Dans les centres de détention pour immigrés en Espagne

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Les bâtiments sont équipés de grilles mais ce ne sont pas des prisons.

Les personnes enfermées à l’intérieur, privées de liberté, ne sont pas prisonnières ; elles ont commis une infraction administrative, celle de ne pas être en possession d’un permis de résidence légale en Espagne. Il s’agit d’ « immigrés sans papiers ».

Les Centres d’internement pour étrangers (CIE) sont capables d’accueillir environ 2500 personnes simultanément. Huit sites sont implantés dans les villes de Madrid, Barcelone, Murcie, Valence, Algésiras, Fuerteventura, Gran Canaria et Tenerife.

À ce jour, aucun journaliste n’a obtenu l’autorisation requise pour pénétrer à l’intérieur d’un de ces CIE. Le 3 décembre, le corps d’un citoyen arménien, Alik Manukyan, a été retrouvé dans une cellule du CIE de Barcelone. Les circonstances de sa mort demeurent obscures. La police affirme qu’il s’agit d’un suicide, mais plusieurs migrants du centre ainsi que diverses organisations ne croient pas cette version des évènements. Des dizaines de personnes se sont rassemblées à Barcelone pour exiger des autorités plus de justice et d’explications.

L’absence d’une législation spécifique et l’opacité de ces centres ont provoqué des situations d’abus et de manque de recours, comme l’ont signalé à maintes reprises le médiateur espagnol, diverses organisations non gouvernementales et des organisations internationales.

L’ONG Pueblos Unidos fournit des données au débat : D’après le rapport annuel de l’organisation intitulé "Piégés derrière les grilles" (Atrapados tras las rejas) - Rapport 2012 sur les centres d’internement pour étrangers (CIE) en Espagne, chaque mois, environ 1000 personnes étrangères sont internées dans les CIE. Un peu plus de la moitié finissent par être expulsées. La durée de séjour maximale dans un CIE en Espagne est de 60 jours.

 

« Je ne suis pas un criminel »

Une personne internée dans un CIE est déchue de son nom et n’est plus identifiée que par son matricule, rendant difficile toute communication avec l’extérieur si la famille ignore ce numéro d’identification (sous une nouvelle réglementation, momentanément laissée en suspens, ces personnes seraient appelées par leur nom). En attendant, elles ne sont pas informées de leur situation juridique et la plupart d’entre elles ne sont pas en possession du nom et du numéro de téléphone de leur avocat.

En 2012, l’association Pueblos Unidos a pu s’entretenir avec environ 10 % des personnes internées dans le CIE de Madrid lors des heures de visite normalement réservées à la famille et aux amis. Approximativement 41 % des personnes rencontrées provenaient de l’Afrique subsaharienne, suivies de 30 % d’Amérique latine, de 18 % d’Afrique du Nord (Maghreb), de 6 % d’Asie et de 5 % d’Europe orientale.

Dans le CIE d’Aluche, à Madrid, il y a une cour réservée aux hommes, qui y accèdent en deux groupes séparés, et une autre, beaucoup plus réduite, pour les femmes. Les internés dorment dans des chambres équipées de lits superposés d’une capacité de 6 à 8 personnes et réparties en quatre modules pour hommes (236 hommes) et un module pour femmes (44 femmes).

 

L’opacité au quotidien

Les téléphones mobiles sont interdits. Les traitements médicaux des internés souffrant de maladies chroniques sont interrompus. Aucune séparation n’est prévue entre les personnes ayant des antécédents criminels ou pénaux et les autres. Par ailleurs, toutes les salles ne sont pas équipées de caméras de surveillance, or il s’agit là d’un dispositif indispensable pour prévenir les abus (physiques et sexuels) et corroborer les plaintes formulées.

Samba Martine est décédée dans le CIE de Madrid le 19 décembre 2011. Elle avait 34 ans. Elle avait passé trois mois dans le Centre de séjour temporaire pour immigrés (CETI) de Melilla, suivis de 40 jours d’internement dans le CIE d’Aluche. Un examen médical réalisé à son arrivée dans le CETI de Melilla avait révélé qu’elle était gravement malade mais jusqu’à cet été, aucun protocole n’était prévu pour le partage d’informations entre les différents centres. Elle a laissé derrière elle un mari et une fille, Bijoux, âgée de neuf ans, qui résident tous deux en France. Ils n’ont pas pu assister à ses obsèques.

« Ces centres devraient ne pas exister ou être extrêmement limités. Il ne faut pas recourir à la privation de liberté de façon systématique ou arbitraire, des alternatives existent », explique Virginia Alvarez, responsable de politique internationale chez Amnesty International. Elle critique le manque de stratégies politiques et prévient : « Il y a en Europe des familles avec enfants qui sont internées dans des CIE durant des mois ».

 

Les portes de l’Europe

À partir du milieu des années 1990, l’Espagne s’est convertie en une destination attractive pour des millions de migrants aux yeux desquels la forte croissance économique supposait la possibilité de construire un avenir. En 2006, 38 % des immigrés étaient européens, 36 % latino-américains, attirés par les liens culturels et linguistiques, et environ 15 % étaient africains (majoritairement marocains et subsahariens).

Pour un immigré africain, les côtes espagnoles (îles Canaries, Baléares ou le sud du pays), de même que les villes autonomes de Ceuta et Melilla, situées sur la côte nord du continent africain, représentent les portes de l’Europe. En 2012, 3804 migrants sans papiers ont atteint les côtes espagnoles (30 % de moins que l’année antérieure). Ces personnes risquent leur vie sur des embarcations de fortune et dans des conditions extrêmes. Le nombre de personnes qui ont tenté d’entrer à Ceuta et Melilla de manière irrégulière, cachées dans des voitures ou autres véhicules, à la nage ou en franchissant les lignes de barbelés qui démarquent la frontière a, lui aussi, diminué ; 2841 en 2012.

Au début de cette année, la population étrangère résidant légalement en Espagne était légèrement supérieure à 5,1 millions de personnes, soit approximativement 11 % de la population totale, selon l’Institut national de statistique (INE). La Roumanie et le Maroc arrivent en tête de liste des pays représentés avec plus de 750.000 émigrés chacun, suivis du Royaume-Uni, de l’Équateur et de la Colombie.

On ne dispose toutefois pas de statistiques fiables concernant la population étrangère en situation irrégulière en Espagne. « Au début de 2009, la population née à l’étranger représentait plus de 13 % de la population résidant en Espagne », d’après un rapport intitulé La dynamique des flux migratoires entrants en Espagne (La dinámica de los flujos migratorios de entrada en España).

Quant aux demandes d’asile, leur nombre s’élevait à 2588 en 2012 (soit une diminution de 24,37 % par rapport à l’année antérieure), dont 2056 ont été acceptées.

Les cinq pays affichant le plus grand nombre de demandes de protection internationale étaient : la Syrie (254 contre 97 l’année antérieure), l’Algérie (202 contre 122 l’année antérieure), le Nigeria (293), le Cameroun (121) et la Côte d’Ivoire (109).

 

Moins de discours, plus de politique

À l’occasion de la réunion du Conseil des ministres de la Justice et des Affaires intérieures (JAI) de l’Union européenne, qui s’est tenue au Luxembourg en octobre, le ministre de l’Intérieur espagnol, Jorge Fernández Díaz, a lancé un appel à la « responsabilité et surtout à la solidarité partagée de l’ensemble de l’Union européenne » envers des pays « comme l’Italie et l’Espagne, qui formons la frontière extérieure de l’Europe et sommes plus intensément affectés par les flux migratoires ».

La centrale syndicale espagnole Confederación Sindical de Comisiones Obreras (CC.OO.) a publié un communiqué officiel dans lequel elle dénonce « l’absence au niveau de l’Union européenne de règles communes relatives à la gestion des flux migratoires et l’accès normalisé et fluide de main-d’œuvre en provenance de pays tiers. Elle s’acharne à suivre un schéma d’ « immigration zéro » qui ne fait que fomenter les entrées irrégulières et l’essor des réseaux de traite des êtres humains qui sont la cause de catastrophes comme celles de Lampedusa ».

Le mouvement syndical prône la prévention de situations d’exclusion sociale et des mesures partant de la reconnaissance du « fait que l’Union européenne, dont l’action a visé avant tout à contrôler les frontières, manque d’une politique d’immigration réelle et efficace qui permette une gestion adéquate des flux migratoires ».