En Grèce, les dockers du port du Pirée luttent pour l’amélioration de leurs conditions de travail

En Grèce, les dockers du port du Pirée luttent pour l'amélioration de leurs conditions de travail

Dockworkers employed by the company Dport on strike in Piraeus in February of 2022. The 2,100 dockworkers who work for Dport lack a collective agreement that truly protects their rights.

(Miguel Fernández Ibáñez)

Il est 6 heures du matin par une fraîche journée de février 2022 à Perama, une cité ouvrière dans les faubourgs du port du Pirée à Athènes. Des centaines de dockers, dont la plupart portent des manteaux orange réfléchissants, les mêmes que ceux qu’ils utilisent pour travailler pour Dport (une société liée à Cosco), organisent une grève de 24 heures. À l’entrée de l’un des quais, ils réclament une convention collective pour améliorer leurs conditions de travail et économiques afin de les aligner sur celles des dockers employés par l’autorité portuaire du Pirée (PPA en anglais).

« Sur l’autre quai, ils gagnent beaucoup plus que nous. Je touche 58 euros (62,3 dollars US) par jour parce que je travaille depuis dix ans, alors que ceux qui viennent d’être embauchés en touchent 42 (45,1 dollars US) », constate Stavros, un docker. « [L’entreprise d’État chinoise] Cosco paie moins, et je suis convaincu qu’elle paierait un dollar de l’heure si elle le pouvait, mais c’est aussi la faute du gouvernement [grec], qui le permet », ajoute l’homme de 32 ans, soutenu par son équipe. Ils ne sont pas jaloux des « autres dockers », soulignent-ils, car ces derniers touchent le minimum qu’ils méritent pour un travail éreintant et dangereux, sous d’énormes grues et entre des équipements extrêmement dangereux. Dans ce port, le deuxième port à conteneurs le plus important de la Méditerranée, un docker a récemment perdu la vie.

Le millier d’employés de PPA travaillent sur le quai I, dans les bureaux ainsi que dans les terminaux dédiés aux croisières, aux véhicules et autres activités. Ils sont protégés par une convention qui, grâce à des mesures incitatives, leur permet de gagner un salaire moyen de 1.600 euros net. « Nos négociations partent du minimum que nous assurons depuis des décennies. De plus, PPA rend des comptes aux investisseurs qui veulent conserver un bon profil aux yeux de la société », explique Giorgos Gogos, secrétaire général du syndicat des dockers de PPA. Toutefois, les 2.100 dockers qui travaillent pour Dport sur les quais II et III ne disposent pas d’une convention collective qui protège réellement leurs droits. C’est la raison pour laquelle ils gagnent moins, environ 1.300 euros, et que des grèves et des protestations ponctuelles sont organisées pour améliorer la formation, la sécurité et, bien sûr, le salaire.

Piraeus Container Terminal, la filiale de Cosco chargée de la gestion des terminaux pour conteneurs, fait appel au personnel fourni par Dport depuis 2010. Un maillage d’entreprises que tout le monde réduit à « Cosco », le géant chinois qui contrôle Le Pirée. En réponse à un entretien écrit avec Equal Times, George Petsis, directeur de Dport, nie toute relation avec Cosco et se défend de toute critique. « Notre entreprise a signé une convention collective de travail de trois ans avec le principal syndicat [le SYNEDEP, nda] en 2019. En octobre 2021, comme l’exige la loi, nous avons entamé une nouvelle négociation avec ce même syndicat, qui représente plus de 55 % des travailleurs », explique M. Petsis. « Les dockers en grève sont membres d’un syndicat [ENEDEP] qui représente environ 20 % des employés. Ce syndicat est en litige avec l’autre syndicat [SYNEDEP] et tente d’annuler la validité des récentes élections syndicales afin de bloquer la signature d’une nouvelle convention collective avec le représentant légitime.»

« Nous sommes disposés à discuter des dispositions qui amélioreraient la rémunération et tous les autres aspects des conditions de travail de notre personnel, à condition que le syndicat qui signe la convention collective dispose de tous les documents juridiques nécessaires », conclut-il.

Dport insinue que l’absence d’accord est due au syndicat ENEDEP. Or, ce dernier soutient que le SYNEDEP est un syndicat contrôlé par Dport, qui négocie à la baisse les avantages de la convention collective. « Il n’y a pas de preuves, mais leurs positions publiques le suggèrent : Le SYNEDEP n’affiche que des différences politiques et n’a pas appelé à une seule journée de grève, pas même lorsqu’un docker est mort en octobre », analyse Giorgos Gogos. « Dport sait qu’il est difficile de trouver du travail et oblige les gens à adhérer au SYNEDEP », dénonce le docker Petros, qui demande à être protégé par un pseudonyme.

C’est pour cette raison, et parce que l’organisation majoritaire a le pouvoir de négocier la convention, qu’il existe un différend entre les deux syndicats, une impasse qui porte préjudice aux travailleurs. Pour M. Gogos, la solution consisterait à unir leurs forces et à étendre leur lutte : « Les syndicats doivent négocier, s’unir sur certaines revendications, et ils doivent aussi obtenir le soutien de la population du Pirée. Nous espérons que nos conditions seront étendues aux dockers de Dport et aussi que la mentalité de cette entreprise ne touchera pas la PPA. »

Bénéfices record des entreprises qui ne profitent pas à la main-d’œuvre

La lutte des dockers témoigne de l’affaiblissement croissant de la protection des travailleurs en Grèce, de l’infiltration des entreprises dans les syndicats et de la cupidité des multinationales qui profitent des lois favorables pour raboter les avantages sociaux. C’est ce que Jordi Aragunde, coordinateur international en matière de travail du Conseil international des dockers, associe à la mentalité capitaliste : « Récemment, je négociais à Dakar avec des entreprises françaises et suisses et la seule chose qui les préoccupait était le fait de devoir payer cinquante centimes de plus à des gens qui sont payés un dollar et demi pour des journées de 12 heures. C’est ça l’attitude de l’entreprise capitaliste ». Il nuance cependant dans sa comparaison avec Cosco, ajoutant qu’« il est davantage possible de débloquer des litiges avec des entreprises occidentales ».

Cosco est la troisième compagnie de transport maritime par conteneurs au monde. Il s’agit de la principale compagnie maritime d’Ocean Alliance, qui, avec 2M et The Alliance, forme l’oligopole qui contrôle la quasi-totalité du trafic de conteneurs en Europe. En Méditerranée, Cosco gère le principal terminal du premier port à conteneurs à Valence en Espagne et dirige Le Pirée. Au Pirée, la compagnie a d’abord obtenu en 2016 la concession des quais II et III destinés au chargement et déchargement de conteneurs puis la majorité de la participation de l’Autorité portuaire du Pirée jusqu’en 2052, et ce, en échange d’un investissement estimé à 1,5 milliard d’euros (environ 1,57 milliard de dollars US), incluant des projets de développement d’infrastructures et 410 millions (440 millions de dollars US) de dividendes et d’intérêts pour l’État.

Depuis l’arrivée de l’entreprise chinoise, le port a vu son activité s’accélérer, en partie parce qu’il occupe une position stratégique sur la nouvelle « route de la soie » chinoise. Même si l’on ne s’accorde pas sur les bénéfices que l’entreprise apporte à l’économie locale, la progression se reflète dans le nombre croissant de dockers qu’elle emploie et de conteneurs de marchandises qui y sont acheminés. Celui-ci est passé de 800.000 par an à 5,3 millions.

« Il est proche du canal de Suez et permet le transit des cargaisons des gros navires vers les plus petits. En plus, Athènes abrite presque la moitié de la population grecque, ce qui permet de relier les gros navires au trafic local et au reste de l’Europe », souligne Sotirios Theofanis, ancien directeur des ports de Thessalonique et du Pirée.

Comme d’autres entreprises internationales, Cosco respecte les lois locales. La syndicaliste Margarita Koutsanellou, 55 ans, estime que « le gouvernement soutient les employeurs et qu’il est donc aussi coupable que Cosco [de la précarité qui afflige les travailleurs] ». Elle est aux côtés des dockers aujourd’hui, bien que sa lutte soit plus générale, déclare-t-elle, brandissant une extrémité d’une banderole critiquant la loi 4808 de 2021, qui, insiste-t-elle, porte atteinte au droit à la grève et prolonge la journée de travail.

« [Ce texte] établit un niveau d’effectif minimum de 33 % lors d’une grève dans les services publics ; c’est un chiffre très élevé qui en torpille l’efficacité », explique Ioannis Katsaroumpas, expert en droit du travail à l’Université du Sussex. « En 2010, des efforts ont été déployés pour décollectiviser les relations industrielles et passer d’accords collectifs à des accords individuels. À cet égard, [le parti au pouvoir] Nouvelle Démocratie a introduit des changements dans les heures de travail qui ont été rendus possibles en partie par la prolifération des accords individuels », poursuit-il.

La couverture offerte par les conventions collectives en Grèce est passée de l’une des plus élevées de l’UE à l’avant-dernière, et les programmes d’ajustement économique imposés par la Troïka ont nui à la qualité de l’emploi. M. Katsaroumpas, co-auteur d’un chapitre sur la Grèce dans Collective bargaining in Europe: towards an endgameLa négociation collective en Europe : vers une fin en soi »), note que « la loi a contribué à modifier les règles du jeu, en compliquant la contestation ».

L’expert souligne le consensus qui s’est dégagé par le passé, tant à droite qu’à gauche, pour protéger les travailleurs. Il rappelle la loi 1876 de 1990, qui « reposait sur deux piliers : le principe de “favorabilité”, en vertu duquel la convention collective générale ne pouvait être améliorée que par des accords sectoriels et tertiaires, et le principe d’“extension”, en vertu duquel les conventions collectives protégeaient non seulement les adhérents, mais aussi tous les travailleurs ». Or, dès 2010, des « frappes chirurgicales » ont eu lieu contre ces principes, qui ont été suspendus et rétablis une fois que le mal avait été fait. « Ils ont déstabilisé le système. Ils ont démantelé les accords sectoriels, qui constituaient un obstacle à la déflation salariale », explique M. Katsaroumpas, qui fait valoir que, de toute façon, « le gouvernement dispose de mécanismes pour garantir de meilleures conditions de travail ».

Comme bien d’autres, les dockers Stavros et Petros ont accepté les conditions de travail lorsque Cosco a pris le contrôle des terminaux pour conteneurs. C’était il y a dix ans et ils n’avaient pas le choix : il n’y avait pas de travail en Grèce. On leur avait promis que leurs droits s’amélioreraient avec le temps, mais cela ne s’est pas produit. Déçu, Petros résume la situation : « En 2010, tout le monde essayait de survivre. On nous a dit que nous étions une famille et que tout se ferait correctement. Et, même s’il est vrai que les conditions technologiques se sont améliorées, nous attendons toujours de meilleures conditions économiques et de travail. Nous nous sentons donc trahis. »

This article has been translated from Spanish by Charles Katsidonis