme qualifient de fallacieux.

Madame Kharkova a aussi été condamnée à 100 heures de travaux forcés, ce qui, selon les militants des droits, est en contradiction avec la législation kazakhe, qui interdit toute forme de travail forcé dans le pays.

La condamnation de Larisa Kharkova intervient à la suite de la fermeture de la KNPRK, par décision judiciaire, en janvier, dans le cadre d’une manœuvre de répression ciblée contre les travailleurs du pétrole en grève dans la région occidentale de Mangystau.

Les condamnations antérieures du président adjoint de la KNPRK, Nurbek Kushakbayev, à deux ans et demi de prison pour incitation à la grève, et du syndicaliste Amin Yeleusinov, à deux ans de réclusion pour des chefs politiquement motivés de détournement de fonds syndicaux et défiance à l’égard de la police, ont asséné un coup dur au mouvement syndical du Kazakhstan.

Lors d’une conférence de presse dans la ville d’Almaty, le 1er août, Yevgeny Zhovtis, directeur du Bureau international des droits de l’homme et de l’État de droit au Kazakhstan, a critiqué les attaques du gouvernement contre les syndicats indépendants, qualifiant celles-ci d’ « ingérence illégale » dans les activités d’une organisation publique qui est en droit de décider comment ses fonds sont affectés.

Ces attaques, selon Zhovtis, « ont un seul objectif et cet objectif est très simple. Il en va, si j’ose dire, d’un enjeu purement politique et non judiciaire. » Et d’ajouter : « Il s’agit d’une tentative de destruction d’un syndicat dans un contexte de dégradation de la situation économique et de possibles troubles sociaux, dans le but de réprimer ceux qui sont à même de mobiliser les travailleurs et de relayer leurs préoccupations. »

Zhovtis a aussi condamné les vices de forme présents dans le procès des Larisa Kharkova, attendu que la sentence prévoit notamment la saisie de sa propriété et 100 heures de travaux forcés. En vertu de la législation du Kazakhstan, peuvent uniquement être saisies des propriétés obtenues par le biais d’activités criminelles ou liées à la perpétration d’un crime.

D’autre part, le Kazakhstan étant signataire de la Convention 29 de l’OIT concernant le travail forcé ou obligatoire, madame Kharkova n’aurait pas dû être condamnée aux travaux forcés, d’autant qu’il existait aussi l’option des services communautaires.

Un cinglant revers pour les ambitions internationales du Kazakhstan

Les critiques ont fait remarquer que la condamnation de Larisa Kharkova pourrait fortement compromettre la position internationale du Kazakhstan, de même que ses aspirations à accéder au club des pays les plus développés du monde.

« La condamnation de Larisa Kharkova et les restrictions relatives à ses activités syndicales portent un nouveau coup de massue au mouvement syndical indépendant du Kazakhstan », a affirmé dans une déclaration Mihra Rittmann, chercheuse de Human Rights Watch sur l’Asie Centrale. « Le gouvernement devrait immédiatement mettre un terme à ses tentatives incessantes de répression des droits des travailleurs et permettre à madame Kharkova de poursuivre son travail », a-t-elle ajouté.

Mihra Rittmann a déclaré que l’offensive du gouvernement kazakh contre les droits des travailleurs – législation du travail restrictive, fermeture de syndicats indépendants et poursuites pénales politiquement motivées et ciblées à l’encontre de dirigeants syndicaux engagés – constituait un obstacle à ses aspirations internationales et économiques, notamment son intention de rejoindre le club des 50 pays les plus développés du monde à l’horizon 2050, consignée sous forme d’un plan ambitieux pour le développement social et économique intitulé « Stratégie 2050 » .

« La répression continue des droits des travailleurs par le gouvernement est contraire aux normes du travail internationales, dont le plein respect est reconnu comme important par les investisseurs étrangers », a-t-elle déclaré lors d’un entretien avec Equal Times.

« La campagne de répression du gouvernement contre les travailleurs entre aussi en contradiction avec ses aspirations à rejoindre l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), le club des nations riches, dont le siège se trouve à Paris, et qui considère la consultation avec les syndicats indépendants et le respect des normes du travail importants pour ses membres. »

Anton Leppik, secrétaire exécutif du Conseil régional paneuropéen de la Confédération syndicale internationale (CSI), a aussi confié à Equal Times que les poursuites contre Larisa Kharkova ont, sans aucun doute, été initiées et facilitées par les organes de sécurité de l’État, vu le vif intérêt que celui-ci semble porter aux activités de la KNPRK et, en particulier, à ses relations avec les syndicats des travailleurs du pétrole dans la région occidentale du Kazakhstan.

La CSI a soumis une plainte formelle au Comité de la liberté syndicale (CLS) concernant les attaques contre la KNPRK et ses dirigeants, a indiqué Leppik. « C’est un processus de longue haleine mais nous avons la certitude que le CLS se montrera ferme quant au non-respect par le gouvernement de ses obligations internationales. Déjà, la Commission sur l’application des normes de la Conférence internationale du travail l’a reconnu », a-t-il signalé, avant de préciser que la CSI et ses différents affiliés nationaux étaient en contact avec les institutions européennes, l’OCDE et différents gouvernements, dont celui des Etats-Unis, de même qu’avec des entreprises individuelles ayant des intérêts commerciaux au Kazakhstan, pour faire pression sur les autorités kazakhes.

Il a laissé entendre que le Kazakhstan pourrait perdre son accès au marché américain suite à la remise en cause par la centrale syndicale américaine AFL-CIO de son statut dans le cadre du Système des préférences généralisées, un statut privilégié qui ne peut être attribué qu’aux pays conformes au plan des normes internationales du travail.

Durant une visite à Astana, la capitale du Kazakhstan, en février, les autorités ont informé les responsables de la CSI qu’en dépit de la radiation de la KNPRK, ses structures étaient en droit d’enregistrer une nouvelle confédération.

« C’est possible, en effet, mais cela exigerait un effort surhumain, vu les procédures complexes qui ont été instaurées dans le cadre de la [nouvelle] loi sur les syndicats, reconnue par la CSI et l’OIT comme une violation claire de la Convention 87 de l’OIT », a expliqué Leppik. « Or quand des dirigeants individuels sont soumis à des attaques et à des pressions, il est difficile de regrouper ce qu’il reste de la confédération, vu la taille et la diversité du pays. Et il est clair que les restrictions de mouvement et d’exercice d’une fonction publique présentes dans la sentence prononcée contre Larisa sont un moyen pour l’empêcher de jouer un rôle quelconque au sein du mouvement syndical. »

Pour Lyudmila Ekzarkhova, secrétaire de presse de la KNPRK, le cas de Larisa Kharkova constituait un « test décisif » en vue de décourager d’autres tentatives de création de syndicats indépendants au Kazakhstan.

Cependant, les structures restantes de la confédération projettent d’en créer une nouvelle. « Il reste toujours trois syndicats fondateurs de la KNPRK et nous nous trouvons à présent au stade de la création d’une nouvelle organisation syndicale nationale. Même si madame Kharkova ne peut occuper une charge publique, il nous reste des dirigeants capables d’occuper le poste de dirigeante qu’elle occupait et de mener notre organisation nationale dans la bonne direction », a déclaré Lyudmila Ekzarkhova.