En RDC, les communautés sans terre défendent leurs droits face à l’exploitation du bois précieux

En RDC, les communautés sans terre défendent leurs droits face à l'exploitation du bois précieux

Experts say that secured community land rights is the best and most efficient way to protect endangered forests.

(Forest Service USDA/Roni Ziade)

Des milliers de grumes, chargées dans des bateaux de fortune au port d’Inongo, sur le lac Mai-Ndombe, attendent d’être transportées à Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC). Inongo est la capitale de la province de Mai-Ndombe, une zone de 13 millions d’hectares située à 650 kilomètres au nord-est de Kinshasa. Les grumes ont été coupées illégalement dans la forêt de Mai-Ndombe, une région de 10 millions d’hectares, où certains arbres atteignent entre 35 et 45 mètres de hauteur.

« Chaque jour, nous assistons à ce genre de spectacle : des tonnes et des tonnes de grumes et de bois sont acheminées vers la capitale, soit sur le fleuve Congo, soit par la route, pour être ensuite expédiées à l’étranger ou simplement vendues sur le marché noir », explique Prosper Ngobila, un activiste pour la protection de l’environnement.

Mbo, le chauffeur du camion qui a amené la cargaison, le confirme : « Cette cargaison et les autres qui sont déjà arrivées à la capitale sont destinées à l’exportation vers l’étranger. Je m’occupe juste de la transporter, mais je crois comprendre que le propriétaire de cette entreprise est un homme très puissant, pratiquement intouchable. »

Des milliers de grumes d’arbres de 20 mètres de haut gisent actuellement dans la forêt de Mai-Ndombe et attendent d’être enlevées, tandis que des milliers d’autres ont été abandonnées il y a des années et ont pourri. « C’est pour le moins choquant », déclare Ngobila.

Les forêts de Mai-Ndombe (nom qui signifie « eaux noires » en langue lingala) sont riches en bois rares et précieux (bois rouge, bois noir, bois bleu, tola, kambala et lifake, notamment). Le WWF indique que ces forêts abritent également quelque 7500 bonobos, un primate menacé d’extinction et le cousin le plus proche de l’homme, qui partage 98 % de nos gènes.

Les forêts constituent une plate-forme vitale de subsistance pour quelque 73.000 indigènes, pour la plupart des Batwa, qui y côtoient les 1,8 million d’habitants de la province, dont beaucoup ne jouissent d’aucun droit foncier garanti.
De plus, des analyses récentes ont révélé que la province, ainsi que les forêts d’ailleurs, renferme d’importantes réserves de diamants, de pétrole, de nickel, de cuivre et de charbon, ainsi que de grandes quantités d’uranium dans les profondeurs du lac Mai-Ndombe.

Des efforts controversés pour sauver les forêts

Le WWF et de nombreux experts de l’environnement déplorent la destruction et la dégradation progressive de ces forêts en raison de l’exploitation de leur bois précieux ainsi que de l’agriculture et continuent de plaider et de faire pression pour leur protection.

La RDC abrite la deuxième forêt tropicale au monde (environ 135 millions d’hectares), un puissant rempart contre le changement climatique.

Dans le cadre d’une action visant à sauver ces précieuses forêts, en 2016, la Banque mondiale a approuvé le Plan d’investissement REDD+ de la RDC, dont l’objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de contribuer à la lutte contre la déforestation et la dégradation ; plan qu’elle financerait à hauteur de 90 millions de dollars US par an.

Les projets, dont on estime actuellement le nombre à une vingtaine, ont transformé la province de Mai-Ndombe en un laboratoire d’expérimentation pour des projets climatiques internationaux. Et dans le contexte de ces projets, les populations indigènes et autres populations locales qui s’occupent des forêts et qui dépendent de ces dernières pour leur subsistance sont censées être récompensées pour leurs efforts.

Toutefois, Marine Gauthier, une experte basée à Paris, auteure d’un rapport sur l’état lamentable de la forêt de Mai-Ndombe, semble avoir constaté des failles sérieuses dans ces programmes ambitieux.

Publié par l’Initiative des droits et ressources (RRI) quelques jours avant la Journée internationale des forêts organisée le 21 mars, le rapport fait état d’une faible reconnaissance des droits fonciers des communautés et recommande que les principaux critères prérequis soient corrigés avant que d’autres fonds REDD+ ne soient investis. Dans l’intervalle, déclare-t-elle, il conviendrait de suspendre les investissements REDD+.

Dans la foulée de la publication du rapport, Gauthier, qui a œuvré officieusement sans relâche pour empêcher que le financement ne provoque davantage de dommages aux populations de la forêt, a déclaré :

« En RDC, et plus particulièrement dans le Mai-Ndombe, l’histoire de la gestion des ressources naturelles montre qu’elle a toujours été menée aux dépens des communautés locales. »

« Des concessions d’exploitation forestière industrielle ont été accordées sur leurs territoires traditionnels sans leur consentement et ont détruit leur environnement sans qu’ils n’aient reçu une quelconque indemnisation. En outre, des zones protégées ont été créées sur leurs terres, leur interdisant ainsi l’accès à la forêt où ils chassent, se rassemblent, pratiquent des rituels traditionnels. Cela les prive donc de leurs moyens de subsistance et de leur culture – là encore, sans leur consentement. »

La lutte des paysans sans terre

En vertu du Code forestier de la RDC adopté en 2014, les peuples autochtones et les communautés locales reçoivent le droit légal de posséder une superficie forestière allant jusqu’à 50.000 hectares.

Treize communautés dans les territoires de Mushie et de Bolobo dans la province de Mai-Ndombe ont depuis lors demandé un titre officiel sur un total de 65.308 hectares de terre, selon les rapports, ajoutant que seuls 300 hectares ont été légalement reconnus pour chaque communauté, soit un total de seulement 3.900 hectares.

Alfred Mputu, un petit exploitant forestier de 56 ans qui fait partie des gens qui attendent toujours un titre officiel, déclare : « Cela fait des décennies que je travaille et que je vis sur ces terres, mais tant que je n’aurai pas reçu un titre officiel qui me donne le droit d’en être propriétaire, je n’aurai pas le droit de dire qu’elles m’appartiennent. »

« Que se passera-t-il si le gouvernement décide de les vendre à des entreprises étrangères ou à des gens riches et puissants ? Où irons-nous vivre ? »

Les experts estiment que les conséquences pourraient être désastreuses pour ces communautés vivant dans et aux alentours de ces forêts sans disposer de droits fonciers garantis.

Zachary Donnenfeld, chercheur principal à l’Institut d’études de sécurité (ISS) pour l’avenir et l’innovation en Afrique, déclare : « Leurs terres pourraient faire l’objet d’une vente par le gouvernement, probablement à une société multinationale privée. Même s’ils obtiennent l’autorisation de rester sur leurs terres, la dégradation de l’environnement causée par cette industrie pourrait entraîner une détérioration sensible de la qualité de vie des habitants de la région. »

Donnenfeld, qui vit à Pretoria, ajoute : « À mon avis, le gouvernement s’intéresse davantage à la vente de ces ressources à des multinationales plutôt qu’à les faire profiter à la collectivité. »

« Pour être juste toutefois, il se peut que le gouvernement soit en train de tenter de démêler les revendications rivales entre les différents groupes locaux. Il pourrait y avoir un certain nombre de contentieux, par exemple des communautés qui font des offres pour les meilleures terres. Le gouvernement pourrait donc décider de ce qui est juste en fonction de l’utilisation historique ou un autre critère de ce genre. Cela dit, à mon avis, les communautés n’obtiendront pas la plupart de ces terres ; du moins dans le sens des droits fonciers garantis. »

Pauvreté et conflits

Gauthier souligne le fait que ces situations engendrent de la pauvreté et des conflits entre les responsables de la mise en œuvre des projets et les communautés, ainsi qu’entre les communautés.

« En revanche, lorsque les communautés obtiennent des droits fonciers garantis et qu’elles sont habilitées à gérer elles-mêmes leurs terres, les études démontrent qu’il s’agit de la meilleure façon de protéger la forêt et qu’elles s’avèrent encore plus efficaces que les espaces protégés gérés par le gouvernement ».

« Le plan REDD+ ouvre la porte à davantage de spoliation des terres par des acteurs externes attirés par les bénéfices liés au carbone. Les droits fonciers des communautés locales devraient être reconnus à travers les moyens légaux existants tels que les concessions forestières des communautés locales afin qu’elles puissent continuer à protéger la forêt et ainsi atteindre les objectifs de REDD+. »

Gauthier déclare que si leurs droits fonciers ne sont pas garantis, ils risquent d’être expulsés, ce qui s’est déjà produit ailleurs dans le pays, comme dans le Sud-Kivu dans le Parc national de Kahuzi-Biega, où 6.000 Batwa ont été expulsés.

« Évincer les gardiens de la forêt risque d’entraîner la perte de la forêt, alors que leur permettre de rester vivre et protéger la forêt comme ils l’ont toujours fait est la meilleure façon de maintenir ces forêts. »

De nombreux observateurs estiment que ces situations ont un impact négatif sur les personnes les plus vulnérables, c’est à dire les femmes et les enfants, qui supportent déjà le fardeau d’un pays déchiré par la dictature, la mauvaise gestion économique, la corruption et deux décennies de conflit armé.

Chouchouna Losale, coordinatrice adjointe de la Coalition des femmes leaders pour l’environnement et le développement durable en RDC, déclare qu’une crise humanitaire a éclaté dans la province de Mai-Ndombe depuis que les savanes que les femmes avaient reçues ont été « données » à une société d’exploitation forestière industrielle.

« Des cas de malnutrition sont maintenant recensés dans la région », déclare Losale.
La Coalition des femmes leaders pour l’environnement et le développement durable plaide pour la reconnaissance des droits et des compétences des femmes en général, et plus particulièrement des femmes autochtones, dans les provinces congolaises de Mai-Ndombe et de l’Équateur.

« J’exhorte le gouvernement à faire progresser le processus de réforme foncière afin de doter le pays d’une politique claire en la matière, protégeant les communautés tributaires des forêts », déclare Losale, ajoutant que des consultations en bonne et due forme devraient être menées avec les communautés afin d’éviter les conflits.

Cet article a initialement été publié par IPS News.