Aider les prisonniers à reconstruire leur vie après la prison aux États-Unis

Aider les prisonniers à reconstruire leur vie après la prison aux États-Unis

Hassan Latif (à droite) est le fondateur du Second Chance Center, à Aurora, dans le Colorado. Avec ses collègues, dont Sean Taylor (à gauche), Latif aide les ex-détenus à prévenir la récidive, à préserver leur emploi et à éviter de retomber dans la drogue.

(Brittany McDonald)

Dans le gymnase du centre de réinsertion que dirige Hassan Latif près de Denver, Colorado, des femmes et des hommes comme lui, décidés à ne plus retourner en prison, peuvent se refaire une santé.

À propos des conseillers qui assument aussi le rôle de partenaires d’haltérophilie, Latif affirme : « Si vous pouvez avoir confiance dans une personne qui place plus de 150 kg d’haltères au-dessus de votre tête, vous pouvez probablement croire en sa bonne foi quand elle vous dit "Comment ça va ?" et partager vos déboires avec elle. »

Latif pousse les charges pour les amener à confronter leurs appréhensions et ainsi les aider à faire un pas vers le changement. Il en appelle également à tous les Américains à examiner sérieusement pourquoi les gens retournent en prison.

Selon les militants pour la réforme du système pénitentiaire, la réduction d’une population carcérale disproportionnée est impossible sans une réduction des taux de récidive. Selon eux, la société sera plus sûre si les anciens prisonniers deviennent des citoyens productifs.

« C’est une question de santé communautaire, et ça inclut la sécurité publique », affirme Latif.

À sa sortie de prison après deux décennies d’incarcération, Latif, un ancien cocaïnomane avec des antécédents judiciaires qui incluent, entre autres, le vol, s’est reconverti en conseiller en toxicomanie. Il y a cinq ans, il a ouvert le Second Chance Center, à Aurora, dans la banlieue de Denver.

Outre l’accès à un centre de fitness, le Second Chance Center offre aussi un service de lavoir et de restauration. Les visiteurs peuvent eux-mêmes contribuer aux actions pour la prévention de la récidive, comme se débarrasser d’une addiction, rétablir les liens familiaux, compléter les études secondaires, entrer à l’université ou trouver un emploi.

« Nous sommes conscients du défi que cela représente et sommes prêts à aider pour autant que vous soyez prêts à écouter », dit Latif.

Le complexe carcéro-industriel

Latif prend aussi part à un débat plus large aux États-Unis sur le complexe carcéro-industriel. La population carcérale aux États-Unis représente 20% de la population carcérale mondiale, alors que la population des États-Unis ne représente que 5% de la population mondiale.

Il s’est adressé à divers groupes au niveau national, y compris les banquiers d’investissement, en appelant ceux-ci à reconsidérer l’investissement dans l’industrie carcérale privée qui, à ses yeux, créé une incitation à incarcérer plus et pour de plus longues durées.

« Si les gens savaient que les lobbies s’employaient à mettre les gens en prison pour le profit, ils choisiraient peut-être de se désinvestir de telles affaires », indique Latif.

Il a aussi participé à une campagne en faveur d’une loi de 2014 dans l’État du Colorado qui prévoit que les agents de libération conditionnelle soient formés à orienter les ex-détenus vers des services de conseil en santé mentale ; que les gardiens de prison de l’État collaborent avec le département du travail en vue de la création de programmes de formation à l’emploi, afin de faciliter la transition de la prison à la liberté ; et prévoit également l’octroi de subventions pour des programmes communautaires comme le Second Chance Center.

Une partie importante du projet de Latif est consacrée au développement de l’empathie chez les anciens détenus qui ont, à un moment donné de leur vie, dû s’insensibiliser vis à vis de leurs prochains pour réussir en tant que criminels. Ses clients chez Second Chance font du bénévolat dans des restos du cœur et d’autres projets.

« Au lieu d’avoir le sentiment de faire partie de [quelque chose], la plupart de nos clients se sont sentis aliénés pour une grande partie de leur vie », indique Latif. « Je pense que le fait qu’ils sentent qu’ils font partie de cet endroit est important. »

« L’innovation la plus importante tient à la reconnaissance du fait que la réinsertion est le problème de tout le monde », affirme Jeremy Travis, président du John Jay College of Criminal Justice, à New York, qui suit le problème depuis des décennies.

Les Démocrates et les Républicains ont, par exemple, serré les rangs en soutien à une loi signée par le président George W. Bush, qui renforçait les programmes de désintoxication, les services de conseil et autres pour les personnes sortant de prison. À l’époque, Bush avait affirmé que la dénommée Second Chance Act (Loi de la deuxième chance) exprimait une conviction américaine fondamentale que les individus, même ceux qui ont commis des fautes, ont « un potentiel et une valeur sans borne ».

L’actuel procureur général des États-Unis, Jeff Sessions, était alors un membre du Sénat qui avait approuvé la proposition par consentement unanime. Durant ses auditions de confirmation, Sessions a indiqué avoir soutenu des réformes qui réduisaient une disparité entre les peines imposées pour des délits liés au crack et ceux liés à la cocaïne, qui avait résulté dans des peines plus longues pour les Afro-américains.

Cependant, Jeff Sessions a également fait état d’inquiétudes concernant une envolée de la criminalité, quoiqu’il ait reconnu que la tendance générale était à la baisse. Sa rhétorique de tolérance zéro contre le crime faisait écho au langage qui a accompagné la « guerre contre la drogue ».

Une de ses premières interventions suivant son investiture a consisté à renverser une mesure de l’administration Obama qui visait à mettre fin au recours aux prisons privées. Selon Jeff Sessions, le département des prisons (Bureau of Prisons), qu’il supervise, requerrait une plus grande flexibilité « pour répondre aux besoins futurs du système correctionnel fédéral ».

Les racines du problème

La guerre « contre la drogue » est, en grande partie, à l’origine du problème carcéral américain, comme l’a indiqué l’avocate des droits civiques Michelle Alexander dans son ouvrage intitulé The New Jim Crow : Mass Incarceration in the Age of Colorblindness.

Entre 1980 et 2000, le nombre de prisonniers aux États-Unis est passé de 300.000 à plus de deux millions. Entre 1985 et 2000, les auteurs de crimes liés à la drogue représentaient deux tiers de l’augmentation de la population carcérale au niveau fédéral et plus de la moitié de l’augmentation au niveau des prisons d’État. Dans beaucoup d’États, 90% des personnes détenues pour des infractions liées à la drogue étaient noires ou latinos, alors que statistiquement, il existe peu de différence entre les groupes raciaux et ethniques en termes de consommation de drogues.

À leur sortie de prison, beaucoup d’ex-détenus se voient empêchés par la loi d’accéder au logement public et aux aides à l’enseignement ; ils sont en outre discriminés par les propriétaires privés et les employeurs potentiels. La toxicomanie et les problèmes de santé mentale sont très répandus chez les détenus ; ce qui contraste avec une pénurie de services de conseil à l’extérieur.

Pas étonnant, dès lors, comme ont pu le constater les chercheurs qui ont étudié de près le récidivisme dans 30 États, que deux tiers des personnes qui sortent de prison sont réincarcérées dans les trois années qui suivent leur sortie et que trois quarts des ex-détenus sont réincarcérés dans les cinq années qui suivent leur sortie.

Eric Young, président national de l’American Federation of Government Employees’ Council of Prison Locals voit dans le récidivisme un symptôme de l’échec des prisons en matière de réhabilitation. Il déplore le fait que les contraintes budgétaires limitent l’offre de formations, de conseils et d’autres programmes qui préparent les prisonniers à la vie au-delà des barreaux.

« Il faut absolument offrir des programmes », insiste Young lors d’un entretien avec Equal Times. « On ne peut pas gérer des prisons sans mettre la main à la poche. »

Le frère de Young fut un temps incarcéré dans une prison en Floride, où les autorités ont manqué d’aider des prisonniers qui étaient sur le point d’être relâchés à obtenir un permis de conduire (qui peut expirer ou être perdu dans le cas d’une peine de longue durée ou être suspendu dans le cas de certains détenus).

Young affirme que son frère n’a pas pu conduire durant plusieurs mois après sa sortie de prison, ce qui a limité sa possibilité d’accéder à un emploi dans une zone mal desservie par les transports publics. La démocrate Loretta E. Lynch, prédécesseur de Sessions, avait lancé, au cours de la dernière année de son mandat, une initiative qui facilitait l’obtention de cartes d’identité d’État pour les personnes qui sortaient des prisons fédérales.

Maltraités et traumatisés

L’incarcération, en 2004, de l’homme auquel elle était à l’époque mariée a donné le courage nécessaire à Jessica Jackson Sloan pour décrocher un diplôme en droit et cofonder #cut 50, un groupe de défense basé en Californie qui s’est donné pour mission de réduire de moitié la population carcérale à l’horizon 2025.

Madame Jackson Sloan défend la cause de personnes incarcérées alors qu’elles étaient encore adolescentes et qui ont souvent été maltraitées et traumatisées. L’histoire tragique de Kalief Browder – un jeune adolescent noir qui s’est suicidé après avoir écoulé trois années derrière les barreaux du tristement célèbre centre pénitentiaire de Rikers Island sans avoir été inculpé d’aucun crime – en constitue l’un des exemples les plus patents. Mais il y en a de nombreux autres ; beaucoup de détenus sont relâchés après des décennies d’incarcération sans aucune expérience professionnelle, à un âge où la plupart des gens envisageraient de prendre leur retraite. Pour ceux-là, les options sont limitées.

« Vous prenez une personne qui a été lésée et vous espérez la voir fonctionner au sein de la société sans réel soutien ou orientation », a indiqué Jackson dans un entretien avec Equal Times. « Nous devons absolument examiner les effets de telles peines extrêmes. »

L’avocate et auteure Michelle Alexander, et d’autres encore, ont accompli de réelles avancées au cours des dernières années au plan de la sensibilisation sur ces problématiques, indique Doug Ammar, directeur exécutif du George Justice Project. Durant trois décennies, ce projet basé à Atlanta a eu pour vocation de fournir une assistance juridique aux personnes pauvres accusées de crimes, de même que des services et des conseils aux personnes sortant de prison.

En 2015, le gouverneur républicain de Géorgie, Nathan Deal, a signé un ordre exécutif interdisant à l’État d’inclure dans les formulaires de demande d’emploi des questions liées aux antécédents judiciaires.

Si les antécédents judiciaires surgissent plus tard lors de l’entretien d’embauche, le chercheur d’emploi aura au moins la possibilité de s’expliquer et de présenter des arguments en faveur de son embauche, a indiqué Deal dans l’ordre exécutif. Il est monnaie courante que les employeurs demandent aux chercheurs d’emploi de cocher une case sur les formulaires indiquant s’ils ont un casier ; et c’est ce qui a conduit à des campagnes « Ban the Box » (littéralement « interdisez la case ») par des groupes des droits civils, qui estiment que cela handicape les chercheurs d’emploi qui tentent de changer leur vie.

En Géorgie, M. Ammar avait montré à Deal des formulaires de demandes d’emploi de l’État après avoir demandé à ce dernier à quel endroit il pensait que cette question était posée. Il s’avère que la question était posée au quatrième point de la liste.

« Ça a été le déclic », confie M. Ammar à Equal Times. « Qui donc va embaucher quelqu’un si la première chose que vous voyez est que cette personne a été condamnée pour un crime ? »

Cet article a été traduit de l'anglais.