En Australie, les travailleurs de l’industrie du charbon veulent prendre leur avenir en main

En Australie, les travailleurs de l'industrie du charbon veulent prendre leur avenir en main

Warrick Jordan poses in front of a mining site in Newcastle, August 2022. He is coordinator for the Hunter Jobs Alliance, an organisation set up by unions and others to devise solutions and support the region’s workers and economy in the post-coal era.

(Léo Roussel)

Imaginer l’Australie sans son industrie du charbon, c’est presque comme imaginer les États-Unis sans le second amendement de sa Constitution autorisant le port d’armes à feu. Deux choses qui ont longtemps été considérées comme indissociables de ces pays et qui restent encore aujourd’hui vigoureusement défendues par les lobbys, jusque dans les sphères parlementaires et les couloirs des ministères, dans un pays où les énergies fossiles comptaient encore pour 92% dans le mix énergétique, dont 29% pour le charbon en 2021.

Ainsi, l’ancien Premier ministre conservateur australien Scott Morrison n’avait pas hésité, par exemple, à brandir un morceau de charbon au Parlement en 2017, lorsqu’il était ministre des Finances, assurant qu’il ne fallait pas en avoir peur. Et lors de son accession au poste de Premier ministre, il s’était aussi entouré directement de lobbyistes comme John Kunkel, ex-vice-président du Minerals Council of Australia, en le nommant chef de cabinet en 2018.

Dans l’Hunter Valley, région située au Nord de Sydney, dans l’État de Nouvelle-Galles du Sud, le minerai fait encore tourner aujourd’hui l’économie locale. Depuis les mines, jusqu’au départ des cargos quittant le port de Newcastle, l’industrie emploie plus de 17.000 personnes directement et indirectement. « Newcastle est le plus gros port d’exportation de charbon de la planète », précise le Dr Liam Phelan, chercheur à l’Université de Newcastle et spécialiste des incertitudes et des risques liés au changement climatique. « Les mines de charbon font partie de la vie ici depuis l’arrivée des Blancs en Australie ».

Mais le vent tourne. Pendant de nombreuses années, les projets miniers étaient encore soutenus et approuvés, notamment par le gouvernement Morrison, si décrié en Australie et dans le monde pour son inaction sur la question du climat. En mai 2022, les électeurs ont évincé « ScoMo » et acté le retour au pouvoir des Travaillistes. Le nouveau Premier ministre Anthony Albanese a promis de faire de l’Australie une « superpuissance des énergies renouvelables » et de réduire de 43% les émissions de CO₂ du pays d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 2005. Un objectif qui reste insuffisant pour les scientifiques de l’Autorité sur le changement climatique.

Ainsi se pose de nouveau la question de l’avenir des énergies fossiles, et par conséquent des 50.000 emplois directs et 120.000 emplois indirects (chiffres du lobby Minerals Council of Australia) liés à l’industrie du charbon en Australie.

Car, même en laissant la question environnementale de côté, l’industrie du charbon australienne a vu ses exportations ralentir ces dernières années, cela étant en partie lié à la guerre commerciale avec la Chine depuis 2020, tandis que la demande intérieure se tournait vers des énergies plus propres qui gagnent du terrain.

L’industrie des énergies renouvelables « a représenté 32,5 % de la production totale d’électricité du pays en 2021, ce qui équivaut à une augmentation de près de 5 points de pourcentage par rapport à 2020 », précisait ainsi l’organisation indépendante de défense de l’environnement Climate Council dans son rapport sur l’énergie 2022.

Une transition plus rapide que prévue qui inquiète les travailleurs

Les entreprises minières ont donc conscience de la mutation de leur industrie, et prennent déjà des mesures en ce sens (et ce, malgré leurs gains importants des derniers mois en raison de la crise du gaz en Europe, due au conflit en Ukraine, qui a entraîné une forte hausse de la demande mondiale en charbon). Au mois de juin, le groupe BHP a ainsi annoncé la fermeture de sa mine de Mount Arthur dans la Hunter Valley en 2030, soit 15 ans avant sa fin de vie initiale. Plus tôt dans l’année, c’est la fermeture de la centrale à charbon d’Eraring, à Lake Macquarie, prévue pour 2025, qui avait été révélée. En l’espace de huit ans, l’État de Nouvelle-Galles du Sud va ainsi voir sa plus grande mine et sa plus grande centrale fermer.

Alors du côté des ouvriers, et des syndicats, on préfère anticiper cette transition qui s’annonce plus rapide que prévue. « J’ai repris des études en licence de commerce à l’université », confie Nathan Clements, 27 ans, délégué syndical de l’Australian Manufacturing Workers Union, qui représente 4.000 travailleurs dans la Hunter Valley, dont de nombreux employés d’entreprises liées aux activités connexes de la production de charbon. Nathan travaille depuis sept ans pour une compagnie qui « entretient les machines utilisées dans les mines ». Le charbon, c’est presque une histoire de famille chez lui.

« Mon père travaille encore dedans. Mon frère et des amis y sont passés… Quand tu y entres, tu t’assures d’un boulot, d’un revenu, et autrefois d’un avenir ».

Sauf que depuis quelque temps, des incertitudes naissent chez les employés. Comme Nathan, qui tente tant bien que mal de cumuler ses 38 heures de travail hebdomadaires en entreprise et ses études, certains envisagent un retour sur les bancs de l’université en vue d’une requalification professionnelle. « Je connais un mec qui jongle entre les deux, et qui a six enfants ! », ajoute-t-il.

Preuve que l’avenir inquiète, les discussions s’introduisent de plus en plus sur les lieux de travail. « Aujourd’hui, c’est plus facile d’évoquer l’avenir de nos professions », assure Nathan, qui constate aussi « une prise de conscience sur le réchauffement climatique depuis les incendies » australiens de 2019 et 2020. Toutefois, si la question du climat est davantage abordée, elle reste reléguée au second rang chez les travailleurs. Leur priorité reste la perspective d’un emploi et d’un salaire.

Les syndicats sur le front pour une « transition juste »

En novembre 2020, Steve Murphy, secrétaire national de l’Australian Manufacturing Workers Union (AMWU), plusieurs collectifs de protection de l’environnement* et une coalition de syndicats ont fondé la Hunter Jobs Alliance (HJA), dont l’objectif est de veiller à la bonne transition économique de la région. « On essaye de s’assurer que la Hunter Valley dispose des soutiens et des programmes nécessaires pour aider les employés touchés par le changement, mais aussi pour pouvoir créer de nouvelles industries et conserver l’attractivité de notre région », précise Warrick Jordan, coordinateur de la Hunter Jobs Alliance.

Et pour la création d’emplois, la HJA ne manque pas d’idées : fabrication de bus électriques, rénovation de bâtiments, fonderies d’aluminium vertes, éolien offshore et réhabilitation des mines… Autant de secteurs que l’organisme espère voir financés par le gouvernement.

Souhaitant dépasser le cadre du débat parfois clivant sur l’action pour l’environnement dans l’industrie du charbon, la HJA veut aussi fédérer les syndicats de plusieurs corps de métier pour réfléchir à l’avenir de la région, et rapidement. Au total, neuf syndicats représentant enseignants, infirmières, employés administratifs, du secteur public, ou ouvriers composent aujourd’hui la HJA. « On a passé trop de temps à discuter de la réalité du réchauffement climatique, alors qu’on aurait dû le passer à trouver des solutions pour soutenir les employés et attirer de nouvelles industries », ajoute Warrick Jordan. La Hunter Jobs Alliance centralise les remontées des travailleurs, par le biais des syndicats membres, et organise des ateliers pour comprendre les craintes et les attentes des employés.

« Et malgré la diversité d’horizons des travailleurs et les différences d’opinion sur le sujet, la plupart des personnes comprennent qu’un changement arrive », poursuit Liam Phelan.

Chez les autres syndicats représentant les ouvriers en lien avec l’industrie du charbon aussi, on ne s’oppose pas aux réalités du changement climatique et à la transition énergétique imminente. Là encore, on souhaite une « transition juste ». « On travaille sur le plan politique, au niveau des états et au niveau fédéral, pour faire en sorte que cette transition juste soit une exigence législative », déclare Adrian Evans, secrétaire national adjoint de la Maritime Union of Australia (MUA), une antenne de la Construction, Forestry, Maritime, Mining and Energy Union (CFMMEU) qui représente notamment les employés des ports d’exportation de charbon.

Et cette transition les représentants interrogés s’accordent à le dire, elle passe entre autres par l’augmentation des moyens mis en place pour former les employés pour qu’ils puissent retrouver un travail, notamment dans le secteur des énergies renouvelables. Les syndicats y croient. « On doit saisir ces opportunités, et s’assurer que les bénéfices du développement des énergies renouvelables soient profitables à tous, en particulier à ceux qui seront affectés par la fin des vieilles industries », explique Michael Wright, secrétaire national adjoint de l’Electrical Trades Union (ETU), syndicat représentant 60.000 employés du secteur de l’électricité en Australie, dont « plusieurs milliers » travaillent déjà dans l’énergie solaire ou dans l’éolien, précise Michael Wright.

« Nous n’en sommes qu’au début »

Dans l’État de Nouvelle-Galles du Sud, l’organisme d’état TAFE (Technical and Further Education) permet la formation des professionnels. Pour Liam Phelan, le gouvernement doit investir davantage dans celui-ci. « On ne va pas travailler dans un parc éolien du jour au lendemain. Nous avons les compétences, mais nous avons vraiment besoin de davantage de formations », complète-t-il.

Autre mesure mise en place et réclamée par les syndicats : la création d’une autorité locale de coordination des efforts dans cette transition. Dans plusieurs régions d’Australie, celles-ci ont déjà vu le jour. « L’an dernier le gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud a annoncé la création du Royalties for Rejuvenation fund, un organisme qui bénéficiera de 25 millions de dollars par an, pour soutenir les initiatives dans le cadre de la transition, y compris dans la Hunter Valley », explique Liam Phelan. Une situation similaire observée dans l’État du Victoria, où la Latrobe Valley Authority a aussi été créée.

Pour l’Australian Council of Trade Unions, la principale centrale australienne, sous lequel nombre de syndicats précédemment cités sont affiliés, la transition est largement « prévisible et il est essentiel que le gouvernement agisse ». Les syndicats et leurs ouvriers l’assurent : elle a déjà commencé, et Warrick Jordan, de la Hunter Jobs Alliance préfère prévenir : « Nous n’en sommes qu’au début ».

This article has been translated from French.

*le Hunter Community Environment Centre (HCEC), Lock the Gate Alliance, le Nature Conservation Council, le Labor Environment Action.