Être albinos au Mozambique

Être albinos au Mozambique
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D’après Amnesty International, on estime à 30.000 le nombre de personnes atteintes d’albinisme au Mozambique ayant souffert de discrimination et d’ostracisme l’année dernière, tandis que 13 personnes au moins ont été tuées.

L’albinisme est une maladie rare, non contagieuse et transmise génétiquement qui touche environ une personne sur 20.000 en Europe, mais entre une personne sur 5.000 et une sur 15.000 en Afrique subsaharienne. À cause de l’absence de mélanine dans les cheveux, la peau et les yeux, les personnes atteintes par cette maladie sont vulnérables à une exposition au soleil. Par ailleurs, dans certaines régions d’Afrique, les personnes atteintes d’albinisme sont victimes d’enlèvements, de violences et de meurtres en raison de croyances voulant que certaines parties de leur corps procurent des pouvoirs magiques, de la chance et de la richesse.

Pour Ikponwosa Ero, experte indépendante des Nations unies des droits des personnes atteintes d’albinisme, qui s’est rendue au Mozambique dans le cadre d’une mission d’enquête en 2016, cette maladie est encore profondément méconnue, tant d’un point de vue social que médical.

« Ces personnes restent systématiquement à l’écart des plans de développement parce qu’elles ne sont pas nécessairement considérées comme un groupe qui a besoin d’aide », soutient Mme Ero, également avocate originaire du Nigéria et première experte de l’ONU nommée à ce poste en 2015.

Mme Ero déclare à Equal Times que les personnes qui souffrent de cette maladie sont confrontées à une double marginalisation : «  L’albinisme est une maladie unique. Elle se situe à l’intersection du handicap et de la couleur de la peau. Les handicaps ont créé tant d’obstacles, et quand on ajoute la question de la couleur de la peau, c’est un facteur problématique dans notre société ».

Le cancer de la peau est considéré comme l’une des principales causes de décès des personnes albinos vivant en Afrique, tandis que moins de 10 % des personnes atteintes d’albinisme atteignent l’âge de 30 ans et que seulement 2 % vivent jusqu’à 40 ans, selon Kanimambo, une association de soutien aux albinos basée au Portugal et fondée en 2016.

Les organisations de la société civile ont indiqué que des milliers de personnes sont atteintes d’albinisme au Mozambique, bien que les données exactes soient peu concluantes et rares. Par contre, l’ampleur des problèmes auxquels sont confrontées les personnes albinos a fermement propulsé le problème sur le devant de la scène au Mozambique. En mai 2017, un forum régional de deux jours sur la protection des albinos contre la traite des personnes a été organisé à Pemba, dans le nord du Mozambique, par l’Organisation internationale pour les migrations, l’UNICEF et diverses agences gouvernementales nationales et régionales, tandis que le hashtag #TodosIguais (« #TousÉgaux ») a contribué à sensibiliser le public à cette question sur les médias sociaux.

Comme le démontre ce photo-reportage de Flavio Forner cependant, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Comme le déclare Inocêncio à Equal Times, l’une des personnes dont on dresse le profil : «  Les gens pensent qu’une personne albinos n’est pas une personne. Nous sommes victimes de discrimination et les gens pensent que nous n’avons aucune valeur. »

 

Une femme atteinte d’albinisme se protège du soleil sur un marché ouvert à Cauchena, Tete, dans le centre-ouest du Mozambique.

Photo: Flavio Forner

Bien qu’il n’existe pas de données précises concernant le nombre exact de personnes souffrant d’albinisme au Mozambique, nombreuses sont celles qui vivent dans la crainte d’être persécutées, kidnappées et mutilées. Au Mozambique, la plupart des albinos ne terminent pas leur scolarité et éprouvent des difficultés à s’intégrer dans la société. Des superstitions sans fondement foisonnent selon lesquelles leur sang, leurs cheveux et certaines parties de leur corps peuvent servir d’amulettes.

La sensibilité au soleil pose également un énorme problème en Afrique ; non seulement pour des raisons de santé, mais aussi parce qu’en essayant d’éviter une trop grande exposition au soleil, de nombreux albinos ne peuvent pas travailler, ce qui les condamne à une vie de pauvreté et d’exclusion sociale.

 

Inocêncio Machava est sans emploi depuis trois ans en raison des préjugés auxquels il est confronté en tant qu’albinos.

Photo: Flavio Forner

Inocêncio Machava, âgé de 45 ans, est né à Maija Cassi, dans le district de Gaza, au Mozambique, et vit à Maputo depuis 1986. Ayant dû quitter l’école vers 15 ans en raison d’une combinaison de facteurs tels que la guerre civile qui a déchiré le pays pendant 16 ans (de 1977 à 1992), la pauvreté et la discrimination à cause de sa maladie, Inocêncio a toujours voulu travailler dans le domaine de la justice environnementale ou de l’aide sociale. Cependant, il est sans emploi depuis trois ans. « Je veux vraiment travailler et trouver un emploi, mais la société est trop pleine de préjugés  », déclare-t-il à Equal Times.

 

Inocêncio préfère arpenter les rues de la ville lorsque le soleil s’est couché. Cette photographie a été prise à Maputo le 13 juin 2018, date de la Journée internationale de sensibilisation à l’albinisme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 2014.

Photo: Flavio Forner

Inocêncio déclare qu’il a été victime de nombreux préjugés en grandissant. Étant le seul albinos dans sa famille, ses parents et amis l’ont ostracisé et sa maladie a été le prétexte avancé par son père pour abandonner sa famille. À l’école, les camarades de classe d’Inocêncio lui crachaient dessus. « Les gens pensent qu’une personne albinos n’est pas une personne. Nous sommes victimes de discrimination et les gens pensent que nous n’avons aucune valeur  », déclare cet homme marié et père de deux enfants.

Ce préjugé l’a poursuivi à l’âge adulte. Il déclare que sa peau claire et son extrême sensibilité au soleil font qu’il lui est très difficile de trouver du travail. « Les gens pensent que vous n’êtes pas utile et que vous ne pouvez pas travailler, tout simplement parce que vous êtes atteint d’albinisme. J’ai passé plusieurs entretiens d’embauche, mais on ne m’offre jamais de postes. » Inocêncio travaille actuellement comme bénévole pour Albimoz, une association locale pour les personnes atteintes d’albinisme. Il rêve de terminer ses études et de travailler comme défenseur de l’environnement.

 

Le musicien Aly Faque vit dans une maison avec deux chambres à coucher juste à l’extérieur de Maputo avec sa femme et ses deux jeunes filles, Fatima et Felicidade, âgées de 12 ans et de 4 ans, respectivement.

« Il n’y a pas de différence entre une personne albinos et n’importe quel autre être humain. Nous avons des rêves. Nous voulons étudier et continuer à vivre notre vie », déclare Aly Faque, un chanteur de 51 ans qui est l’un des musiciens les plus respectés du Mozambique, en plus d’être une voix prépondérante contre la discrimination à laquelle les personnes atteintes d’albinisme sont confrontées dans son pays. M. Faque est originaire de la ville d’Angoche, dans la province de Nampula dans le nord du pays, voisine de la Tanzanie et du Malawi, et où se concentre le taux le plus élevé de personnes souffrant d’albinisme au Mozambique.

Alors qu’il n’était encore qu’un bébé, M. Faque a été arraché à sa mère et abandonné dans la rue par son père. Par la suite, c’est son grand-père qui l’a secouru puis élevé. C’est à travers l’art et la musique qu’il dénonce les préjugés et diffuse un message de respect et de tolérance. L’une de ses chansons les plus célèbres s’appelle Kinachukuru, dont le titre signifie « Je suis reconnaissant » en makhuwa, l’une des principales langues du nord du Mozambique. Dans sa chanson, Aly Faque déplore le rejet de son père et la pauvreté qu’il a subie lorsqu’il était enfant. « Cette chanson dévoile mon enfance et l’histoire de ma famille. »

 

Grâce à la musique, Aly Faque a trouvé un moyen de gagner sa vie et de partager son talent avec le monde. Il a récemment été nommé Directeur des arts de la province de Nampula et indique qu’il tentera d’encourager les activités culturelles dans la région tout en offrant une tribune pour les nouveaux talents locaux.

Photo: Flavio Forner

En outre, la déficience visuelle dont souffre Aly Faque ne l’empêche pas de jouer du piano et de la guitare, ainsi que de composer ses propres chansons en koti, makhuwa, portugais et swahili. M. Faque fait de la musique depuis la fin des années 1980, année où il a obtenu son diplôme de l’école de musique de Nampula, et comme son héros, la pop star malienne Salif Keita (également albinos), la vie et le parcours d’Aly Faque sont une source d’inspiration pour ses nombreux fans. « J’aimais chanter dans la rue et les gens appréciaient ma voix. Un jour, j’ai décidé d’aller à l’école de musique », se souvient-il.

Lorsqu’il est arrivé à Maputo en 1995, à 2.000 kilomètres de sa ville natale, la vie n’a pas été facile pour M. Faque. Pour gagner sa vie, il a dû faire de tout : griller des cacahuètes dans la rue et vendre du tabac, ce qui l’exposait au soleil qui lui cause tant de douleur. Mais le garçon de Nampula n’a jamais abandonné son rêve de devenir musicien. Grâce au bouche-à-oreille, son talent l’a finalement amené à Radio Mozambique, où il a pu enregistrer certaines de ses chansons originales.

 

Aly Faque, en compagnie de sa plus jeune fille, Felicidade (qui signifie « bonheur » en portugais). Ses filles sont timides, mais manifestent beaucoup d’amour pour leur père et aiment être près de lui lorsqu’il joue de la guitare.

Photo: Flavio Forner

Aly Faque déclare qu’en plus de trouver du bonheur dans la musique, il a la chance d’avoir une vie de famille heureuse. « Ma femme est une personne charmante, qui me respecte et me comprend. » Mais il sait que tout le monde n’a pas autant de chance. Il a fait la connaissance de plusieurs albinos qui ont été forcés de vivre dans l’isolement de peur de subir de la discrimination ou même des violences. « Les mythes sont toujours aussi nombreux. Les gens ont des croyances et pensent qu’un albinos doit être tué. Ce sont des croyances superficielles que les gens cultivent. Il y a tellement d’albinos qui se cachent dans des régions reculées et qui ne reçoivent aucun soutien  », explique-t-il.

M. Faque explique qu’il enseigne à ses filles Fatima (12) et Felicidade (4) à être respectueuses et obligeantes envers les personnes atteintes d’albinisme. «  Ma plus jeune fille me demande pourquoi je suis comme ça et je lui explique qu’elle ne doit pas avoir peur quand elle voit des gens comme moi dans la rue ». M. Faque plaide également avec force pour que le gouvernement réponde aux besoins des albinos. Bien que le Mozambique se soit doté d’un plan national conçu en 2015, le pays ne dispose toujours pas des informations démographiques et du financement nécessaires à la mise en œuvre des stratégies décrites dans le plan. « Il nous faut des politiques fortes pour soutenir les personnes atteintes d’albinisme et pour éduquer la société à propos de notre maladie », souligne-t-il.

Cet article a été traduit de l'anglais.