Crise du porc en France : signe d’un modèle agricole intenable

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Blocages de routes, manifestations devant les préfectures, visites musclées de supermarchés : les agriculteurs français ont laissé leur colère exploser cet été pour protester contre des prix jugés trop bas.

Depuis 30 ans, l’agriculture vit au rythme de crises cycliques sans que le modèle industriel qui prévaut depuis la Deuxième Guerre mondiale soit remis en cause.

Dernière crise en date, celle des producteurs de porcs bretons qui se mobilisent pour tenter d’obtenir un prix « décent » pour leur production.

« À moins de 1,40 EUR (1,57 USD) le kilo, un éleveur ne tire aucun revenu. La part de l’alimentation de l’animal représente à elle seule un euro », explique Yves-Hervé Mingam, responsable Jeunes agriculteurs, dans les Côtes d’Armor, en Bretagne, à l’ouest de la France.

La Bretagne fournit 60 % de la production porcine française et les activités qui y sont liées – élevage, abattage, transformation – représentent plus de 30.000 emplois dans la région.

Or, deux des principaux acheteurs de la filière – la Cooperl, premier industriel du porc en France, et le groupe privé Bigard qui se positionne comme un des leaders du marché européen de la viande – ont décidé de boycotter le marché au cadran de Plérin, près de Saint-Brieuc, qui fixe deux fois par semaine le prix de référence pour l’ensemble de la France. En conséquence, la demande baisse et les prix stagnent sous la barre de 1,40 EUR.

La crise du porc, comme celle de l’élevage en général, s’explique aussi partiellement par l’embargo européen contre la Russie. Dans une interview à Equal Times, Christiane Lambert, vice-présidente de la puissante Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), affirme que ce sont 750.000 tonnes de viande de porc qui restent sur le carreau.

La France devient par ailleurs le déversoir des surplus venant d’Allemagne et d’Espagne – deux pays qui produisent chacun deux fois plus de porcs que la France à des coûts inférieurs « en raison de pratiques sociales et fiscales plus avantageuses », explique Christiane Lambert.

La France n’est pas la seule touchée en Europe.

Cet été, les producteurs de lait anglais ont multiplié les actions pour protester contre des prix trop bas. À l’appel du National Farmers Union et des Farmers for Action (FFA), ils ont organisé des « trolley dash » (courses de caddie) pour vider les rayons de lait des supermarchés et en faire don à des organisations caritatives.

La grogne sévit aussi en Espagne. Le 10 août, un convoi de plus de 500 tracteurs a défilé en Galice pour réclamer du gouvernement un prix du lait plus élevé.

 

Le « bio » : la solution ?

Dans un marché mondial où volatilité rime avec dérégulation – fin des quotas laitiers en Europe, par exemple –, les trois grandes zones de production mondiales que sont les États-Unis, l’Europe et l’Océanie se livrent une guerre des prix acharnée.

Le dernier indice publié début août par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) est sans appel : globalement, les prix des produits alimentaires sont à leur plus bas niveau depuis six ans.

Ce qui n’a apparemment guère de conséquences sur l’état de malnutrition dans le monde. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), « 795 millions de personnes souffrent de faim chronique dans le monde. Cela représente une personne sur neuf qui ne mange pas à sa faim ».

En France, de l’aveu même du ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, de 22.000 à 25.000 exploitants – soit 10 % des éleveurs français et 40.000 emplois directs – sont menacés par la crise de l’élevage.

Selon l’Institut national de la statistique (INSEE), en 20 ans, le nombre d’exploitations en France a été divisé par plus de deux, pour s’établir à 515.000.

L’INSEE note par ailleurs que « les petites et moyennes structures sont les plus touchées alors que le nombre de grandes reste supérieur à celui de 1988. »

De sa ferme de Cesson-Sévigné, près de Rennes, à l’ouest de la France, Michel Priour, 49 ans, constate le phénomène avec philosophie. « Les crises reviennent tous les cinq à six ans et on ne fait rien pour les empêcher. Les gens de la FNSEA sont des libéraux qui ne veulent pas que l’État se mêle de leurs affaires mais qui sont les premiers à aller frapper à sa porte dès que cela va mal ».

Ce petit homme sec au verbe précis a progressivement fait le choix de produire du lait et de la viande « bio ». Il élève une cinquantaine de vaches normandes en pâturage. La production est moindre qu’avec des vaches issues de la recherche génétique mais le lait est de meilleure qualité.

Des études ont montré que les vaches broutant de l’herbe produisent un lait plus sain que celles nourries au maïs et au soja, ce qui est généralement la règle dans les grandes exploitations.

« Chez moi, j’ai banni les pesticides, je n’achète pas d’aliments et j’évite au maximum les antibiotiques pour soigner mes vaches », explique Priour. « Le problème, c’est que les agriculteurs en système conventionnel se lancent dans des investissements pour payer moins de charges sociales et ont recours au maïs et au soja pour nourrir leur bétail. Un robot de traite, c’est 150.000 EUR (169.000 USD) plus 8000 à 10.000 EUR (9000-11.000 USD) de frais de maintenance à l’année. ».

Selon Greenpeace, « dans les pays en développement, l’agriculture écologique peut produire jusqu’à 80 % de plus à l’hectare. C’est la seule qui sera capable d’ici à 2050 de nourrir toute la population mondiale en installant partout où cela est nécessaire des petites fermes locales très productives. »

Une affirmation qui fait sourire Christiane Lambert. « En France, la part du porc bio dans la consommation est de 2,7 %. Parce que cela coûte très cher ».

Depuis quatre ans, les organisations regroupées derrière la FNSEA travaillent à un « vrai projet » d’une agriculture durable et préparent la Conférence de Paris sur le climat avec un catalogue de propositions « concrètes ».

« Les agriculteurs sont directement concernés par ce qui touche au climat car ils sont à la fois impactés et impliqués », explique Christiane Lambert. Elle imagine à l’horizon des 20 prochaines années des exploitations « plus professionnelles, plus grandes, faisant largement appel à la technologie. Ce qui suppose des débats sociétaux sérieux ».

« La question est ailleurs », lui répond Michel Priour. « Si les sept milliards d’humains consomment comme les Américains ou les Européens, on est mort ! Il faut éduquer les gens à se nourrir autrement. Il n’est pas nécessaire de manger de la viande deux fois par jour ».

This article has been translated from French.