Des solutions locales à des problèmes locaux propulsent les start-ups du Cameroun

C’est l’heure de pointe du soir à Douala, au Cameroun. Dans un quartier proche de l’université, Patrick Ehode se dirige vers son bureau d’où il gère, avec d’autres collègues, Vairified, une entreprise de vérification qu’il a lancée en avril 2016. Des motos-taxis avec deux ou trois passagers se faufilent avec dextérité entre d’autres motos-taxis, voitures et autres véhicules bloqués dans le trafic du soir, circulant avec précaution dans les rues embouteillées.

Patrick Ehode a démarré Vairified pour aider les Camerounais à savoir sur quels services, quels bars, quels restaurants, quels artisans et surtout sur quels chauffeurs de taxi ils peuvent compter et attendre un bon service. Alors que l’application commençait à connaître un certain succès à Douala, Patrick Ehode et son équipe l’ont étendue à d’autres villes camerounaises comme Yaoundé, Limbe et Buéa.

« C’est informatif », déclare-t-il. « Ici, les utilisateurs n’ont pas accès à des informations vitales, mais j’ai vraiment envie d’aider les gens à obtenir les bonnes informations pour prendre des décisions et c’est pour cela que notre concept est très simple : l’entreprise ou l’établissement est vérifié ou pas. »

Jusqu’à présent, c’est le service sur les taxis qui a eu le plus de succès.

« La plupart de nos clients sont des femmes », poursuit Patrick Ehode. « Des mères seules dont les enfants doivent être conduits à l’école, des entreprises dont le personnel travaille tard... » De plus, quand il se fait tard, pour les femmes dont les maisons ne sont pas directement accessibles en voiture, les chauffeurs de taxi deviennent des escortes en les raccompagnant jusqu’à leur porte pour s’assurer qu’elles rentrent en toute sécurité.

Selon Patrick Ehode, l’absence de règles de circulation implique que nombre de chauffeurs n’ont pas d’assurance pour leur voiture ni même de permis de conduire dans certains cas. Cette situation peut provoquer des accidents graves. D’après le groupe de la Banque mondiale au Cameroun, 12 personnes meurent par jour dans des accidents de la route dans le pays.

Sans accroître les tarifs des taxis, Vairified espère pallier un manque dont les institutions n’ont pas tenu compte en relevant les normes et en formalisant un secteur de l’économie par ailleurs relativement informel. L’entreprise s’est aussi engagée dans un partenariat avec la société multinationale de boissons Diageo pour fournir une solution sûre aux fêtards pour rentrer chez eux la nuit en ville grâce au service « Take Me Home ». Le service, lancé en décembre, encourage les chauffeurs à recourir à des taxis spécialement subventionnés plutôt que de boire et conduire, et dispose actuellement de 50 voitures stationnées dans Douala.

Vairified n’est pas la seule à s’attaquer à des problèmes survenant dans les transports dans le pays. Traveler est une application qui contrôle la sécurité dans les transports publics. Également nouvelle venue sur le marché, l’application, lancée en octobre de l’année passée, contrôle la vitesse, localise et obtient des informations sur le chauffeur et les passagers d’un bus, prête à contacter les services d’urgence et les équipes de sécurité routière en cas d’accident.

 
De la route aux zones rurales

Les créateurs de l’application de santé Gifted Mom ont adopté une approche différente pour combler des lacunes du système. L’application connecte des femmes de zones rurales avec des médecins et des travailleurs des services de santé qui les conseillent et les informent pendant et après leur grossesse, leur rappelant par SMS leurs cours de préparation à l’accouchement ou leurs rendez-vous pour la vaccination de leur bébé.

« Nous avons lancé cette application, car il nous semblait inconcevable qu’à l’époque où tant de technologies existent, nous ayons toujours des problèmes de mortalité maternelle et infantile », déclare son cofondateur, Alain Nteff.

Pour de nombreuses femmes des zones rurales, les centres de santé sont trop éloignés pour y faire des visites régulières, c’est pour elles que Gifted Mom existe. « Parce que le téléphone portable est un outil qu’elles utilisent tout le temps, nous pouvons nous en servir pour leur envoyer des messages », explique le docteur Agbor Ashumanyi Ako, responsable du programme de suivi et d’évaluation de l’organisation.

Faisant défiler des flux de messages entre les médecins et leurs patientes, l’ingénieur principal, Hervé Dongmo, met en évidence des échanges où un docteur estime ou pas que la patiente court un risque pour que le médecin prenant la relève puisse assurer le suivi.

« Dans les zones où les centres médicaux sont trop éloignés, les femmes peuvent rester chez elles pendant leur grossesse et penser que tout va bien. Nous avons eu deux cas où nous avons dû intervenir en urgence », regrette-t-il. « Et dans l’un des deux cas, le bébé était mort sans que la maman s’en rende compte. »

D’après les informations fournies par les femmes enceintes, les médecins peuvent déterminer si la patiente est capable de se rendre à la clinique la plus proche pour être soignée ou si des travailleurs des services de santé devront intervenir et la prendre eux-mêmes en charge.

« Notre objectif est de sauver des vies, pas uniquement de discuter », continue Hervé Dongmo.

Alors que l’application fonctionne en direct, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, et qu’elle peut comptabiliser jusqu’à 1000 messages par mois, l’équipe a besoin de plus de soutien logistique étant donné que les docteurs – qui sont bénévoles au sein du service – ne parviennent à répondre qu’en dehors de leurs horaires réguliers de travail.

« Il existe des start-ups qui offrent des solutions à de nombreux problèmes, y compris évidemment, la santé et la sécurité », déclare Rebecca Enonchong.

« Ce qui importe dans un écosystème technologique, c’est que les start-ups se concentrent sur des applications durables pour lesquelles elles trouveront des utilisateurs qui paieront pour les services, générant ainsi des bénéfices. Cela implique qu’au lieu de mettre au point des applications concurrentes pour la santé et la sécurité, les start-ups devaient identifier différents points qui posent problème et concevoir des applications qui les résolvent. »

 
« Je crois plus aux bouleversements  »

Dans un pays comptant 22 millions d’habitants, deux langues officielles (le français et l’anglais) et plus de 200 langues locales, il peut être difficile d’accéder rapidement à des informations nationales. Alors que la pénétration de l’internet est plutôt modérée, avec 20,7 % du pays connecté, d’après les informations de la Banque mondiale, lorsque des violences policières ont été commises en novembre à Bamenda, dans le sud-ouest du pays, contre des manifestants anglophones, des images et des vidéos ont rapidement circulé dans tout le pays. La population commence à demander des comptes.

« Il y a quelques années, la transmission des informations via les médias sociaux aurait été impossible », remarque Rebecca Enonchong. « Ce progrès, associé à un meilleur accès, moins cher à internet changent la donne et permettent d’avoir des informations sur la crise et d’exiger une réaction de la part du gouvernement. »

Dans toutes les solutions, les bouleversements, les interventions et les avancées vers la numérisation, Rebecca Enonchong est convaincue que les changements progressifs auront un effet durable sur la solidité des institutions du pays. Alain Nteff acquiesce ; il est particulièrement satisfait de la façon dont la participation locale résout des problèmes locaux. « Cela fait deux ans que l’on parle de court-circuiter le système de santé grâce aux téléphones portables. Je n’aime pas cette idée parce qu’elle implique que nous pourrions compromettre certaines choses », poursuit Alain Nteff.

« Je crois plus aux bouleversements. Nous ne disposons pas des systèmes de soins de santé primaires. La technologie nous permet de standardiser ces choses et d’agir plus vite pour rejoindre le reste du monde. Il y a beaucoup de possibilités... Et nous pensons que la technologie est la façon la plus rapide d’organiser les choses. »

 
Cet article a été traduit de l’anglais.

Cet article a été traduit de l'anglais.