En Guinée, plus de 12 ans après le massacre du stade de Conakry, les victimes n’ont toujours pas obtenu justice

En Guinée, plus de 12 ans après le massacre du stade de Conakry, les victimes n'ont toujours pas obtenu justice

A protest by members of the Coalition for Justice and Democracy in Guinea on 28 September 2016, in front of the United Nations in New York, on the seventh anniversary of the Conakry stadium massacre that took place on 28 September 2009.

(Kena Betancur/AFP)
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Au siège de l’Avipa (l’Association des victimes et parents et amis du 28-septembre 2009) situé dans la banlieue de Conakry, la capitale de la Guinée, Assmaou Diallo reçoit les invités. Assise devant son ordinateur, elle échange au téléphone avec une victime, membre de l’association, qui voudrait savoir comment évolue le dossier judiciaire. Des appels comme celui-ci, la présidente de l’Avipa en reçoit des dizaines par semaine. Créée en 2009, l’association a pour objectif d’assister les victimes pour leur prise en charge et pour la manifestation de la vérité.

Sur les murs du local sont affichées des photos qui illustrent le drame vécu par des milliers de Guinéens le 28 septembre 2009 dans le stade du même nom, en référence à la date du début du processus d’indépendance du pays en 1958. Ce jour-là, peu avant midi, des milliers de Guinéens manifestent contre la candidature du chef de la junte militaire, le capitaine Moussa Dadis Camara, à l’élection présidentielle de 2010. Munis des pancartes et chantant Liberté, l’hymne national, les manifestants paradent sous les applaudissements des principaux leaders de l’opposition installés dans la tribune. Soudain, des centaines d’agents des forces armées, composées majoritairement des redoutables Bérets rouges, font irruption dans le stade en tirant des coups de feu.

« On a d’abord cru à des tirs de sommation destinés à nous disperser », se souvient Aissatou Diallo, une rescapée. « Puis on a vu des gens tomber comme des mouches. C’était le sauve-qui-peut. Mais les assaillants avaient fermé et électrifié les portes du stade pour nous empêcher de s’échapper », témoigne-t-elle.

Les Bérets rouges ont tiré jusqu’à ce qu’ils aient épuisé leurs balles, puis ont continué à « tuer avec des baïonnettes et des couteaux », écrit l’organisation HRW dans son rapport sur les évènements. Le bilan est lourd. Selon les Nations unies, 157 personnes sont tuées, plus d’un millier d’autres sont blessées et des centaines de femmes violées. Parfois avec des fusils. Selon des nombreux témoignages, le nombre des victimes serait plus élevé encore. « Les forces de sécurité ont organisé une opération de dissimulation, bouclant tous les accès au stade et aux morgues et emportant les corps pour les enterrer dans des fosses communes dont beaucoup doivent encore être identifiées », écrit encore HRW dans son rapport. D’autres exactions ont été commises contre les sympathisants de l’opposition dans les jours qui ont suivi.

La répression du rassemblement des opposants est immédiatement et vigoureusement condamnée par la communauté internationale qui accentue la pression sur la junte. Des voix s’élèvent pour faire reconnaître le massacre comme un « crime contre l’humanité », au regard du droit international.

Dès octobre 2009, la Cour pénale internationale ouvre un examen préliminaire sur la situation en Guinée. Acculé, le capitaine Moussa Dadis Camara rejette la responsabilité sur son aide de camp, le lieutenant Toumba Diakité. Ce dernier ne voulant pas assumer seul la responsabilité du massacre va profiter d’une altercation avec le chef de la junte pour tirer sur lui, le blessant grièvement à la tête et l’éloignant définitivement du pouvoir.

En 2010, c’est finalement Alpha Condé qui est élu à la tête du pays. Cette élection de l’opposant historique suscite un grand espoir auprès des victimes, à qui il promet que justice sera rendue. En février 2010, une enquête est ouverte sur les évènements et elle durera sept ans. Treize présumés auteurs et commanditaires du massacre sont inculpés dans la procédure. Parmi eux, le capitaine Dadis Camara, qui vit depuis plusieurs années en exil au Burkina Faso, et son ancien aide de camp, le lieutenant Toumba Diakité, qui avait fui au Sénégal voisin avant d’être extradé en 2017. Malheureusement, la date du procès n’est toujours pas fixée, malgré les demandes répétées des victimes et des associations.

Le 5 septembre 2021, pour la troisième fois de son histoire, la Guinée enregistre un coup d’état militaire, mené par les Bérets rouge. Le président Alpha Condé, 83 ans, est renversé par l’armée, faisant d’abord craindre à la population de nouveaux massacres. Pour les victimes et leurs proches qui s’apprêtaient à commémorer alors les 12 ans du massacre, l’inquiétude redouble de ne jamais voir les assassins passer devant une cour de justice. Six associations de défense des droits humains ont demandé dans un communiqué un « signal fort » aux autorités de transition, « démontrant la volonté des autorités de placer le respect des droits humains et la lutte contre l’impunité au centre de leurs priorités ».

La transition apportera-t-elle la justice ?

Dans son premier discours, le nouvel homme fort du pays, le colonel Mamady Doumbouya, cite, entres autres, la « politisation de la justice » pour justifier son coup de force. « La justice sera la boussole qui orientera chaque citoyen », promet l’ancien légionnaire de l’armée française.

Pour plusieurs observateurs, le blocage du procès s’explique par l’instrumentalisation du pouvoir judiciaire qui a été faite par l’exécutif. En effet, le capitaine Dadis qui dispose d’un bastion électoral important en Guinée forestière, sa région d’origine, donnant à chaque élection des consignes de vote pour le parti au pouvoir. « C’est un deal entre Dadis et le président Alpha Condé. Tant qu’il donne des consignes de vote, lui et ses amis ne seront pas inquiétés », affirme un parent de victime.

Durant l’exercice du pouvoir du président Condé, l’opposition a enregistré plus d’une centaine de morts par balles lors des manifestations. Si la justice est toujours restée muette sur ces tueries, elle a, en revanche, condamné plusieurs personnes arrêtées lors des marches de l’opposition.

Après onze ans d’exil, le capitaine Dadis Camara est autorisé à rentrer au pays le 22 décembre 2021. Mais ceux qui avaient espéré que ce retour allait ouvrir la voie à l’organisation d’un procès, ont vite déchanté. Le séjour de l’ancien chef de la junte n’a duré que quelques jours. Il a tranquillement regagné le Burkina Faso. Et ce, après avoir reçu un passeport diplomatique de la main du nouveau chef de la junte.

Cet acte du président de la transition en faveur du principal accusé dans le dossier du massacre du 28 septembre n’est pas de nature à rassurer les victimes et leurs parents. « C’est une façon d’encourager l’impunité », déplore un citoyen qui a perdu un ami dans le stade. « C’est comme si la junte voulait à son tour contrôler la justice », poursuit notre interlocuteur qui, pour illustrer son argument, cite le récent limogeage de la ministre de la Justice et des droits de l’homme, Fatoumata Yarie Soumah. En effet, le 31 décembre dernier, la ministre est débarquée de son poste, à peine deux mois après la formation du gouvernement de transition. « La transition risque de prendre une tournure inquiétante, les mains ont changé, mais les pratiques sont les mêmes », analyse Aly Souleymane Camara, analyste politique.

Alors que le Conseil national de la transition (CNT) chargé de rédiger une nouvelle constitution, vient d’être mis en place, le 5 février, les avocats des victimes du 28-septembre n’entendent pas baisser les bras. « Si la justice guinéenne est défaillante sur ce dossier nous allons nous en remettre à la justice internationale », a déjà prévenu plusieurs fois Maître Amadou DS Bah, vice-président de l’organisation guinéenne de défense des droits humains. Une délégation internationale s’était d’ailleurs rendue en novembre pour faire le point avec les autorités guinéennes et si les choses n’avancent pas, le procureur de la CPI, Karim Kahn pourrait en faire l’une de ses prochaines priorités.

This article has been translated from French.