Crise du secteur des soins : le salaire minimum n’est pas une solution durable

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Il a fallu attendre quarante ans, après l’adoption de normes fédérales sur les salaires, pour que le gouvernement décide que les employés domestiques méritaient un salaire minimum. Et il faut encore une quarantaine d’années pour que les personnels de soins à domicile – cette branche du secteur des soins spécifiquement destinée aux personnes âgées et aux handicapés – obtiennent les mêmes protections.

Le gouvernement d’Obama a amendé les réglementations fédérales sur les salaires et les heures de travail pour mettre fin à une exemption de longue date de ces aides à domicile. Et après un véritable bras de fer juridique avec les employeurs de ce secteur, le 21 août, le juge d’une cour d’appel a annulé la décision d’une juridiction inférieure qui faisait obstacle aux réformes, ce qui a permis d’offrir les protections inhérentes au salaire minimum et aux heures supplémentaires à ces travailleurs souvent très pauvres, qui s’occupent des citoyens les plus vulnérables de nos communautés.

Les nouvelles réglementations, entrées en vigueur en 2013, concernent les travailleurs employés par les agences de soins à domicile, qui étaient exclus des amendements de 1970 à la loi sur les normes équitables de travail (Fair Labor Standards Act – FLSA) parce que leurs services étaient assimilés à de la « garde de personnes âgées » (c’est-à-dire pas une « vraie » profession).

En fait, ce secteur d’activités représente désormais une des composantes principales du soin à domicile qui consiste à répondre à divers besoins physiques et sociaux tels que l’aide aux repas, à la toilette et à la prise de médicaments, la rééducation et les activités de loisirs. Les nombreuses responsabilités liées à ces professions requièrent une formation professionnelle continue, de longues heures de travail (avec des périodes d’astreinte 24 heures sur 24 en cas d’importants besoins médicaux) et un considérable travail physique (pour soulever des personnes faibles, par exemple).

Lors d’une conférence de presse faisant part de la décision de justice, une aide à domicile de Santa Fe, Meriam Jawhar, a déclaré que l’intérêt des réformes du travail en cours reposait davantage sur la reconnaissance de sa profession comme un travail digne que sur les salaires :

« Je veux que les gens sachent que le soin à domicile est un métier qui mérite de l’honneur et de la reconnaissance… Quand on s’occupe d’un autre être humain, on lui permet d’être une personne à part entière, quelles que soient ses difficultés. C’est pourquoi il est très important de pouvoir compter sur une main-d’œuvre disponible et de veiller à ce que les travailleurs soient formés et prêts à intervenir ».

Cette récente décision a annulé la décision en deux volets rendue par un tribunal de district, qui spécifiait que le ministère du Travail des États-Unis n’avait pas l’autorité de changer unilatéralement les règles qui redéfinissaient les employeurs et les fonctions figurant dans l’exemption. Le juge Sri Srinivasan a précisé que le ministère du Travail venait seulement de reconnaître les changements qui s’étaient opérés dans le secteur des soins à domicile, dont la main-d’œuvre précarisée appartenait dorénavant à l’un des secteurs les plus florissants, qui proposait une alternative de proximité à l’institutionnalisation. Les réformes, selon le tribunal, permettraient « à ces employés de bénéficier des mêmes protections liées aux normes équitables de travail que leurs homologues, qui dispensent les mêmes services dans un cadre institutionnel ».

 

Relation employeur-employé

Cette décision reconnaît également que la relation employeur-employé a changé, dans la mesure où les agences qui embauchent une grande partie de ces travailleurs mènent des opérations complexes, qui bénéficient aujourd’hui largement des dépenses publiques et privées de santé.

Bien que les associations professionnelles aient intenté une procédure contre le ministère du Travail des États-Unis au motif que l’administration avait outrepassé son autorité, lors d’un précédent problème juridique d’exemption dans cette activité en 2002, la Cour suprême avait laissé au ministère de la Justice le soin de moderniser ces réglementations en fonction des besoins. La Cour avait même reconnu qu’il y avait depuis quelques années « une importance accrue de la valeur de l’aide à domicile » et, en conséquence, « un abandon des soins en institution ».

Comme l’explique Ai-jen Poo, directrice du syndicat d’employés domestiques National Domestic Workers Alliance et de la coalition de consommateurs et de travailleurs en faveur du travail à domicile, Caring Across Generations, l’importante « vague grise » composée des enfants du baby boom nés entre 1946 et 1964 a de plus en plus tendance à vouloir rester chez soi en bénéficiant de soins à domicile plutôt que d’aller en maison de retraite. Mais entre-temps, les mères, filles ou sœurs qui se seraient occupées des personnes âgées il y a une génération, travaillent souvent désormais en dehors du foyer pour soutenir leur famille.

Le secteur du soin à domicile pour le troisième âge s’est développé pour faire face à ce besoin, mais les salaires stagnent autour de 9,40 USD de l’heure, laissant les aides à domicile accomplir un travail difficile pour un salaire de misère, dans des conditions extrêmes de stress et, souvent, d’exploitation. Le taux de turnover annuel est estimé à 50 %. Et une forte proportion de travailleurs à domicile sont tributaires des prestations publiques, notamment des fonds de Medicaid, qui subventionnent également leurs salaires dérisoires.

Le fait que les travailleurs de ce secteur, comme d’autres travailleurs domestiques, soient essentiellement des femmes, des immigrants et des personnes de couleur, montre bien que les clivages sexuels et raciaux marginalisent un peu plus ces travailleurs faiblement rémunérés. En même temps, bien que les réglementations fédérales soient terriblement insuffisantes, des dizaines de milliers d’aides pour handicapés et personnes âgées, employées par les États de Californie, de l’Illinois, du Minnesota et du Massachusetts, ont bénéficié d’un seul coup des campagnes de syndicalisation fructueuses, qui leur ont permis d’obtenir une amélioration des salaires et de la sécurité de l’emploi.

Certes, les syndicats d’employés à domicile se sont heurtés à des difficultés juridiques – telles que la décision régressive rendue par la Cour suprême sur la collecte des cotisations syndicales dans l’affaire Harris contre Quinn – mais la lutte pour le salaire minimum et les syndicats révèle que la centralisation et la normalisation de la main-d’œuvre a favorisé la solidarité syndicale.

Toutefois, l’augmentation des salaires est assez limitée. Les défenseurs rappellent en effet que de nombreux États protègent déjà ces travailleurs par le biais des lois sur le salaire minimum et les heures supplémentaires, qui vont souvent au-delà du seuil fédéral fixé pour les salaires. Les travailleurs à domicile sont avant tout pénalisés par un manque de dispositions adaptées du côté du consommateur concernant les services complets et de haute qualité qui offrent à la fois des salaires décents et des services abordables aux familles, quel que soit leur niveau de revenu.

Sarita Gupta, codirectrice de Caring Across Generations, insiste sur la nécessité d’un financement stable des soins destinés au troisième âge et aux handicapés. La loi sur l’accessibilité des soins élude largement cette question de la pérennité du financement et, dans les années à venir, l’infrastructure des soins de santé sera mise à rude épreuve par l’explosion des coûts des soins et l’augmentation spectaculaire du nombre de patients.

« Le gouvernement va avoir un rôle à jouer pour réaliser un véritable investissement qui crée un système de soins durable qui fonctionne pour tout le monde aux États-Unis… c’est pourquoi cette décision de justice est si importante ; elle nous amène sur la bonne voie en termes de renforcement d’une main-d’œuvre qui sera absolument indispensable au système de soins durable dont nous allons avoir besoin à l’avenir ».

Un salaire minimum n’est pas une solution durable pour la crise de longue haleine du secteur des soins : les travailleurs ont besoin de salaires qui se situent au même niveau que ceux des professions médicales ayant des compétences comparables ; ils ont également besoin d’être représentés par des syndicats et que leur activité soit contrôlée. Mais du fait que ces nouvelles réglementations arrivent avec près de 80 ans de retard, les autorités de contrôle se rendent compte, au moins, que les aides qui s’occupent des personnes âgées méritent d’être reconnues et qu’elles apportent un peu plus qu’une simple « compagnie ».

 

Cet article a été publié pour la première fois dans l’hebdomadaire The Nation. Réédité ici avec l’aimable autorisation d’Agence Global.