Du fonctionnaire au président, la corruption gangrène le Pérou

Du fonctionnaire au président, la corruption gangrène le Pérou

In this photo supplied by the Andina news agency, emergency teams work in the remains of a house destroyed by a landslide in Chosica, Peru, on 24 March 2017. The disaster rekindled fears of misappropriations in a country plagued by corruption.

(AP/Andina, Carlos Lezama)

« L’autre glissement de terrain que nous avons eu ces derniers mois c’est la corruption. Lamentablement, la qualité des gouvernements municipaux que nous avons laisse beaucoup à désirer. Déclarer l’état d’urgence serait ouvrir la porte à la corruption ».

Cette déclaration de Pedro Pablo Kuczynski, le président du Pérou, lors d’une interview avec CNN Espagnol a fait couler beaucoup d’encre. Le pays venait alors de vivre une de ses pires catastrophes naturelles et de nombreux habitants réclamaient que le pays soit déclaré en état d’urgence.

Fin mars, 630.000 personnes ont été affectées par les grandes coulées de terres provoquées par les pluies intenses. Près de 100.000 personnes se sont retrouvées sans domicile et les dégâts matériels sont très nombreux.

Pourtant, le président a refusé de répondre aux desideratas de la population. Pourquoi ? Alors que des millions de dollars d’aide affluaient de l’étranger suite au drame, le Pérou s’est retrouvé face à ces démons. Si l’état d’urgence était déclaré, les municipalités n’auraient en effet plus eu besoin de passer d’appel d’offres. Comment s’assurer dès lors que ces financements n’auraient pas été détournés pour enrichir quelques-uns ? La question est loin d’être anecdotique dans le pays andin, alors que les révélations sur des affaires de corruption se sont multipliées depuis le début d’année.

Au premier plan, l’entreprise brésilienne Odebrecht, qui aurait versé plus de 29 millions de dollars à des fonctionnaires du pays entre 2005 et 2014 afin de s’assurer l’obtention de très juteux contrats.

Interrogé par Equal Times, Jaris Mujica, chercheur à l’Université pontificale catholique du Pérou (PUCP), soutient qu’il est tout d’abord important de faire une différence entre les types de corruption qui touchent le pays.

« Le problème plus important, c’est la corruption administrative. Ici, c’est massif. Certains le font pour s’enrichir, mais on est la plupart du temps dans une logique de “réseau”. Les fonctionnaires ont des contrats courts, ils doivent donc penser à ce qu’ils feront ensuite. »

Entre 2008 et 2016, le pays a chuté de 29 places dans l’Indice de Perception de la Corruption de Transparency International. Le pays se trouve maintenant 101e, avec un score de 35/100.

Walter Alban, le directeur exécutif de Proética, la section péruvienne de Transparency International, craint que le pire soit encore à venir.

« Du fait de la débilité de nos institutions et de l’importance de l’informalité, on a vu l’arrivée de mafias étrangères. Ils ont commencé par soudoyer pour pouvoir trafiquer facilement. La majorité de la police mais aussi du système judiciaire du pays est aujourd’hui corrompue. Mais avec l’argent, ils ont acquis plus de pouvoir. Aujourd’hui, ils font la pluie et le beau temps dans certaines élections et contrôlent donc les élus. »

Selon un sondage du journal péruvien La Republica, la corruption est désormais la seconde préoccupation des Péruviens (52%), seulement devancée par la violence (61%).

Les élus ne sont pas étrangers à ce phénomène. En 2014, le Ministère Public chargé de la corruption annonçait que 92% des maires du pays étaient sous le coup d’une enquête pour corruption… Pour les gouverneurs régionaux, 21 des 26 que compte le pays sont concernés.

Historiquement, le Pérou a un véritable problème avec la probité de ses représentants. Alan Garcia, président de 1985 à 1990 a été accusé de faits de corruption. Sauvé par la prescription des faits, il a été réélu en 2006 pour un second mandat. Et la liste ne s’arrête pas là. Fernando Belaunde, Alberto Fujimori, Alejandro Toledo, Ollanta Humala et même Pedro Pablo Kuczynski : tous les présidents du pays depuis 1980 sont liés de près ou de loin à une affaire de corruption.

Si vous demandez à un Péruvien, il vous dira qu’il faut remonter à San Martin, le fondateur de la République pour trouver un dirigeant à la réputation non entachée.

“Roba pero hace obras”

Il ne s’agit finalement que d’un vieux dicton péruvien appliqué au plus haut niveau du pouvoir : « Roba pero hace obras » (Il vole mais il fait des travaux).

Pour une grande partie de la population, les bénéfices pratiques qu’ils peuvent tirer de l’activité d’un élu, qu’il s’agisse d’une route ou encore d’un pont, sont un facteur déterminant de vote. La conviction, fortement ancrée, qu’ils sont de toute façon « tous pourris » incite ainsi à donner l’avantage à ceux qui mènent des actions concrètes.

En 2014, avant l’élection municipale de Lima, l’institut de sondage Datum a posé une question provocante : « Qui volera mais fera le plus de travaux selon vous ? »

C’est Luis Castaneda, élu maire ensuite qui a remporté le plus de suffrages (49%). Un maire aujourd’hui pointé du doigt pour ses activités suite à la catastrophe. Dans certains secteurs de la capitale, les dégâts auraient pu être beaucoup moins importants. Mais, des fonds dédiés à la prévention des désastres n’ont pas été utilisés et d’autres ont servi à améliorer le bord de mer liménien. Dans le même temps, un pont construit pendant son premier mandat (2003-2010) s’est étrangement effondré. La Contraloria, un organisme de contrôle public a lancé une enquête qui fait écho à plusieurs affaires où son nom est apparu.

Pourtant, certains sont optimistes pour l’avenir. Le docteur Duberlí Apolinar Rodríguez, Président de la Cour Suprême détaille à Equal Times, les mesures mises en place pour améliorer la situation.

« En octobre dernier, le président de la République a fait passer la loi de la “mort civile”. Grâce à celle-ci, une personne qui a été condamnée pour corruption ne peut plus faire partie de la fonction publique. Puis, en mars, le Congrès a voté en faveur de l’imprescriptibilité pour les délits de corruption. La Constitution devrait normalement être modifiée en août pour entériner cette modification. Dans le même temps, nous avons créé un système spécifique avec 14 juges destinés à lutter contre la corruption de façon efficace. »

Julio Arbizu Gonzales, procureur anticorruption de 2011 à 2014, a lui ses doutes quant à l’efficacité du système. « L’arsenal législatif contre la corruption au Pérou a été conçu pour démanteler l’organisation pyramidale mise en place par Alberto Fujimori et Vladimiro Montesinos. Aujourd’hui, on se retrouve face à une corruption plus segmentée et nous n’avons pas été capables de nous organiser. »

This article has been translated from French.