Dans le désert, les jeunes réfugiés Sahraouis se réinventent et élargissent leurs horizons professionnels

Dans le désert, les jeunes réfugiés Sahraouis se réinventent et élargissent leurs horizons professionnels
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La jeunesse n’est pas seulement le stade où les horizons d’adulte en devenir commencent à se définir, c’est aussi le moment où l’on assume de nouvelles responsabilités, ainsi que les choix qui, justes ou non, seront des leçons de vie. Cette partie de la population est un atout très puissant pour le dynamisme d’une société. Car, sans impératifs de la famille ou du travail, elle peut s’engager dans des transformations et de nouveaux projets. Toutefois, si les conditions sociales et économiques ne sont pas favorables, elles peuvent les pousser à emprunter des voies et à prendre des décisions qui compromettent leur avenir et celui de leur entourage.

Les jeunes Sahraouis sont confrontés, comme partout ailleurs, à tous ces défis. Mais ils tentent aussi d’établir leur identité dans des camps de réfugiés qui, malgré leur apparente immobilité, sont en train de changer. Ces implantations sahraouis ou wilayas (au nombre de cinq), portent le nom des provinces de leur pays d’origine, le Sahara occidental et sont situées sur un territoire cédé par l’Algérie, au sud-ouest du pays. Cette région du désert, appelée hamada, est une zone rocheuse et inhospitalière connue sous le nom de « désert dans le désert » en raison de ses conditions extrêmes.

Après plus de 40 ans d’exil forcé, les jeunes commencent à ébaucher leurs propres références et leur approche particulière vis-à-vis du conflit avec le Maroc. Après l’armistice de 1991, qui mettait fin à la guerre commencée en 1976 (suite au départ de l’Espagne des territoires du Sahara et à l’occupation civile et militaire marocaine qui a suivi), le peuple sahraoui, représenté par le Front Polisario, avait tenté de gagner le droit au retour par les voies diplomatiques. Organisé sous les auspices de l’ONU, un référendum contraignant sur l’avenir des territoires occupés aurait dû être organisé, mais près de 30 ans plus tard, la situation reste bloquée en raison du blocus imposé par le Maroc qui invoque son désaccord avec la liste des électeurs.

Les données fiables sur le nombre de jeunes (de 15 à 30 ans) sur le territoire sont manquante, mais, en extrapolant les chiffres de l’ensemble du continent africain (32,4 % de sa population totale), et en dépit des différences entre les pays, les jeunes dans les camps pourraient représenter environ 40.260 personnes, selon une étude de l’Université de Navarre. (« La juventud refugiada en los campamentos saharauis », ou Les jeunes réfugiés dans les camps sahraouis).

Dans ce difficile environnement, la jeunesse sahraouie pourrait avoir le dernier mot. Le défi principal à relever pour elle est d’intégrer des perspectives d’avenir excitantes et les changements qui ont eu lieu au fil des ans, sans pour autant tourner le dos aux principes et aux idéaux des générations qui l’ont précédée. Si le défi est grand, la volonté de surmonter cette impasse l’est encore plus.

 

Larabas Said test drives a car – that he plans to sell – on a desert plain near Smara.

Photo: Cristian Sarmiento

Larabas est un enfant du conflit et, bien qu’il ne soit pas belliqueux, il voit d’un bon œil une mobilisation générale dans l’éventualité où la situation de son peuple ne pourrait être débloquée. Pour le moment, il préfère s’affairer sur les tambours des freins de voitures et de camions plutôt que sur les tambours de guerre. À 25 ans, il a déjà parcouru la moitié des routes de l’Europe. Il a travaillé comme transporteur pendant la période où il a vécu à Bilbao, en Espagne, jusqu’à ce qu’il décide de retourner dans les camps pour être proche des siens. Ce jeune homme a troqué l’asphalte contre le sable et travaille comme mécanicien. Il répare des voitures qu’il emporte ensuite en Mauritanie, pour les revendre, et ce, après avoir surmonté mille et un obstacles à travers le désert.

 

Despite the obstacles, Larabas works as a mechanic and auto dealer.

Photo: Cristian Sarmiento

Pour les jeunes des camps de réfugiés, les horizons professionnels sont limités à un éventail restreint de possibilités. Le secteur public (administration, éducation, santé) est l’une des alternatives les plus récurrentes, mais les salaires sont dérisoires et la stabilité n’est pas non plus garantie. C’est pour cette raison que de nombreux jeunes comme Larabas gagnent leur pain dans d’autres emplois informels comme la mécanique, dans des secteurs comme la construction, en conduisant des taxis ou dans des entreprises vendant de la nourriture, des vêtements, du tabac ou de l’essence. Ces emplois aussi sont mal payés, mais ils représentent une porte de sortie lorsque le secteur public ne sera plus un débouché possible (en raison de la pénurie de nouveaux postes).

 

The global feminist struggle is also having an impact on the day-to-day demands of Sahrawi women. The younger ones want to study, to train and to go beyond the roles traditionally set out for them.

Photo: Cristian Sarmiento

Aziza, Malu, Embatu, Umlajut, Atu et Sbaita (et deux autres amies), âgées de 18 à 20 ans, étudient à l’école Afad, une académie de formation professionnelle pour femmes. Ce centre, opérationnel depuis 2003, propose un nombre limité de cours comme le secrétariat et la couture (ainsi que la pâtisserie auparavant), ce qui aiguille ces jeunes femmes vers des professions qui perpétuent les rôles de genre. Cependant, il propose également des cours d’informatique.

 

After class, students (such as Aziza, Malu, Embatu, Umlajut, Atu and Sbaita) from the AFAD women’s vocational training centre spend time together in the wilaya.

Photo: Cristian Sarmiento

L’inégalité entre les sexes s’étend au monde du travail, où les opportunités sont déjà rares, avec des conséquences sociales tangibles, car la dépendance économique exacerbe la vulnérabilité des jeunes femmes. Même si ce phénomène se produit dans de nombreuses régions du monde, dans les camps de réfugiés, la pénurie d’emplois peut condamner les femmes au confinement dans leur foyer. De nombreuses femmes, formées et titulaires d’un diplôme universitaire, sont obligées de s’occuper du foyer.

 

Twenty-six-year-old Lhaj Lelubib has opened a food truck business, where he works with his cousin Sidi Moh Mulay. He used YouTube video tutorials to develop his idea and to train himself for the job.

Photo: Cristian Sarmiento

Avec une toile de fond qui complique encore plus la situation qui est déjà suffisamment dégradée dans le monde entier (notamment pour ce qui est des perspectives professionnelles de la jeunesse), de nombreux jeunes inventent des alternatives qui rendent de la dignité à leur présent et à leur entourage. C’est le cas de Lhaj, 26 ans, qui, avec son cousin Sidi Moh, a ouvert un commerce ambulant de kebabs à Smara. Ce commerce n’est pas le premier auquel on pourrait penser quand on imagine un camp de réfugiés. Pourtant, Lhaj a développé son rêve en se basant sur une évidence : les gens aiment sortir manger.

Cet autodidacte a peu à peu introduit des innovations dans son camion (il veut maintenant y installer des panneaux solaires) et dans ses recettes. De plus, il s’est transformé en un point de référence pour de nombreux jeunes pour qui il représente l’espoir de survivre et de se frayer un chemin sans avoir à émigrer vers un autre pays. Lhaj affirme avec conviction et fierté qu’« il ne faut pas donner du poisson aux gens, mais plutôt leur apprendre à pêcher ».

 

Hindu Mani opened a pizzeria in the Auserd wilaya, after taking a cookery course. She initially had to ask to borrow money to launch her business, but her success has now turned her into a role model for other young women, who come to her to discuss their own projects.

Photo: Cristian Sarmiento

Hindu, 28 ans, a elle aussi compris que la bonne cuisine pouvait trouver sa place partout. Après la pizzeria, elle a ouvert une pâtisserie dans la lointaine wilaya de Dakhla. Elle explique qu’au début, beaucoup de gens lui ont recommandé de renoncer à son projet et dit qu’une femme entrepreneur n’irait pas loin. Pourtant, une fois que son entreprise a décollé, ils sont venus lui demander du travail.

 

Hafdala Brahim runs a small kiosk where he sells packs of cigarettes that he buys in Algeria. In the evening, he and his friend, Hama Mohamed, relax watching a Champions League match.

Photo: Cristian Sarmiento

Pour sa part, Hafdala, qui possède également son propre commerce, a une vision plus sombre de l’avenir. Il achète des cartouches de tabac à Tindouf (Algérie) et les revend dans un petit magasin qu’il tient à Smara. Les douaniers lui causent de plus en plus de problèmes et sa marge bénéficiaire se réduit. Pour lui, il est donc clair que pour avancer, il doit partir à l’étranger. « Nous souhaitons être comme les autres jeunes du reste du monde », déclare-t-il. Hafdala s’est vu refuser un visa d’entrée en Espagne et a dépensé près de 600 euros (661 dollars américains) en frais de justice. Il explique que son aspiration est de travailler pour atteindre l’Espagne et améliorer sa vie et celle de sa famille. Faute d’opportunités de travail dans les camps, de nombreux jeunes ont dû émigrer vers d’autres pays. Et ceux qui restent sont accablés par la constatation qu’ils ne peuvent pas progresser matériellement.

This article has been translated from Spanish.