Quelles pistes pour faire sortir le Zimbabwe de la situation actuelle ?

Depuis l’indépendance, les perspectives économiques du Zimbabwe ressemblent de plus en plus à un tissu délavé : à chaque lavage, il perd un peu plus de son éclat et, avec le passage du temps, il menace d’être réduit en haillons. Après avoir hérité, à son accession à l’indépendance en 1980, d’une économie saine – quoique profondément marquée par les disparités économiques –, le gouvernement du Zimbabwe a institué des décennies de déclin économique et un gouffre de plus en plus béant d’inégalités en faisant passer le capital politique et économique avant toute autre préoccupation.

Dans les années 1980, cependant, la confiance régnait encore parmi les citoyens ordinaires qui, d’une manière générale, ne saisissaient pas pleinement les fonctionnalités structurelles sous-jacentes de l’économie. Cela allait, toutefois, changer à partir des années 1990, avec l’introduction du Programme d’ajustement structurel économique (PASE), mis en œuvre sous l’égide de la Banque mondiale, à grands coups de plans d’austérité drastiques et de libéralisation économique, exposant les travailleurs aux funestes réalités du néolibéralisme. Et alors que le Zimbabwe titubait péniblement vers la fin de la décennie des 1990, cette tendance s’est encore aggravée sous forme de réductions des dépenses à grande échelle, qui ont terrassé les travailleurs et mis en lambeaux le tissu social du pays.

Le programme chaotique de redistribution des terres, démarré en 2000, a fini de mettre à genoux l’économie agraire du Zimbabwe. Entre 2000 et 2009, nous avons assisté à une baisse vertigineuse de la production agricole, causée par la fuite des agriculteurs expérimentés et une succession de sécheresses. Ce qui a, à son tour, eu de lourdes répercussions sur le secteur manufacturier, qui dépend de la production agricole pour ses matières premières.

L’économie a connu une brève période de reprise entre 2009 et 2014, avec l’introduction d’un système multidevises où le dollar américain a été adopté comme devise de base, suite à la formation d’un gouvernement de coalition à l’issue des élections très contestées de 2008. Cependant, depuis 2015, l’économie zimbabwéenne a été en récession.

Les principaux indicateurs socioéconomiques ont tous chuté, alors que l’inflation, la pénurie de liquidités, le déficit budgétaire et la dette publique se sont encore dégradés. Les carences persistantes de devises étrangères ont entraîné des pénuries de denrées essentielles et fait grimper les prix des produits de consommation courante à des niveaux records. Le taux annuel officiel d’inflation est passé de 2,97 % en novembre 2017 à 3,56 % en janvier 2018. En novembre 2018, l’inflation atteignait un record historique de 31 %, la plus élevée depuis l’introduction du système multidevises. Cependant, les estimations d’économistes de renom la placent à un taux sidérant de 186 %, plaçant le Zimbabwe en deuxième position après le Venezuela, avec ses 1,4 million %.

L’inflation galopante a eu un impact dévastateur sur les citoyens ordinaires ; les revenus des personnes qui ont encore la chance d’avoir du travail ou une pension ont été massivement érodés. Leur situation déjà difficile est aggravée par le fait que la plupart des personnes n’ont pas accès aux devises étrangères, alors que les fournisseurs, eux, exigent que leurs services soient payés en devise étrangère. Par ailleurs, des dizaines de milliers de travailleurs sont victimes de vols salariaux. Ce qui laisse la plupart des gens dans l’impossibilité de subvenir à leurs nécessités essentielles, que ce soit la nourriture, le logement, l’éducation, la santé ou le transport.

Et alors qu’on croyait avoir vu le pire, en janvier 2019, le gouvernement a augmenté le prix du combustible de 158 %, faisant plonger l’économie en vrille et créant un risque très probable d’hyperinflation. Les travailleurs ont lancé un appel à la grève et les citoyens s’y sont ralliés.

Les travailleurs confrontés à un mur de silence et une poigne de fer

Les perspectives d’une reprise économique cette année sont d’autant plus lointaines qu’il est peu probable que le pays atteigne ses projections de croissance économique ou ses objectifs d’inflation. Les circonstances présentes ont forcé le ministre des Finances, Mthuli Ncube, à revoir le taux de croissance économique projeté pour 2019, rabaissant celui-ci de 9,0 % à environ 3,1 %. Or même cet objectif revu a peu de probabilité d’être atteint, vu l’effritement continu de la confiance de la communauté internationale et le coût exorbitant de la vie. À moins que le gouvernement et ses interlocuteurs sociaux ne rétablissent promptement et en toute bonne foi le contrat social, les troubles sociaux risquent de devenir un fait récurrent au cours des mois à venir.

Face à l’implosion économique et une population aux abois, le gouvernement a cherché à museler en masse ses critiques, au lieu de s’atteler aux fondamentaux économiques et d’engager un dialogue. Les Zimbabwéens n’ont eu cesse, depuis des années, de revendiquer la stabilité économique, des réformes électorales, l’État de droit, une réforme des institutions et des salaires décents, mais tout ce qu’ils ont eu en retour c’est un mur de silence et une poigne de fer.

Des mesures économiques préjudiciables ont forcé le Zimbabwe Congress of Trade Unions (ZCTU) à lancer un appel à manifestations en octobre 2018, donnant lieu à une répression musclée de la part de la police. En janvier 2019, le ZCTU a lancé un appel à la grève, auquel l’État a répondu par un recours à la force brutale et une intervention des forces armées, faisant près de 17 morts. Les rapports ont également fait état de tabassages, de viols et autres atrocités. Le leadership du ZCTU s’est trouvé dans la ligne de mire des autorités. Le président du ZCTU, Peter Mutasa et moi-même, faisons non seulement l’objet de procès pour atteintes à l’ordre public suite aux manifestations d’octobre, mais avons plus récemment été accusés de tentative de déstabilisation du gouvernement, une infraction grave. En cas de condamnation, nous risquons vingt ans de prison.

Au cours des 12 derniers mois, les enseignants ont, eux aussi, essuyé des attaques pour avoir mené un mouvement de grève réclamant que leur salaire soit payé en USD, attendu que la valeur de toutes les autres modalités de paiement (obligations, argent électronique) a chuté en pic.

Des membres de l’Amalgamated Rural Teachers Union du Zimbabwe ont été traînés devant les tribunaux, tandis que des médecins et des infirmières ont été arbitrairement licenciés pour avoir revendiqué de meilleurs salaires et conditions de travail.

Le gouvernement cherche ainsi à intimider les travailleurs organisés afin de pouvoir poursuivre, en toute tranquillité, son programme d’austérité. Avec pour conséquence que la situation des syndicats est aujourd’hui plus précaire qu’elle ne l’était sous Mugabe : le gouvernement impose unilatéralement ses décisions sur les processus de négociation collective dans la fonction publique ; les dirigeants syndicaux sont la cible d’arrestations et de de détentions ; cependant que les tribunaux semblent avoir été pris en otage et ne sont plus sensibles aux travailleurs. Malgré les tentatives de l’État d’en venir à bout, le pouvoir collectif représente le seul espoir qu’il reste aux travailleurs du Zimbabwe.

11 pistes possibles pour une sortie de crise au Zimbabwe

En dépit de la situation apparemment sans espoir qu’affrontent actuellement les travailleurs au Zimbabwe, il existe néanmoins un certain nombre de pistes possibles pour aller de l’avant.

Réduire les dépenses du gouvernement – les gens ont perdu confiance dans le gouvernement en raison de l’indiscipline fiscale. La réalité des dépenses du gouvernement contraste nettement avec son discours. Les hauts responsables doivent réduire leurs dépenses et les déplacements à l’étranger, qui ont dépouillé le pays de millions de dollars de devises étrangères.

Secteur informel – le Zimbabwe possède la deuxième plus grande économie informelle du monde après la Bolivie. Au lieu d’être criminalisés et attaqués, ces travailleurs ont besoin d’accéder au capital et à l’aide pour la transition à la formalité. De plus, le gouvernement doit procéder de toute urgence à l’ouverture de lignes de crédit pour les petites et moyennes entreprises, pour recapitaliser l’économie.

Mettre fin à la corruption – il n’y a pratiquement aucun secteur au Zimbabwe qui ne soit gangréné par la corruption. Les coupables doivent être amenés à répondre de leurs actes et les milieux d’affaires doivent être assurés de la sécurité de leurs investissements.
Encourager un investissement direct étranger responsable – faire tourner la planche à billets ne va pas résoudre l’actuelle crise économique dans laquelle se trouve plongé le Zimbabwe. Un investissement direct étranger responsable se trouve à la clef de la croissance économique. Aussi, le gouvernement doit-il créer un environnement propice et durable pour favoriser de tels investissements.

Cohérence des politiques – cela reste un défi de taille. Le Zimbabwe dispose de plans excellents en vue d’une transformation positive du pays, mais ces politiques ne sont jamais mises en œuvre. Les ministres du gouvernement doivent également se garder d’émettre des déclarations politiques contradictoires, qui ne font que ternir la réputation déjà entachée du Zimbabwe.

Créer des emplois décents – le Zimbabwe foisonne de ressources naturelles, de l’agriculture aux ressources minérales, et est doté d’une main-d’œuvre abondante et compétente. Ce qu’il faut à présent c’est une volonté politique, ainsi que des politiques économiques adéquates pour créer du travail décent pour tous.

Abandonner le dollar américain – même si l’introduction du dollar américain s’était avérée nécessaire suite à la démonétisation du dollar zimbabwéen en 2009, à long terme, le Zimbabwe devra envisager la réintroduction de sa propre monnaie.

Insuffler un nouvel élan à la production – la production doit être recapitalisée, en commençant par les secteurs agricole, manufacturier et minier. Le programme de réforme agraire amorcé en 2000 a entraîné la destruction d’un secteur agricole naguère décrit comme « le grenier à pain de l’Afrique ». En ce qui concerne l’industrie manufacturière, il y a toute une série de produits à prix abordables qui demanderaient à être fabriqués ou traités localement (allumettes, bougies et eau minérale, par exemple), mais qui sont tous importés. Le secteur minier, quant à lui, pâtit de l’absence d’une transformation locale génératrice de valeur ajoutée. Comment le Zimbabwe peut-il être le deuxième producteur mondial de platine alors que la majorité de sa population vit dans la pauvreté absolue ?

Enrayer les flux financiers illicites – des taux records de flux financiers ont été relevés dans le secteur minier, cependant que nos difficultés économiques ont conduit le gouvernement à hypothéquer nos richesses minières aux mains d’ « investisseurs » bidon obstinés à nous dépouiller de nos minéraux. Le gouvernement est appelé à formuler des lois strictes pour freiner cette hémorragie. La valeur des diamants du Zimbabwe atteindrait 60 milliards USD, mais à qui donc profite ce négoce ? Certainement pas aux Zimbabwéens ordinaires. Au lieu de cela, 15 milliards USD provenant des ventes de diamants du pays se sont envolés, ayant en toute probabilité été détournés du pays. Cela doit cesser.

De vraies réformes – l’image du pays est sévèrement ternie par son piètre bilan en matière de droits humains, l’absence d’État de droit et la répression militaire récente contre des civils qui protestaient contre les difficultés économiques chroniques. Le gouvernement du Zimbabwe doit s’engager dans des réformes tangibles et significatives à tous les niveaux. Tant que cela n’aura été fait, aucune nouvelle ligne de crédit ne sera offerte au Zimbabwe, et ce en dépit de la dette nationale écrasante qui l’accable.

Le dialogue social – une plateforme de dialogue doit être mise en place d’urgence entre l’ensemble des parties prenantes. L’inclusion des partis d’opposition, des syndicats, des institutions confessionnelles, du monde académique, des étudiants et des autres parties de la société civile est cruciale. Le style « autoritaire » de gouvernance favorisé par l’administration en place s’est jusqu’ici avéré incroyablement inefficace. Des politiques gouvernementales clés sont annoncées à tout bout de champ en l’absence d’un engagement réel des parties prenantes, donnant lieu à une levée de boucliers. Le respect du contrat social engendrera la confiance, la transparence et la responsabilité dont le Zimbabwe a cruellement besoin pour prospérer.