Contre la précarité de l’emploi, il existe bien de nouveaux outils de lutte

Depuis l’apparition des plateformes numériques (Uber, Deliveroo, Glovo…) dans notre société, les syndicats mènent un combat long et difficile pour appréhender cette réalité et défendre les droits des personnes qui travaillent pour ces plateformes. Par exemple, dans notre syndicat, UGT, nous avions besoin d’un nouvel outil syndical et d’une nouvelle approche du problème.

Selon certaines études, entre 65 % et 80 % des emplois du futur n’existent pas encore. Les organisations syndicales traversent donc une période complexe, puisque leur rôle est de chercher à maintenir la stabilité et l’équilibre des relations de travail.

Le modèle commercial des plateformes numériques – à l’origine de ce que nous appelons désormais l’économie collaborative – est peut-être un aperçu de ce que l’avenir nous réserve. Il y a trois ans, nous n’imaginions pas leur existence et, aujourd’hui, les voitures noires aux vitres teintées et les jeunes à bicyclette avec d’énormes sacs à dos sont emblématiques de toutes les grandes villes.

Pour nous, ce fut une surprise. Du jour au lendemain, nous avons vu des centaines de personnes pédaler et distribuer des repas ici et là, portant toutes un uniforme et un sac à dos des mêmes entreprises. C’est ainsi que nous avons commencé notre travail de terrain pour connaître la réalité de ces travailleurs. La tâche ne fut pas aisée. Ces entreprises affirment qu’elles sont de simples plateformes qui, par l’intermédiaire d’un portail Internet, relient les fournisseurs et les clients.

Avec ce modèle, les livreurs sont autonomes et les plateformes n’assument aucune responsabilité sur la manière dont le travail est effectué et sur les problèmes qui pourraient survenir, par exemple un accident de travail pendant la livraison.

De plus, nous constatons que cette précarisation du travail entraîne une baisse de revenu d’environ 30 % pour les travailleurs et pour les caisses de la sécurité sociale, par rapport aux revenus que générerait un travail identique réalisé par un employé salarié.

Le profil-type du travailleur qui nous était présenté offrait une image très édulcorée de la précarité : il s’agissait généralement d’étudiants qui voulaient gagner un peu d’argent et qui décidaient librement quand et comment ils voulaient travailler, et avec quelle flexibilité. Mais la réalité est tout autre : les employeurs profitent en fait des besoins de certaines catégories de la population qui ont de faibles revenus et des difficultés d’employabilité. Quant à la liberté et à la flexibilité, elles sont inexistantes.

Pour pouvoir observer ce nouveau secteur, nous avons décidé de mettre en place un réseau syndical en ligne, un lieu où tous les travailleurs des plateformes pouvaient nous faire part de leurs questions et de leurs problèmes de travail, auxquels nous nous engagions à répondre en moins de 24 heures. Ce fut un grand succès. Nous avons réussi à faire en sorte que les personnes non syndiquées commencent à s’interroger sur leurs conditions de travail et qu’elles considèrent notre union syndicale comme un outil utile pour les aider dans leur quotidien.

Il convient de souligner l’importance des réseaux autogérés (telles que les coopératives) qui ont émergé à partir du noyau des entreprises, et dont les premières revendications ont donné lieu à des grèves couronnées de succès. Toutefois, ces réseaux n’ont pas tardé à être menacés, à partir du moment où leurs dirigeants ont été repérés et « déconnectés ». C’est ainsi que la peur s’est immiscée chez les autres travailleurs et que ceux qui avaient une vocation syndicale ont été éloignés du terrain de jeu, sans avoir la possibilité de continuer d’organiser l’ensemble des travailleurs.

En ce qui concerne les syndicats traditionnels, qui disposent d’outils modernes, nous réussissons à progresser de manière significative. En premier lieu, nous avons convaincu les travailleurs de déposer des plaintes auprès des autorités du travail, et des recours individuels auprès du tribunal des affaires sociales. Les résolutions des autorités du travail se sont fait attendre, mais elles nous étaient favorables, ce qui nous a donné l’énergie nécessaire pour continuer. Nous étions sur la bonne voie.

L’aspect le plus important est qu’à la suite des plaintes et des grèves, le conflit ait pu être médiatisé. La société en général sait désormais que les livreurs (appelés « riders » dans le jargon technologique des entreprises qui les emploient) ne sont pas aussi heureux que dans les publicités (des entreprises en question), et qu’ils travaillent dans des conditions très précaires. Beaucoup de temps s’est écoulé avant que les décisions de justice soient rendues, étant donné que les entreprises, avant de passer au tribunal, offraient de considérables sommes d’argent aux requérants – qui finissaient par accepter – évitant momentanément ce qui arriverait tôt ou tard : un jugement qui ternirait l’image des marques.

Des tribunaux à l’opinion publique

Et c’est exactement ce qui s’est passé. Les jugements ont commencé à se succéder et, même s’il y a eu des décisions de justice défavorables, elles avaient largement tendance à reconnaître qu’il existait une relation de travail pour les livreurs, et elles exigeaient que les livreurs soient inscrits par les entreprises qui géraient les plateformes.

Le jugement qui a définitivement changé la situation (en Espagne) est le jugement 188/2019 du tribunal des affaires sociales de Madrid, qui porte sur un conflit impliquant plus de 500 travailleurs contre Deliveroo : le juge reconnaît que « les moyens et les actifs nécessaires au développement de l’activité ne sont pas ceux qui étaient définis, mais qu’ils sont gérés par l’application Deliveroo, qui est contrôlée et fournie par l’entreprise pour les livreurs, de même que la marque correspondante, sur laquelle, naturellement, les livreurs n’ont aucun contrôle », notant en outre que, « une fois la livraison acceptée, elle doit être effectuée conformément aux instructions fixées par l’entreprise, sans marge d’autonomie suffisante pour le travailleur. » En définitive, il est reconnu que ces travailleurs dépendent de l’entreprise et qu’ils ne sont pas autonomes, comme le prétendaient les plateformes depuis le début.

Plus récemment, en Californie, point de départ et siège d’une grande partie des plateformes numériques, l’Assemblée de l’État a adopté une loi pour imposer aux entreprises de transport de l’économie collaborative (Uber, Lyft et autres) d’embaucher officiellement leurs conducteurs.

Mais le combat n’est pas terminé pour autant. Les entreprises continuent de maintenir un modèle commercial qui, comme le concluent le pouvoir judiciaire et l’autorité du travail, n’est pas légal. Aujourd’hui, les entreprises franchissent un pas et demandent au gouvernement espagnol de changer la loi pour déréglementer le marché, partant du principe qu’il s’agit de s’adapter à l’époque moderne, à l’avenir du travail. Finalement, notre prochaine action visera à faire en sorte que les grands groupes d’intérêt économique ne mettent pas nos dirigeants de leur côté en les incitant à légiférer à leur avantage, contre les travailleurs et les citoyens de manière générale.

Pour finir, nous avons découvert un point qu’il nous semblait essentiel de prendre en considération à partir de maintenant dans ces conflits : le coût des amendes, des remboursements ou des indemnisations n’est pas dissuasif en soi. Ce qui l’est en revanche, c’est le coût des plaintes et des protestations pour l’image et la réputation des entreprises. C’est une nouvelle arme à la disposition des syndicats.

À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les syndicats disposaient d’outils tels que la grève et l’interruption du processus de production mais, aujourd’hui, les syndicats ont la possibilité de ternir l’image et la réputation des entreprises (qui ne respectent pas les droits des travailleurs).

Il ne faut pas oublier que ce modèle commercial se trouve dans une phase où un équilibre des pertes et des bénéfices importe peu, et où l’on peut même enregistrer des pertes sur plusieurs exercices comptables. Par conséquent, il est inutile d’organiser une grève ponctuelle. L’activité de ces entreprises réside dans la recherche d’importants financements. Deliveroo, Glovo, etc., ont besoin de continuer à attirer des investisseurs extérieurs et à faire croire que ce type de commerce est stable et qu’il offre un potentiel de croissance future.

Ainsi, face à des entreprises qui ne tiennent pas compte des sanctions de l’autorité du travail et qui se moquent d’enregistrer des pertes, et dont le mode de survie consiste à conserver une image susceptible d’attirer les investisseurs, la seule action que nous pouvons mener pour exercer une pression sur elles est de leur montrer que nous avons la capacité d’influencer l’opinion publique. Nous devons leur montrer que nous sommes forts et que nous avons compris la règle du jeu : elles ont leur place dans notre société, non pour profiter des personnes, mais pour être au service de tous et pour que tout le monde soit gagnant dans ce nouveau secteur.

This article has been translated from Spanish.