En Colombie, le recul dramatique de la paix

Il est manifeste que certaines élites politiques et économiques en Colombie refusent actuellement de mettre fin au conflit armé qui perdure depuis plus de 53 ans, afin de préserver les intérêts représentés par le dirigeant d’extrême-droite Álvaro Uribe Vélez qui, après avoir occupé la présidence durant deux quadriennats (de 2002 à 2010), détient toujours les rênes du pouvoir dans les coulisses du gouvernement du président Iván Duque (au pouvoir depuis août 2018). Ces élites, en particulier Álvaro Uribe, craignent la justice et ne souhaitent en aucun cas que toute la lumière soit faite sur les violations des droits humains et les crimes de guerre commis sous sa présidence.

Généralisée, la violence politique compromet l’exercice de la liberté syndicale et empêche les travailleurs et les travailleuses de Colombie de défendre leurs droits de façon libre et démocratique, l’État ne leur offrant pas les garanties nécessaires. À cet égard, plusieurs de ses représentants encouragent une politique de stigmatisation et menacent les dirigeants socialistes et les défenseurs des droits humains.

Depuis la signature de l’Accord final pour la fin du conflit et la construction d’une paix stable et durable, le gouvernement du président Juan Manuel Santos (2010-2018) a consenti beaucoup d’efforts pour convaincre la communauté internationale des progrès accomplis dans le cadre du processus de paix. Tant et si bien que bon nombre d’organisations internationales sont aujourd’hui persuadées que la Colombie est un « pays en progression ». Rien n’est moins vrai.

La Colombie occupe la 143e place sur 163 pays dans le classement de l’Indice de la paix mondiale 2019, qui mesure la situation de la paix selon trois axes thématiques : le niveau de sécurité et de protection sociales, le nombre de conflits locaux et internationaux en cours et le degré de militarisation.

La position qu’occupe la Colombie indique que la sécurité et les conflits locaux demeurent un problème permanent, malgré l’accord de paix signé entre l’État colombien et le groupe d’insurgés FARC.

Selon un rapport indépendant (avril 2019) intitulé Estado efectivo de implementación del Acuerdo de Paz de Colombia 2 años de implementación (Situation concrète de l’application de l’Accord de paix de Colombie après deux ans de mise en œuvre), élaboré par l’Institut Kroc de l’Université Notre Dame (États-Unis), le pays n’enregistre qu’une progression de 2 % pour l’instauration de la réforme rurale et l’accès à la terre, de 13 % pour la participation publique et de 2 % pour les engagements relatifs aux drogues et au remplacement des cultures illicites. S’agissant des droits des victimes, les avancées plafonnent à 11 %. En revanche, en ce qui concerne la fin du conflit, le pays enregistre une progression de 45 %, un pourcentage qui s’explique par la démobilisation et la réaffectation des anciens combattants. En résumé, les FARC ont mieux respecté leur engagement que l’État colombien, représenté par son gouvernement qui, lui, n’a pas respecté l’accord de paix.

Y compris le secrétaire général de l’ONU Antonio Gutérres, dans son rapport (2019) auprès du Conseil de sécurité, a demandé« au gouvernement, au congrès et à toutes les entités d’adopter rapidement des mesures pour faire en sorte que la loi statutaire soit promulguée dans les plus brefs délais, conformément à l’accord de paix ». Il a également déclaré : « La JEP [juridiction spéciale pour la paix] est la principale garante du droit des victimes à la vérité, à la justice, à la réparation et à la non-répétition ». Parallèlement, le gouvernement Duque a rejeté durant plusieurs mois la loi réglementaire de la JEP, faisant obstruction à la justice pour éviter qu’une enquête soit ouverte à propos des faits qui se sont produits durant le conflit armé et empêcher que les responsabilités soient établies et que des sanctions soient prises.

Le gouvernement a peur de la justice et de la vérité, car il veut protéger son dirigeant politique Álvaro Uribe et ses sympathisants locaux, responsables présumés des crimes commis : exécutions extrajudiciaires, déplacements forcés, usurpation des terres des paysans, assassinats de personnes protégées (dirigeants sociaux, syndicaux et défenseurs des droits humains).

« Pourquoi les assassinats se poursuivent, malgré la signature d’un accord de paix avec les insurgés »

La tendance à la diminution des assassinats entre 2015 et 2017 s’est inversée au lendemain de l’entrée en fonction du gouvernement d’Iván Duque. Depuis 2018, le pays enregistre une hausse du nombre d’assassinats des dirigeants syndicaux et sociaux, des défenseurs des droits humains et des anciens combattants des FARC.

L’Escuela Nacional Sindical de Colombie a ainsi enregistré un total de 702 assassinats de citoyens actifs dans la défense des droits humains et dans les secteurs syndicaux et sociaux, dont 135 anciens combattants des FARC. Ce chiffre total comprend également 73 syndicalistes (depuis la signature de l’accord en novembre 2016).

Selon le rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme portant sur la situation des droits humains en Colombie, les massacres en 2018 ont augmenté de 164 % par rapport à l’année précédente. Le Comité international de la Croix-Rouge indique que le nombre de victimes de déplacements forcés a augmenté de 90 % et que le nombre de victimes de mines antipersonnel et d’engins explosifs a triplé depuis 2018.

Un collègue syndicaliste présent lors d’une réunion au siège de l’OCDE a entendu un député européen demander pourquoi les assassinats se poursuivaient, alors qu’un accord avait été signé avec les insurgés. Ceux qui connaissent la Colombie savent que les paramilitaires sanguinaires de droite continuent à agir en toute impunité, menaçant et assassinant quiconque se risque à revendiquer des relations plus démocratiques dans le pays. Par exemple, un groupe paramilitaire menace de tuer des dirigeants syndicaux pour l’avoir qualifié de « groupe de guérilleros déguisés en travailleurs » souhaitant imposer le socialisme dans le pays. Ce dernier a donné aux personnes menacées un délai de 48 heures pour quitter les lieux au risque d’en « subir les conséquences ». Plusieurs collègues syndicalistes continuent de recevoir des menaces de mort.

Le gouvernement Duque non seulement minimise ces faits, mais ne semble montrer aucun signe d’intérêt pour la construction de la paix, considérée comme un engagement historique et structurel de la société colombienne et de ses institutions, soutenu à la fois par l’ONU, l’UE, les États-Unis et le mouvement syndical international.

Les explications officielles, comme celles du ministre colombien de la Défense Guillermo Botero concernant l’assassinat de l’ancien guérillero Dimar Torres, témoignent à elles seules du mépris exprimé à l’égard de l’intelligence du plus grand nombre.

Pire encore, la politique sécuritaire du président Duque contribue à intensifier le conflit armé et à réactiver les groupes paramilitaires avec l’aval des autorités, faisant peser une lourde menace sur les droits humains, la paix et la vie. Les données ne manquent pas – par exemple, les liens que j’ai indiqués dans les paragraphes précédents. Quiconque prend le temps et la peine de lire toutes les informations les plus récentes aboutira à la même conclusion.

Il est donc urgent d’examiner de près le processus de paix en Colombie qui, au cours de ces deux dernières années, n’a cessé de reculer au lieu de progresser. Plus vite nous prendrons conscience de la situation et agirons en conséquence, mieux le monde se portera, principalement la Colombie.

Il importe d’exercer de fortes pressions sur le gouvernement Duque pour que le pays prenne des mesures en vue de mettre un terme aux assassinats des dirigeants syndicaux et sociaux, des défenseurs des droits humains et des anciens combattants, ainsi que pour soutenir et faire respecter les institutions du système judiciaire transitionnel (JEP, CEV), faire éclater la vérité et obtenir justice et réparation, maintenir la présence de la Commission de vérification du Conseil de sécurité de l’ONU et multiplier les activités de coopération avec les communautés et les territoires. Enfin, point non négligeable, il est indispensable de rendre exécutoires les engagements internationaux de l’État colombien, y compris les accords professionnels.

This article has been translated from Spanish.