Et si on laissait une chance à la sécurité humaine ?

Et si on laissait une chance à la sécurité humaine ?

“A quick look at the United Nations, under-resourced and limited in its ability to hold states to their jointly made commitments, leaves us with no doubt as to the current lack of will among its members to use the organisation’s full potential in the service of peace,” says security analyst Jesús A. Núñez Villaverde. In this image, the UN headquarters in New York.

(Leonardo Muñoz/AFP)

Accélérées par l’impact de la guerre en Ukraine et les tensions croissantes dans la zone indo-pacifique, qui constitue désormais le nouvel épicentre de l’agenda international, où se focalise le plus clairement la concurrence stratégique entre les États-Unis et la Chine, les dépenses militaires mondiales continuent d’augmenter pour la huitième année consécutive. C’est ce qui ressort des données publiées récemment par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). Celles-ci confirment, en effet, que les dépenses militaires mondiales ont une nouvelle fois battu un record historique en 2022, atteignant 2.240 milliards de dollars US, ce qui représente une augmentation de 3,7 % en termes réels (6,5 % en termes nominaux) par rapport à l’année précédente.

Si l’on se place dans la perspective classique de la sécurité des États, qui suppose en termes généraux que plus on possède d’armes, plus le niveau de sécurité atteint est élevé, cela pourrait être interprété comme une bonne nouvelle, puisque cela impliquerait que l’on dispose de plus de moyens pour se défendre contre toute menace éventuelle à ses propres intérêts ainsi que d’une plus grande capacité de dissuasion à l’égard d’ennemis potentiels.

Toutefois, si l’on examine les données relatives au nombre de conflits entre États enregistrés jusqu’à présent au 21e siècle, partant des rapports fournis par l’université d’Uppsala dans le cadre de son prestigieux programme de recherche sur les conflits armés, on constate que le nombre de foyers actifs dans différentes parties de la planète était de 33 en 2001, alors qu’il atteint déjà 54, vingt ans plus tard. Et bien que la complexité du phénomène de la violence ne puisse être ramenée à un seul paramètre, on arrive inéluctablement à la conclusion que, tant au niveau mondial que local, l’idée selon laquelle plus d’armes signifie plus de sécurité est dénuée de fondement.

Une vision militariste unidimensionnelle

Malgré cela, l’immense majorité des pays du monde continue de s’accrocher à ce schéma sécuritaire étatique, déterminés à faire passer les intérêts de l’État avant ceux des populations qui y vivent, faisant fi du nombre de cas où l’appareil d’État se retrouve entre les mains d’une petite élite concernée avant tout par la défense de ses privilèges et ce, indépendamment (voire au mépris) des besoins et des attentes de sa propre population. Dans le même ordre d’idées, une majorité de personnes continue à réduire le concept de sécurité à sa dimension strictement militaire, comme si les aspects sociaux, politiques et économiques ne constituaient pas des dimensions tout aussi importantes pour un monde plus sûr.

Cette vision militariste unidimensionnelle domine largement la scène internationale, avec les États-Unis toujours en tête en 2022, comptant à eux seuls pour 39 % des dépenses mondiales de défense (877 milliards USD), suivis par la Chine avec 13 % (292 milliards USD). En d’autres termes, le budget total que les deux principales puissances consacrent à la défense militaire équivaut à 52 % de l’effort mondial dans ce domaine. Si l’on y ajoute la Russie (86,4 milliards USD), l’Inde (81,4 milliards USD), l’Arabie Saoudite (73 milliards USD) et le Japon (46 milliards USD), le pourcentage du total atteint 64 %.

Quant au continent européen, le montant total des budgets de l’ensemble des pays du Vieux Continent a atteint 345 milliards USD en 2022, soit une augmentation de 13 % par rapport à 2021, et de 30 % depuis 2013.

De tous ces pays, l’Ukraine a connu la plus forte augmentation en glissement annuel (640 %), avec des dépenses militaires qui s’élèvent à 44 milliards USD, soit 34 % de son PIB.

Tout indique que les dépenses militaires mondiales augmenteront encore cette année, comme si nous refusions de comprendre que, dans la grande majorité des cas, les violences à l’intérieur des États et entre eux sont fondamentalement imputables à des facteurs sociaux, politiques et économiques et à l’existence d’une politique de deux poids, deux mesures à l’échelon international.

Maintenir un tel mode de comportement revient en définitive à s’obstiner à croire que les moyens militaires sont à même de résoudre des problèmes pour lesquels ils ne sont ni équipés, ni formés.

Cela implique également que l’on privilégie une approche réactive, qui n’est mobilisée qu’en réponse à une explosion de violence, alors que l’on néglige de renforcer les mécanismes de construction de la paix et de prévention des conflits, ceux-là mêmes qui sont censés empêcher qu’une telle explosion ne se produise.

Construction de la paix et résolution de conflits

Quant à opter pour cette deuxième voie, voilà qui n’est pas encore gagné d’avance. Un rapide coup d’œil à l’ONU, insuffisamment dotée en ressources et limitée dans sa capacité à contraindre les États à respecter leurs engagements communs, suffit pour se rendre compte qu’il n’y a pas actuellement de volonté suffisante de la part de ses pays membres pour déployer tout son potentiel au service de la paix. En tant que représentante légitime de la communauté internationale, l’ONU est pourtant la mieux placée pour prendre la tête d’un exercice devant conjuguer des efforts soutenus sur le long terme (il n’y a pas de raccourcis ni de solutions miracles), le multilatéralisme (aucun État ne dispose de moyens suffisants pour faire face aux menaces et aux risques qui nous concernent) et la multidimensionnalité (combinant les éléments sociaux, politiques, économiques, diplomatiques et militaires).

Ce n’est qu’ainsi que l’ONU pourra dépasser le cadre de la simple gestion des problèmes et aspirer à leur résolution, en s’attaquant notamment à leurs causes structurelles avant que la situation ne dégénère inévitablement en un conflit violent.

Dans cette optique, et sans jamais renoncer à la défense des intérêts légitimes de chaque État, ni à la nécessité de disposer de moyens militaires comme instrument de dernier recours pour les garantir, il convient d’élargir la perspective en y intégrant la notion de sécurité humaine. Apparu vers le milieu de la dernière décennie du siècle dernier, ce concept n’a pas réussi à s’imposer comme référence centrale des modèles de sécurité des États, acculé par la poussée de la « guerre contre la terreur » qui a dominé les deux dernières décennies.

Il ne s’agit pas de substituer l’approche de la sécurité de l’État, mais plutôt de l’élargir sur la base du principe que la paix sociale et le bien-être à l’intérieur des pays sont tout aussi importants que la défense des frontières et du territoire contre les menaces extérieures potentielles.

La sécurité humaine accorde une place centrale à l’être humain, en considérant comme base fondamentale de la paix et de la sécurité la satisfaction des besoins fondamentaux de chaque personne, le plein exercice de ses droits sociaux, culturels, politiques et économiques, et sa gouvernance par des autorités légitimes. Cette notion englobe notamment les dimensions économique, alimentaire, sanitaire, environnementale, individuelle, communautaire et politique.

Cela suppose, par essence, que l’on ne peut assurer sa propre sécurité au détriment de celle de son voisin et que, comme l’a souligné Kofi Annan en 2005:

« Il ne peut y avoir de développement sans sécurité ni de sécurité sans développement, et l’on ne peut avoir ni l’un ni l’autre en l’absence du plein respect des droits humains de tous ».

C’est dans cette même optique que s’inscrivent les Objectifs de développement durable, le Programme 2030 et le document Notre Programme commun, présenté par le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, en 2021, en attendant les résultats du Sommet de l’avenir convoqué par l’ONU pour septembre de l’année prochaine.

La Colombie vient de rendre publique sa nouvelle Politique de sécurité, de défense et de coexistence citoyenne 2022-2026, Des garanties pour la vie et la paix, qui repose directement sur le principe de la protection de la vie de tous ses citoyens. Réussira-t-elle à la mettre en œuvre ? D’autres seront-ils inspirés par son exemple alors que tout indique que les budgets militaires continueront d’augmenter à court terme ?

This article has been translated from Spanish by Salman Yunus