En RD-Congo, la recherche de solutions face aux défaillances du système de protection sociale de santé

En RD-Congo, la recherche de solutions face aux défaillances du système de protection sociale de santé

Les tshukudeurs, ces conducteurs d’engins ressemblant à un vélo et capables de transporter de lourdes charges, s’unissent au sein de groupes locaux pour se soutenir en cas d’un coup dur.

(Bernadette Vivuya)

En avril 2020, Vunalungu Pépé, 70 ans et fonctionnaire de l’État, est victime d’un AVC (accident vasculaire cérébral). Il se retrouve partiellement paralysé de la partie droite de son corps. Rapidement amené au centre de mutualité urbaine de Kyeshero, à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), il est pris en charge par une équipe médicale. « Je n’aurais jamais pu payer ces soins si je n’avais pas été inscrit dans un programme local de sécurité sociale », témoigne-t-il.

Comme bien d’autres, il aurait alors été renvoyé chez lui, et aurait dû se résigner à espérer que son AVC et ses conséquences se résolvent d’eux-mêmes. Au risque de devenir une victime supplémentaire du triste adage des hôpitaux congolais : « Pas d’argent, pas de soins ».

« Le système de santé congolais est largement défaillant », explique le docteur Jean-Bosco Kahindo, docteur en santé publique, régulièrement consulté tant par le gouvernement que par les organisations internationales. « Les problèmes sont nombreux, mais l’un des plus importants est l’absence de couverture santé des patients, alors qu’ils ne disposent pas des moyens pour couvrir leurs frais médicaux. »

Un cadre légal existe, mais il reste largement théorique : dans les faits, moins de 10% des Congolais bénéficient d’une couverture santé digne de ce nom, constate-t-il. La principale difficulté tient à la part élevée de la population travaillant dans le secteur informel : plus de 81,5% des travailleurs sont concernés. Autant de personnes qui ne cotisent pas au système de protection sociale existant du pays, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), et ne bénéficient donc d’aucune assistance. L’espérance de vie moyenne dans le pays, de seulement 62 ans, illustre bien les conséquences de cette absence.

Des alternatives locales se mettent en place

« Cette situation est d’autant plus problématique au niveau social que nombre de travailleurs ne sont pas en mesure d’épargner pour faire face à un éventuel coup dur », souligne Tchernozem Kambale, président de l’Union nationale des travailleurs du Congo. « Les revenus sont souvent bien trop faibles pour permettre à chacun de gérer individuellement sa santé. Mais à divers niveaux, des solutions émergent, sur base de la solidarité des travailleurs, pour pallier l’absence de l’État. »

Ce mouvement rejoint bien la volonté de l’OIT de développer les systèmes d’assurance-maladie et, plus largement, de protection sociale. Elle qualifie leur accès de droits humains, tout en soulignant qu’il n’existe pas de modèle de sécurité sociale unique, et qu’il appartient donc à chaque État de développer la protection requise.

Diverses approches sectorielles ont ainsi vu le jour en RDC, avec plusieurs métiers qui tentent de répondre à l’absence de couverture santé. C’est le cas notamment des nombreux chauffeurs de taxi-moto, une profession particulièrement vulnérable aux risques d’accidents. Le Cotam, un collectif des taximen à moto, a mis en place un système de solidarité au sein de la profession.

Il est pour le moment en place dans 15 des 26 provinces du pays, et ses dirigeants comptent l’étendre au reste du pays. Shebankoy Kitsa, vice-président du Cotam explique :

« Nous avons mis en place un système de solidarité pour notre corporation. Nos membres cotisent à hauteur de 2.000 francs congolais par mois (soit environ 1 euro). Cela permet de générer une cagnotte, qui peut être mobilisée en cas d’accident ou de souci de santé. »

Ce montant est trop faible pour aider un malade ou un accidenté à la hauteur de ses besoins, mais le Cotam y voit un point de départ. « Et, pour le moment, nous ne pouvons pas demander plus à nos membres, car beaucoup n’auraient pas les moyens de payer », conclut Shebankoy Kitsa.

D’autres professions suivent ce modèle. Les tshukudeurs, ces conducteurs d’engins ressemblant à un vélo et capables de transporter de lourdes charges, mettent parfois en place des systèmes similaires à l’échelon local. Il s’agit de les couvrir en cas d’accident ou de maladie, voire de soutenir la famille en cas de besoin, comme lors de complications en cas d’accouchement de l’épouse de l’un d’eux. Les femmes commerçantes sont également à l’initiative de mécanismes de ce genre, ici encore à petite échelle.

Des syndicats tentent eux aussi de développer des solutions au bénéfice de leurs membres. L’Union nationale des travailleurs du Congo propose à ses membres en ordre de cotisation des soins pris en charge à 50 % dans un certain nombre d’hôpitaux et centres de santé avec qui elle collabore. Le système a toutefois ses limites, fixées par les moyens financiers du syndicat. Les cas les plus sérieux, qui nécessitent un transfert du patient vers l’étranger, ne peuvent ainsi pas être pris en charge.

Des solutions qui s’appuient sur l’aide extérieure

Pour passer à une plus large échelle, le gouvernement congolais tente d’obtenir le soutien de bailleurs internationaux. Au Nord-Kivu, l’ONG belge ULB-Coopération coordonne le programme Padiss (Programme d’appui au développement intégré du système de santé), en coopération avec les autorités sanitaires de la région. Une des activités est d’appuyer ces dernières dans le processus de mise en place d’un système d’assurance-maladie adaptée au contexte local.

« On s’est rendus compte qu’une des raisons principales du non-accès aux soins est le facteur financier »
, explique le docteur Edgard Musubao, assistant technique de l’ONG. « Nous avons donc mené une étude afin de déterminer ce que la population locale pouvait raisonnablement payer elle-même. Suite à cela, nous avons développé un système de frais de consultations fixes : 2 dollars pour un enfant, et 5 dollars pour un adulte. Le patient paye uniquement la première consultation, qui va couvrir tous les soins qui en découlent ».

Les résultats ont rapidement fait leurs preuves, de nombreux patients se tournant désormais vers ce système plutôt que vers l’automédication ou le renoncement aux soins.

Cette réussite a un impact plus large sur la société, ce qui n’a pas échappé aux chercheurs de l’OIT, pour qui des systèmes de sécurité sociale efficaces contribuent à prévenir et à réduire la pauvreté et les inégalités. Forte de ce constat, la Conférence internationale du Travail a adopté en 2012 un nouvel instrument : la recommandation n° 202 sur les socles de protection sociale. Elle fournit des orientations pour établir ou maintenir des socles de protection sociale, qui peuvent inspirer les États pour développer des systèmes adaptés à leurs situations.

La faiblesse de ce système réside dans sa dépendance aux financements extérieurs. Dans le cas de Padiss, c’est un programme de la coopération de l’Union européenne qui couvre la différence entre le montant payé par l’assuré et celui facturé par le centre de santé. « Pour avoir une couverture sociale qui fonctionne dans la durée, il faut que le gouvernement soit en mesure de lever des fonds et de les consacrer à la couverture sociale. L’un des chantiers à mener est d’étendre le nombre d’employés dans le secteur formel, afin d’élargir la base de prélèvement, et ainsi augmenter les moyens à sa disposition », pointe le docteur Jean-Bosco Kahindo.

Une couverture sociale pour tout le territoire

Cette extension du nombre de travailleurs en mesure de cotiser est le cœur du problème. « La loi de 2016 contient d’importantes avancées, notamment avec l’ouverture au secteur informel, qui pourrait contribuer à une plus large base de contributeurs au système de protection sociale », se félicite Joséphine Shimbi Umba, de la Confédération syndicale du Congo.

« Malheureusement, nous attendons toujours que les mesures d’application soient adoptées au Conseil National du Travail (CNT) pour que la loi sur la réforme soit applicable avec opérationnalité. Ensuite, il faudra mieux faire connaître le dispositif. Avec la CSC, nous travaillons déjà en ce sens, en invitant des représentants de la CNSS pour informer nos membres sur cette loi, car mettre en place un système de sécurité social digne de ce nom doit être une priorité pour le pays. »

Elle aussi constate que les faibles marges que dégagent les travailleurs du secteur informel rendent difficile de cotiser auprès d’un dispositif de sécurité sociale.

Les syndicats du pays espèrent que leur politique d’organisation des travailleurs permettra petit à petit de les faire sortir du secteur informel, seul moyen de poser les bases d’un système de protection sociale. La difficile sortie du secteur informel rend toutefois cette échéance lointaine, d’autant plus qu’une multitude de petits problèmes doivent être urgemment réglés pour sortir les travailleurs informels de l’extrême vulnérabilité. Les syndicats du pays privilégient pour le moment une politique des petits pas, qui permet d’enregistrer des avancées rapides quant aux problèmes les plus urgents rencontrés par les travailleurs.

Il existe néanmoins une volonté politique d’avancer sur ce dossier. En 2016, une loi a été votée pour fixer les règles relatives à un dispositif général, capable d’offrir une protection minimale à tous les citoyens congolais via la Caisse nationale de la sécurité sociale (CNSS). Dans l’attente de la publication des mesures d’application pour élargir le dispositif à un plus grand nombre de travailleurs, la direction de l’organisation travaille à la formation de ses agents. Il s’agit autant d’assurer la bonne perception des recettes que d’assurer le versement effectif des prestations aux bénéficiaires.Le nouveau directeur général, Charles Mudiayi, ambitionne de positionner la CNSS comme «  une des institutions de sécurité sociale de référence en Afrique ».

Mais beaucoup reste à faire. « Moins de 10% des Congolais en profitent », souligne le docteur Kahindo. Et du côté des bénéficiaires, la satisfaction n’est pas toujours au rendez-vous, tant du fait de la faiblesse des montants que des retards de paiements. L’un des enjeux clé est donc de lever les fonds nécessaires afin de pouvoir répondre aux besoins de la population.

À la difficulté de lever des fonds, s’ajoute le manque de confiance dans les institutions du gouvernement. Une étude dirigée par le docteur Kahindo juge possible d’organiser un système de sécurité social au niveau national.

« De nombreux acteurs locaux de santé et les syndicats sont intéressés et estiment cela possible. Mais pour eux, le système doit être décentralisé : ils ne croient pas à un mécanisme où toutes les cotisations sociales transiteraient par une organisation installée à Kinshasa, comme le souhaitent les autorités. Ils craignent de voir leurs cotisations partir et ne jamais revenir. Cet important manque de confiance dans les institutions représente une difficulté supplémentaire pour mettre en place un système d’assurance santé qui couvre l’ensemble du pays », conclut-il.

Rien de vraiment surprenant dans un pays classé par Transparency International 166e sur 180 en matière de perception de la corruption.