En Inde, les travailleurs promettent de contester les accusations de meurtre de Maruti Suzuki

L’une des disputes les plus âpres de l’histoire récente impliquant les travailleurs indiens continue à faire sentir ses effets après la condamnation d’une douzaine de travailleurs pour meurtre.

Le 18 mars 2017, le tribunal d’instance de Gurgaon dans l’état d’Haryana (nord de l’Inde) a condamné 13 travailleurs de l’usine Maruti Suzuki India Limited de la ville de Manesar à la réclusion perpétuelle pour association de malfaiteurs, destruction de preuves et meurtre pour leur implication présumée dans les affrontements meurtriers qui ont éclaté dans l’usine automobile en juillet 2012.

En 2011, les travailleurs permanents et les contractuels de l’usine ont tenté de former un syndicat indépendant dans le but de mettre fin à la précarisation de masse de l’emploi et d’améliorer les conditions de travail. Leur demande d’enregistrement a cependant été refusée par la direction de Maruti Suzuki, soutenue par le gouvernement de l’État d’Haryana. Bien que les travailleurs aient réussi à former un syndicat en 2012 au bout du compte, la direction a refusé de reconnaître ce dernier.

Finalement, les tensions ont dégénéré et se sont soldées par des violences le 18 juillet 2012. Le directeur des ressources humaines de la compagnie, Awanish Kumar Dev, a trouvé la mort dans un incendie accidentel et plus de 100 travailleurs ont été blessés par la police et les gardes de sécurité. Détail crucial à relever cependant, il n’existe aucune preuve attestant de la présence des condamnés au moment où l’incendie s’est déclaré ; ils ont été arrêtés sur la base d’une liste de noms remise à la police par la direction. Lorsqu’ils ont été arrêtés, il a été signalé que les travailleurs ont fait l’objet de tortures pendant leur garde à vue. Des militants à travers l’Inde dénoncent l’affaire comme étant une erreur judiciaire.

Des 148 travailleurs arrêtés et emprisonnés à cause de l’incident, 117 travailleurs ont été acquittés le 10 mars 2017. Quatre travailleurs ont toutefois été condamnés à cinq ans de prison pour violation de propriété, rassemblement illégal, participation à une émeute et possession d’armes mortelles, tandis que 14 autres travailleurs ont été condamnés à trois ans pour les mêmes chefs d’accusation.

Kushiram, un membre provisoire du comité du syndicat des travailleurs de Maruti Suzuki (MSWU), déclare à Equal Times : « Sur les 13 travailleurs condamnés à la prison à perpétuité, 12 sont des représentants syndicaux de Maruti. 117 travailleurs ont été déclarés innocents par le tribunal, mais ils ont croupi en prison pendant plus de 4 ans, sans aucune raison ni possibilité de libération sous caution. Qui va les indemniser pour ces années passées en prison ? 14 autres travailleurs ont été condamnés à trois ans de prison, ce qui est ironique étant donné qu’ils ont déjà passé quatre ans derrière les barreaux. Qui va remédier aux pertes et aux préjudices qu’ils ont subis ? »

L’équipe de défense représentant les travailleurs de Maruti déclare que les dirigeants du syndicat « paient le prix fort pour avoir osé défendre la cause des travailleurs ». Depuis le 16 mars, des actions de solidarité organisées par plusieurs organisations de travailleurs, d’étudiants et de défense des droits de l’homme se sont déroulées dans plus de 20 villes, ainsi qu’à l’internationale. Depuis lors, dans toute l’Inde, plus de 100 000 travailleurs ont participé à des arrêts de travail en soutien des travailleurs de Maruti. Les 4 et 5 avril, des journées de solidarité et de contestation ont également été organisées à travers toute l’Inde et à l’étranger. Et bien que le MSWU ne soit affilié à aucune centrale syndicale, il a toutefois obtenu le soutien de plusieurs syndicats.

« Les travailleurs ont été condamnés sur la base de preuves imaginaires fabriquées par l’administration de l’État, par la police et par des réseaux d’employeurs en abusant de leur pouvoir de manière éhontée, » déclare Tapan Sen, Secrétaire général de la Centrale des syndicats indiens (CITU).

« La sentence actuelle accepte aveuglément la position de la direction sans même reconnaître les événements de cette journée dans le cadre des attaques répétées contre le droit des travailleurs à former un syndicat à leur convenance déclenchées par la direction de Maruti Suzuki et le refus de cette dernière à négocier avec le syndicat concernant les revendications équitables et justes des travailleurs », constate un communiqué de presse de la nouvelle Initiative syndicale (NTUI).

« En l’occurrence, il s’agit d’un échec des relations employeurs-travailleurs et la direction partage la responsabilité de ce qui s’est passé, » déclare Virjesh Upadhayay, secrétaire général de Bharatiya Mazdoor Sangh (BMS), le syndicat associé au gouvernement au pouvoir et la plus grande centrale syndicale en Inde. « Le gouvernement de l’État, cherchant à attirer des investissements étrangers, a pleinement soutenu la direction de Maruti et a fermé les yeux sur la violation des droits fondamentaux des travailleurs, » déclare-t-il à Equal Times.

Des antécédents en matière de répression

En Inde, l’affaire Maruti Suzuki est largement considérée comme une attaque contre le droit des travailleurs à jouir de la liberté d’association, et s’est transformée en un exemple sans précédent de solidarité de classe. Mais il est également considéré comme une étude de cas sur la manière dont les employeurs travaillent en étroite collaboration avec le gouvernement et la magistrature dans le but de criminaliser les travailleurs indiens et leur dénier leurs droits constitutionnels fondamentaux.

L’exploitation et le harcèlement des travailleurs du secteur automobile, dont une grande partie vient de villages ruraux pauvres, ne sont pas neufs. L’industrie automobile indienne est l’une des plus grandes au monde, représentant 7,1 % du PIB national selon les statistiques. Le Gouvernement indien souhaite s’assurer que les fabricants automobiles étrangers estiment que leurs investissements sont protégés en Inde, et ce, même si cela doit se faire au détriment des travailleurs de l’automobile qui sont confrontés à des salaires de misère, des objectifs de production toujours croissants et un travail précaire.

En 2005, par exemple, les travailleurs de l’usine Honda Motorcycle and Scooter India à Gurgaon dans l’Haryana ont tenté de créer un syndicat autour de la question des rémunérations équitables. Un certain nombre de travailleurs avaient été licenciés, ce qui avait entraîné de violentes protestations. Résultat : plus de 100 travailleurs furent blessés par la police et les gardes de sécurité de l’usine. Des troubles similaires se sont déroulés en 2006, 2009, 2010 et 2016.

En 2008, une lutte ouvrière au sein de la compagnie de pièces automobiles italo-suisse Graziano Trasmissioni dans la ville de Greater Noida au nord de l’Inde avait entraîné la mort de son PDG/Directeur général, Lalit Kishore Chaudhary, et le licenciement de plus de 200 personnes. Des troubles ont également été signalés dans d’autres usines en Inde, notamment Bosch, Hyundai et Toyota.

« Ils s’attendent à ce que les travailleurs continuent à travailler dans n’importe quelle situation et qu’ils fassent tout ce que leur demande la direction », déclare AD Nagpal, secrétaire national de la centrale syndicale indienne Hind Mazdoor Sabha (HMS). « Mais dès qu’ils essaient de former un syndicat et de faire entendre leur voix en matière de droits fondamentaux, la suppression et l’oppression commencent. »

Selon DL Sachdeva, secrétaire national de l’All India Trade Union Congress (AITUC), la situation à Manesar offre un exemple frappant. « La direction de Maruti Suzuki a refusé de reconnaître le syndicat et de négocier avec ce dernier. Il paraît assez évident que l’intensification de la [situation] qui a culminé au 18 juillet 2012 relevait d’un stratagème de la direction de Maruti Suzuki visant à se débarrasser du syndicat et de ses responsables, » déclare-t-il à Equal Times. « Outre la criminalisation de la main-d’œuvre, une victimisation à grande échelle a également eu lieu. 546 employés permanents et 1800 contractuels ont perdu leur emploi. »

Maruti Suzuki n’a pas encore publié de déclaration à la suite de la décision de justice et le service de presse n’a pas répondu à notre demande d’interview.

L’équipe de défense des travailleurs condamnés prévoit de contester le jugement devant la Cour suprême, tandis que les travailleurs de Maruti ont promis d’augmenter la pression sur la direction afin de faire libérer les travailleurs qui ont été condamnés, rétablir ceux qui ont été victimisés et améliorer les conditions de travail des travailleurs à l’usine.

Cet article a été traduit de l'anglais.