En plus de lutter contre le coronavirus, le Mexique doit faire face à la désinformation, l’obésité et des décennies de négligence en matière de santé publique

En plus de lutter contre le coronavirus, le Mexique doit faire face à la désinformation, l'obésité et des décennies de négligence en matière de santé publique

"Nous pouvons mettre fin à la pandémie en huit semaines". "Mais construire un hôpital demandera une douzaine d’années. " La caricature représente Salomón Chertorivski (à gauche) et José Narro (à droite), tous deux anciens secrétaires à la Santé du Mexique, assurant que les propositions qu’ils ont soumises au gouvernement actuel peuvent «  mettre fin à la pandémie en huit semaines  ». Cette initiative est source de confusion et met en évidence le fait que le manque d’investissement (qui se manifeste notamment par la stagnation de plusieurs centaines de chantiers hospitaliers) a contribué à la perte de confiance des citoyens dans les services de santé publique à un moment crucial comme celui-ci.

(José Hernández)

Au cours de cette pandémie de Covid-19 qui a déjà coûté la vie à plus de 95.000 personnes au Mexique et qui, à partir d’octobre, a commencé à montrer des signes d’une deuxième vague, j’ai été amené à faire un constat déconcertant  : il y a des malades qui refusent de se rendre dans les hôpitaux publics ou qui tardent à s’y rendre, convaincus que «  l’on y donne la mort  »  ; que «  les médecins tuent les vieillards  » sur ordre du gouvernement.

À quoi se doit une telle incrédulité dans la capacité mortifère du virus et une telle détermination à tenir les médecins pour responsables ? Un psychiatre m’a affirmé que des émotions paranoïaques peuvent survenir des suites du coronavirus et de ses effets profondément mystérieux. Ce qui ressort aussi clairement, c’est la méfiance persistante à l’égard d’un système de santé publique en ruine après des décennies de négligence et de manque d’investissement de la part des précédents gouvernements néolibéraux.

En outre, dans un climat de rivalité politique intense depuis l’arrivée à la présidence du leader de centre-gauche Andrés Manuel López Obrador en décembre 2018, les groupes d’opposition propagent des informations mensongères qui confondent l’opinion.

En 2019, lorsque les autorités sanitaires en place ont fait l’état des lieux de leurs centres médicaux, elles ont constaté que beaucoup d’entre eux manquaient d’équipements et d’instruments essentiels et que le personnel médical était insuffisant. Elles ont également recensé plus de 300 chantiers d’hôpitaux inachevés et à l’abandon, dont certains depuis plus de dix ans.

Depuis le début de la pandémie, le Mexique s’est lancé dans une opération massive de «  reconversion des hôpitaux  » ayant pour objectif de mettre à niveau et d’harmoniser les hôpitaux existants, tout en créant des installations temporaires afin de disposer de suffisamment de lits, de respirateurs et de personnel qualifié pour soigner les patients atteints de la Covid-19. Le pays comptait à un moment près d’un millier d’ «  hôpitaux Covid  ».

Les autorités ont embauché plus de 44.250 médecins, infirmières et agents de santé et en ont formé plus de 36.000, pour un coût estimé à plus de 3,2 milliards de pesos (128 millions d’euros).

Le gouvernement a, par ailleurs, passé un accord commercial avec des hôpitaux privés prévoyant la mise à disposition de 50 % de leurs lits pour le traitement de patients atteints de maladies sans lien avec la Covid-19, libérant ainsi de l’espace dans le système public. Le Mexique voulait ainsi éviter le scénario catastrophique observé dans des pays comme l’Espagne et l’Italie, les premiers à subir de plein fouet la vague initiale de la pandémie.

Le sous-secrétaire mexicain à la Santé chargé de la stratégie de lutte contre le coronavirus, Hugo López-Gatell, a déclaré que jamais il ne s’était présenté de situation dans le pays où un patient ait dû être refusé pour cause de pénurie de lits ou de respirateurs. En d’autres termes, le sort du patient n’a pas, à ce jour, été tributaire de l’absence de soins hospitaliers adéquats.

Il existe pourtant au Mexique une catégorie de citoyens qui ne croit pas en ses services de santé et qui semble désavouer tous ces efforts. Avec des conséquences fatales pour une partie d’entre eux.

Surpoids et désinformation

En mars, les autorités ont appelé la population à observer une quarantaine, sans toutefois rendre celle-ci obligatoire à aucun moment, reconnaissant que 50 % des Mexicains vivent au jour le jour et doivent sortir pour trouver de quoi se nourrir.

Le Mexique présente en outre une situation complexe – inédite – qui se doit à une épidémie de maladies chroniques non transmissibles telles que le diabète, l’obésité et les maladies cardiovasculaires, elle-même attribuable à des décennies d’habitudes alimentaires malsaines, à base d’aliments hautement transformés et de boissons sucrées. Au Mexique, 73 % de la population souffre d’obésité et de surpoids.

Pour remédier à cette situation, le gouvernement a introduit, en 2014, une taxe sur les boissons sucrées, dans le but de décourager leur consommation. L’administration actuelle est allée plus loin, en mettant en œuvre une mesure plus ferme qui l’a mise aux prises avec les grandes entreprises multinationales de l’industrie alimentaire et des boissons  : l’étiquetage nutritionnel frontal. Le 1er octobre dernier est entrée en vigueur une mesure prévoyant l’apposition d’étiquettes noires sur les produits alimentaires et les boissons, avertissant de l’excès de calories, de graisses, de sucres et de sodium.

Les personnes en surpoids, diabétiques ou souffrant d’autres affections qui contractent la Covid-19 courent un risque beaucoup plus élevé de complications. Selon les estimations, 70 % des personnes décédées des suites du coronavirus au Mexique présentaient une ou plusieurs comorbidités, c’est-à-dire des affections préexistantes telles que le diabète ou l’obésité.

J’ai entendu les responsables réitérer les avertissements à maintes reprises  : «  Si vous avez plus de 60 ans et que vous souffrez de diabète, d’obésité, d’hypertension ou de problèmes cardiaques, n’attendez pas, consultez immédiatement un médecin.  »

Une victime du coronavirus qui a ignoré ou n’était pas au courant des avertissements était Emilio Lopez Santiago, 64 ans, qui souffrait d’hypertension, de diabète et de surcharge pondérale. Pris d’un malaise un mardi, M. López Santiago s’est rendu dans une pharmacie, avant d’être examiné par deux médecins privés, dont un lui a prescrit un concentrateur d’oxygène portable. C’est finalement son neveu qui, le dimanche, l’a conduit à l’hôpital militaire de l’État de Mexico. Arrivé à minuit, il a été mis sous respirateur et transféré dans un autre hôpital où il est décédé le jeudi suivant.

Lorsque je lui ai demandé pourquoi il n’avait pas emmené son oncle plus tôt, Sebastian Lopez a répondu que les hôpitaux publics «  sont un désastre  » et qu’il avait entendu dire que «  l’on y donnait la mort aux vieillards  ». M. Lopez avait précédemment déclaré qu’il «  ne croyait pas  » au coronavirus et qu’en réalité, «  le gouvernement payait des médecins pour donner la mort  » aux patients âgés dans les hôpitaux.

Miguel Flores, jardinier, m’a dit que son beau-père de 70 ans était tombé malade du coronavirus au Chiapas. L’homme a refusé de se rendre à la clinique locale parce que «  l’on y envoie les gens à leur mort  ». Il est donc resté chez lui. Il a affirmé qu’il préférait mourir qu’aller à l’hôpital. «  Il est resté là dix jours, sans manger  ; il avait la peau violacée   », mais il a survécu, raconte M. Flores.

Puis cet autre exemple glané dans les pages du quotidien La Jornada Morelos, en mai. Selon l’article, les habitants de Xoxocotla, à Morelos, ne croyaient pas que la Covid-19 causait la mort. Un panneau indiquait que Xoxocotla était «  sur le pied de guerre  ». Les habitants tançaient les médecins en ces termes  : «  Pas un mort de plus  !  » «  La COVID-19 ne tue pas. La fièvre typhoïde, la dengue et les médecins, si !  »

Pour tenter de tirer au clair la situation, je me suis adressé au psychiatre Juan José Bustamante, ancien directeur du service de santé mentale de l’Hospital General de Mexico. Selon lui, lorsque les gens sont confrontés à des cas de Covid, ils éprouvent toute une série de réactions émotionnelles, dont «  certaines se caractérisent par un état de confusion mentale sous forme de paranoïas alimentées, entretenues et perpétuées par les nouvelles mensongères et la désinformation   ».

À cela s’ajoute la peur causée par un agent totalement nouveau – le virus et ses effets – qui bouleverse la vie des gens en suscitant chez eux une impression de perte de contrôle, ce que l’on appelle en termes psychiatriques «  la perte de l’autodétermination  ».

M. Bustamante a indiqué que son cabinet médical était débordé de cas de patients endeuillés par les pertes subies durant la pandémie. Selon lui, la quarantaine, soit le fait d’être confiné à domicile, est un autre facteur qui contribue à engendrer des idées déconnectées de la réalité.

Selon le psychiatre, les attaques de l’opposition fomentent la désinformation médicale sur le coronavirus et font partie de la campagne contre le gouvernement de López Obrador. Pour toutes ces raisons, (et compte-tenu aussi de l’objectif non dissimulé que ce climat de confusion profitera au camp de l’opposition), «  la droite et les conservateurs ne cesseront d’attaquer et de désinformer pour semer la zizanie, en particulier au sein des groupes vulnérables de la population  », a indiqué M. Bustamante.

Depuis le début de la pandémie, l’Organisation mondiale de la santé a appelé à la vigilance face à l’ «  infodémie   ». «  Nous ne combattons pas seulement le virus  », a-t-elle déclaré, «  nous combattons aussi les trolls et les théoriciens conspirationnistes qui alimentent la désinformation et sapent la réponse à l’épidémie  ».

En septembre, six anciens secrétaires à la Santé mexicains ayant fait partie de gouvernements néolibéraux précédents ont publié une proposition en 14 points. Ils y soutenaient qu’ «  ils pouvaient mettre fin à la pandémie en huit semaines   ». M. López-Gatell a répondu que la proposition était dépourvue de fondement scientifique, et que certains points, comme la création d’un registre des décès, avaient déjà été mis en pratique. Il a, par ailleurs, démenti que le gouvernement ait découragé l’utilisation du masque, comme l’ont affirmé les anciens secrétaires à la Santé.

Plusieurs mois après le début de la pandémie, le secrétariat à la Santé, en collaboration avec le Conseil national de la population et d’autres institutions, a procédé au recensement de la «  surmortalité  » – le nombre de décès dépassant celui enregistré les années précédentes. Ce dépouillement minutieux des actes de décès vise à établir un bilan plus réaliste des décès et répond en partie aux allégations de sous-déclaration.

Au moment de soumettre leur rapport sur la Covid-19, le 5 octobre, les fonctionnaires ont inclus des données rétrospectives relatives aux décès confirmés par l’association épidémiologique et l’avis médical, vu l’impossibilité de les confirmer par un test.

M. Lopez-Gatell a averti avec force les journalistes de ne pas considérer ces décès comme s’ils étaient survenus du jour au lendemain, car cela constituerait une erreur, une fausse information. Cela n’a pas empêché le journal El Financiero de diffuser immédiatement le tweet mensonger suivant (supprimé par la suite) : «  Le Mexique bat le record du nombre de morts en un seul jour  ». Plusieurs autres médias ont rapporté des informations similaires dans leurs éditions papier.

M. Lopez-Gatell a exhorté les journalistes à faire preuve de sagesse, de professionnalisme et de «  générosité  » dans ce contexte de pandémie. Ainsi se poursuit la lutte du Mexique contre ses autres ennemis, en plus du coronavirus.

Cet article a été traduit de l'espagnol.