La voix des classes laborieuses sera-t-elle entendue ?

Venez le 14 février 2015*, la plus grande démocratie, la nation la plus densément peuplée et la principale économie du continent africain se rendra aux urnes.

Quelque 70 millions de Nigérians éligibles voteront pour les représentants du gouvernement fédéral et des États, dans le faible espoir d’inaugurer une nouvelle équipe de gouvernants qui puisse aider le Nigeria à réaliser son potentiel massif – et à surmonter ses défis non moins colossaux.

Toutefois, affirmer que cette campagne électorale tient le pays en haleine serait un énorme euphémisme.

De la corruption au terrorisme, à l’inégalité massive – Les Nigérians luttent contre l’insécurité sur tous les fronts.

Et dans un pays où la politique obéit fréquemment à la règle du « gagnant rafle tout », le spectre de la violence politique ne manque pas d’éveiller de vives inquiétudes.

De manière prometteuse, le président Goodluck Jonathan du People’s Democratic Party (PDP) au pouvoir et son principal rival, Mohammadu Buhari, du All Progressives Congress (APC), ont été rejoints par 12 autres candidats présidentiels dans leur engagement à prévenir toute violence politique avant, durant et après les élections.

S’il semble bien y avoir au Nigeria une poignée d’intérêts puissants résolus à diviser, à des fins politiques, la population sur la base de la religion et autres lignes de fracture sectaires, ceux-ci ne constituent qu’une distraction par rapport aux vrais problèmes qu’affrontent les Nigérians : L’emploi, la sécurité, la corruption et l’économie.

Avec une population de 173 millions d’habitants, une personne sur 40 dans le monde actuellement est nigériane.

Mais malgré des ressources naturelles et humaines abondantes, 61% de la population continue de vivre avec moins de 1,25 dollar par jour, cependant que le Nigeria occupe le 153e rang sur 187 pays dans l’Indice du développement humain de l’ONU.

Aussi, un grand nombre d’enjeux figureront au nombre des priorités pour les travailleurs nigérians le 14 février : La mise en œuvre effective du salaire minimum existant ; la création d’emploi ; la lutte contre la pauvreté ; la hausse de l’inflation ; l’introduction de nouvelles mesures d’austérité pour contrecarrer les effets de la chute des cours des hydrocarbures ; la prestation de services publics et le développement des infrastructures.

Mais au sommet des priorités de chaque Nigériane et de chaque Nigérian figure la sécurité.

 

Boko Haram

L’insurrection de Boko Haram dans le nord-est du Nigeria a déjà couté la vie à plus de 14.000 personnes depuis 2009.

Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants dans des grandes villes comme Maiduguri, Kano et la capitale Abuja ont été affectés. Le nombre de déplacés dans des villes comme Baga, Damaturu, Askira et Bama est, quant à lui, estimé à 1,5 million.

La majorité des déplacés tentent d’obtenir l’asile dans des pays voisins comme le Tchad, le Cameroun et le Niger mais Boko Haram a récemment aussi commencé à lancer des offensives dans ces pays.

En avril 2014,

219 filles ont été enlevées par Boko Haram

contre l’État nigérian.

La centrale syndicale nigériane, le Nigerian Labour Congress (NLC), a dénoncé la réponse apathique de la classe politique du pays face à la menace du terrorisme au Nigeria.

Car ce sont les travailleurs nigérians – les conducteurs de bus et d’okadas (mototaxis), les vendeurs des marchés, les marchands ambulants, les enseignants, les navetteurs et autres – qui sont les plus vulnérables face aux attaques de Boko Haram.

Il est aussi évident que le chômage massif – particulièrement dans le Nord du Nigeria – a attisé le feu insurrectionnel.

D’après divers reportages parus dans la presse, pour attirer les jeunes hommes sans emploi et les inciter à rejoindre ses rangs, Boko Haram leur offre des primes pouvant aller de 50.000 nairas (environ 260 USD) à 500.000 nairas (2600 USD) une vraie petite fortune dans cette partie du monde.

 

Corruption

Dans cette poudrière, la question de la corruption occupe désormais une place plus prépondérante que dans n’importe quelle autre élection, a fortiori à cause du lien entre la sécurité nationale et l’offensive militaire contre Boko Haram.

Le Nigeria continue d’être ravagé par une corruption endémique, et ce aussi bien dans le secteur public que privé.

En 2012, Oby Ezekwesili, ancien économiste de la Banque mondiale (et l’un des cofondateurs de Transparency International) a affirmé que depuis les années 1960, le Nigeria a perdu plus de 400 milliards de dollars en revenus pétroliers.
Il est facile d’imaginer l’impact qu’une telle quantité d’argent pourrait avoir en matière de protection sociale, de prestation de services publics, et même pourquoi pas, à condition d’être correctement géré, dans la lutte contre Boko Haram.

Malgré plus de 10 milliards de dollars dépensés par le gouvernement au cours des quatre dernières années dans son offensive contre Boko Haram, les soldats du front continuent de décrire l’impact désastreux du manque d’équipements adéquats, d’uniformes et de prestations sociales de base sur le moral et l’efficacité des troupes – conséquences de la corruption.

La lutte contre la corruption de l’administration du président Jonathan peut, au mieux, être décrite comme étant sans conviction.

Rappelons que le président lui-même a affirmé publiquement que voler ce n’est pas de la corruption, allant jusqu’à suggérer que les peines de prison ne devraient pas constituer la seule sanction en cas de corruption, contrairement à ce que stipule la loi.

Et à ce jour, il lui reste toujours à articuler de façon cohérente sa stratégie anticorruption.

S’agissant de l’économie, l’impact de la baisse globale des cours du brut se fait déjà durement ressentir au Nigeria, où les revenus pétroliers représentent approximativement 70% du PIB national.

En réponse à la chute des cours du pétrole, en novembre, le gouvernement a introduit une série de mesures d’austérité qui ont inclus une révision à la hausse des impôts et l’imposition de plafonds budgétaires.

La crainte de voir les classes laborieuses nigérianes faire les frais de ces mesures se voit d’ores et déjà confirmée.

Comme nous avons pu voir en décembre, quand les choses vont mal, les travailleurs et les pensionnés de la fonction publique sont les premiers à écoper de réductions salariales – voire de suppressions totales de leurs salaires.

Sans compter que le taux de croissance de 5% affiché par le Nigeria au cours des cinq dernières années a très peu d’impact sur la majorité des Nigérians.

Le taux alarmant de chômage des jeunes ne fait que surligner l’état de décrépitude avancée de l’économie. La gravité de la situation a été tristement illustrée par une ruée tragique lors d’un appel à candidatures à l’issue de laquelle plus de 16 chercheurs d’emploi sont morts et où 225.000 demandeurs ont postulé pour seulement 4500 postes aux quatre coins du pays.

Pour l’heure, tous les partis politiques se sont engagés à s’attaquer au chômage et le parti au pouvoir est même allé jusqu’à promettre huit millions de nouveaux emplois au cours des quatre prochaines années s’il est réélu.

Mais les Nigérians en ont assez des fausses promesses.

Ce que nous voulons ce sont des élections libres, justes et crédibles, afin d’endiguer la violence qui fait le jeu de Boko Haram dans son scénario de déstabilisation.

Ensuite, le nouveau gouvernement devra tenir ses engagements en matière de travail décent et d’un niveau de vie décent dont tous les Nigérians puissent jouir en pleine liberté et en toute sécurité.

 

*Le 7 Février 2015 les élections du Nigeria ont été reportées jusqu’au 28 Mars 2015 pour donner le temps au gouvernement pour tenter de contenir la menace posée par Boko Haram.