Contre la pollution industrielle en Gambie, les activistes locaux dénoncent la proximité du gouvernement avec les entreprises étrangères

Quand Sulayman Bojang, défenseur de l’environnement de 30 ans, a appris en 2016 qu’une société chinoise du nom de Golden Lead envisageait de créer une usine de production de farine de poisson, dans son petit village côtier du sud-ouest de la Gambie, il s’être montré enthousiaste : « Nous pensions que nos jeunes auraient du travail et pourraient nourrir leur famille. Une usine installée à Gunjur constituerait une véritable aubaine en termes de développement. »

Mais, quelques mois après l’ouverture de l’usine, une odeur pestilentielle se mit à envahir la communauté. Un jour de mai 2017, les habitants du village constatèrent à leur réveil que l’eau de la réserve naturelle de la communauté, jouxtant l’usine, avait viré au rouge. Ces derniers commencèrent également à se plaindre de la présence de poissons et de mammifères morts sur leur plage.

Depuis l’arrivée, il y a deux ans, du gouvernement démocratiquement élu d’Adama Barrow, les Gambiens se montrent de plus en plus prompts à faire entendre leur voix pour dénoncer les destructions environnementales dans leur pays. Si une poignée de communautés se sont battues pour obtenir leurs droits environnementaux, nombreuses sont celles qui se plaignent du manque de réactivité du gouvernement, en particulier lorsque les intérêts des entreprises étrangères sont en jeu.

Depuis 2016, plusieurs usines étrangères spécialisées dans la production de farine de poisson se sont installées sur la pittoresque côte Atlantique de la Gambie. Ces usines transforment le poisson gambien en poudre ou en galettes, expédiées ensuite vers l’Asie pour l’alimentation animale. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, en 2018, la Chine a importé au total 1,47 million de tonnes de ces produits, provenant principalement d’Amérique du Sud, mais désormais de plus en plus souvent d’Afrique. Si le commerce prospère, les militants, eux, voient la pollution se développer avec lui.

Les dénonciations sur les réseaux sociaux ont attiré l’attention de l’agence nationale pour l’environnement (National Environmental Agency ou NEA), laquelle a lancé sa propre enquête. Au milieu du mois de juin 2017, la NEA a décidé de poursuivre Golden Lead devant les tribunaux, accusant l’entreprise de déverser ses eaux polluées dans l’océan, sans aucune autorisation officielle. Toutefois, deux semaines plus tard, on a appris que l’entreprise avait réglé ce problème à l’amiable en payant 25.000 dollars US.

Un jeune chargé de programme au sein de l’agence confie à Equal Times : « Nous avions le sentiment de subir des pressions d’amont en aval... C’était la première fois que nous avions cette impression sous le nouveau gouvernement. »

Dès le 1er juillet 2017, l’usine avait repris ses activités. Plusieurs habitants estimaient que le gouvernement ne prenait aucune mesure pour protéger leur environnement. Ils ont demandé que l’usine désinstalle sa conduite de pompage destinée à déverser les eaux usées dans l’océan. En mars 2018, un groupe d’activistes, dont faisait partie Sulyman Bojang, a décidé de retirer la conduite par la force. Cette initiative s’est rapidement soldée par leur arrestation.

Sulyman Bojang, ainsi que les autres activistes, ont été libérés sans aucune charge retenue contre eux et la conduite a été réinstallée. Aujourd’hui, les responsables de la NEA déclarent que Golden Lead soumet ses tests trimestriels en temps et en heure et que l’usine ne pollue plus l’océan. Pourtant, certains activistes locaux ne sont pas de cet avis et pointent du doigt d’autres effets nuisibles, comme la surpêche et la hausse des prix du poisson sur le marché. « Nous nous demandons pour qui travaille notre gouvernement », souligne Sulyman Bojang.

Un gouvernement complice

Ismaila Ceesay, professeur de sciences politiques à l’université de Gambie, soupçonne certains accords suspects entre les membres du gouvernement et plusieurs patrons d’entreprises étrangères. « Certains de nos représentants politiques donnent à ces "investisseurs" ce qu’ils souhaitent et nous voyons bien ce que le gouvernement obtient en échange », précise-t-il, en faisant référence à la construction d’un nouveau centre de conférence d’une valeur de 50 millions de dollars US sur un terrain faisant partie du parc national de Bijilo. « Le gouvernement se rend complice de la destruction de notre environnement, en autorisant ces entreprises étrangères à s’implanter dans notre pays », ajoute-t-il.

Depuis le remplacement de la dictature de Yahya Jammeh en 2017, le gouvernement d’Adama Barrow s’est donné pour principale priorité d’attirer des capitaux étrangers. En juillet 2017, la Gambie a signé un accord de libre-échange avec la Chine et a entamé des pourparlers avec des investisseurs norvégiens et mauritaniens. Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, l’investissement étranger direct dans le pays est passé de 15 millions de dollars US en 2015 à 29 millions en 2018.

Bien que les Gambiens accueillent favorablement ces investissements plus que nécessaires, nombre d’entre eux nourrissent néanmoins de sérieuses inquiétudes à propos de la nature de ces investissements. Les activistes épinglent les nombreux exemples qui, selon eux, montrent que le gouvernement fait passer les intérêts des investisseurs avant ceux des communautés.

Le mois dernier, le gouvernement a annoncé son projet de transformer une partie du parc forestier de Salagi, en dehors de la capitale, manifestement pour permettre le passage des équipements nécessaires à la construction du nouveau centre de conférence. À la suite des contestations des activistes de la communauté, le gouvernement a annoncé la révision de ce projet.

D’autre part, tout indique que des navires étrangers pratiquent la surpêche dans les eaux gambiennes. En 2017, le ministère de la Pêche a levé un embargo sur la pêche industrielle, en application depuis 2015. L’an dernier, la marine nationale a appréhendé trois navires chinois pour pratique illégale de la pêche au large des côtes gambiennes.

Dans le petit village de Mandinari, sur les rives du fleuve Gambie, une équipe de pêcheurs chinois et gambiens a été accusée par des activistes de pratiquer la surpêche, de capturer des espèces protégées et de pêcher dans les zones réservées à la reconstitution des ressources marines.

Equal Times a tenté de contacter le directeur auto-proclamé des opérations de pêche en vue d’obtenir des précisions, mais ce dernier a bloqué nos appels et refusé de nous rencontrer. Les représentants du ministère de la Pêche se sont contentés de préciser qu’une enquête était en cours. Selon plusieurs sources émanant de la communauté, cette équipe continue à pêcher et à vendre du poisson dans le village.

Une lueur d’espoir

Ailleurs, les défenseurs de l’environnement ont été plus chanceux et ont réussi à faire cesser les activités problématiques des entreprises étrangères. Abdoulie Samateh, un étudiant de 26 ans, a grandi dans la banlieue de Brikama, deuxième plus grande ville du pays. Enfant, il avait l’habitude de jouer dans ce qui était autrefois une vaste forêt. Au début de 2017, son père a commencé à se plaindre d’une terrible odeur qui le tirait de son sommeil au beau milieu de la nuit.

Un soir, Abdoulie Samateh a enfourché sa moto et a découvert l’origine de cette odeur : une fumée s’élevant derrière un mur quelconque pourvu d’une porte en fer rouge. « Nous n’avions aucune idée de ce qu’il se passait là-derrière, la seule chose que nous savions, c’est que nous tombions malades ».

À l’origine de la maladie de la famille d’Abdoulie Samateh, une usine de pyrolyse de pneus non conforme, improvisée par l’entreprise chinoise New Energy Enterprise (NEE). La pyrolyse des pneus consiste à brûler les pneus usagés à haute température dans des chambres sans oxygène afin de les transformer en fioul lourd utilisé comme carburant pour les navires de transport. « Ce processus technique peut se faire proprement », explique Martin von Wolfersdorff, qui se définit lui-même comme un « apôtre de la pyrolyse des pneus » en Allemagne. Mais « les installations non professionnelles et mal utilisées représentent un réel danger pour l’environnement ».

Les entreprises de recyclage se sont montrées favorables à la pyrolyse des pneus, qui offre un moyen de traiter le milliard de pneus usagés et jetés chaque année. Alors que les usines de pyrolyse en Europe et en Amérique du Nord sont tenues de respecter des réglementations environnementales strictes, certaines installations dans les pays en développement ont été accusées d’émettre des substances toxiques et de détruire l’environnement.

Selon le Réseau des données toxicologiques, le « noir de carbone » – une poudre résiduelle produite lors d’une pyrolyse effectuée dans de mauvaises conditions – est à l’origine d’un large éventail de troubles pulmonaires et thoraciques, et pourrait s’avérer une substance cancérogène pour l’être humain. À Brikama, le « noir de carbone », abandonné dans des sacs en plastique à l’extérieur de l’usine, a été disséminé par les vents et a pénétré dans les sols.

Lorsque les journalistes gambiens se sont rendus sur le site au début de cette année, ils ont pris en photo un puits de mine empli d’un liquide visqueux, souvent le résidu d’une pyrolyse effectuée par des amateurs, pouvant contenir une importante quantité d’hydrocarbures cancérogènes.

Les responsables de la NEA ont déclaré ne pas avoir été informés de la toxicité de ces produits résiduels lors d’un exposé sur la pyrolyse présenté à l’agence par un représentant de la NEE, mi-2015. Après cette présentation orale, mais non écrite, l’approbation a été donnée. L’usine est restée opérationnelle de 2016 au début de cette année, sans aucun contrôle de la NEA.

Abdoulie Samateh et plusieurs membres de sa communauté ont porté plainte auprès de Jammeh Kebba, chef du service technique du département forestier. Jammeh Kebba a déclaré avoir tenté de rencontrer le propriétaire de l’usine, mais en vain. Au lieu de cela, Jammeh Kebba a participé à des interviews pour des médias locaux, qui ont particulièrement attiré l’attention. Peu après, la NEA est intervenue et les fumées noires ont cessé de s’échapper de l’usine.

Abdoulie Samateh, tout comme d’autres, ne se réjouissent pas pour autant : «  Lorsque nous aurons la certitude qu’ils ne reviendront pas, alors seulement nous pourrons nous réjouir. Mais je n’ai toujours pas confiance en notre gouvernement, je le soupçonne de recevoir des pots-de-vin. Nous devons faire en sorte qu’ils ne reprennent jamais leurs activités chez nous. »

Cet article a été traduit de l'anglais.