Évincés d’Accra par le prix de l’immobilier, les travailleurs ghanéens sont repoussés vers des logements de fortune en périphérie

Évincés d'Accra par le prix de l'immobilier, les travailleurs ghanéens sont repoussés vers des logements de fortune en périphérie

In this photo taken on 11 February 2023, Bright Adu Larbi stands by kiosks close to where he lives that have been marked for demolition by the Department of Rural Housing for over a year.

(Delali Adogla-Bessa)
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Bright Adu Larbi, 38 ans, travaille en tant qu’agent de sécurité et touche 500 cedis ghanéens (environ 45 dollars US) par mois. Il n’a pas fallu la crise économique actuelle pour qu’il se sente accablé par le coût de la vie dans la capitale ghanéenne, Accra. M. Larbi se trouvait déjà dans une situation difficile avant la crise, du fait des contraintes économiques engendrées, en partie, par une famille de plus en plus nombreuse.

Dès 2021, la stagnation des salaires et l’augmentation des dépenses liées à son ménage ne lui permettaient plus de s’acquitter du loyer mensuel de 180 cedis (16 USD) pour son modeste appartement situé à Adabraka, dans la banlieue d’Accra. Par ailleurs, compte tenu de la difficulté à trouver du travail à la suite de la pandémie de Covid-19, M. Larbi ne pouvait pas non plus se permettre de quitter Accra et de sacrifier son poste d’agent de sécurité dans la capitale.

Le seul logement abordable disponible pour lui et les quatre membres de sa famille consistait en un minuscule kiosque en bois, situé dans un lotissement informel du nom d’Ayigbe Town, aménagé en bordure de pylônes électriques à haute tension. Prévues spécifiquement à des fins d’habitation, ces cases ont une superficie d’environ 1,5 à 2 mètres carrés et sont généralement percées d’au moins une fenêtre, pour l’aération. Pour l’électricité, les résidents dépendent de raccordements de fortune, souvent illégaux, quant aux installations sanitaires, ils doivent se contenter de bains et de toilettes improvisés.

« Nous n’avons pas eu le choix. Louer est au-dessus de nos moyens », explique M. Larbi à Equal Times. Cependant, pour 1.000 cedis (90 USD), il a pu acheter un petit kiosque pour y vivre.

Lors d’un entretien accordé à Equal Times, alors qu’il se trouvait en convalescence après une opération de l’appendice, M. Larbi a dénoncé le coût très élevé de la vie à Accra, qui le contraint à vivre au jour le jour. Même si son employeur prend en charge l’assurance maladie qui a couvert son opération, il ne parvient pas à se débarrasser de la crainte d’être licencié pendant sa convalescence. « Je ne saurais que faire de ma femme et de mes deux enfants [si j’en venais à perdre mon emploi]. Ce serait difficile. »

Pour lui, la priorité reste ses filles, âgées de deux et cinq ans. Afin de pouvoir travailler, les époux envoient les deux filles dans une crèche relativement abordable, mais qui revient somme toute à 300 cedis (24,78 USD) par trimestre. Il ne leur reste plus rien à la fin du mois. « Je ne peux pas m’acheter de vêtements. Je ne peux pas m’acheter de chaussures non plus... comment pourrais-je faire des économies ? », se lamente l’agent de sécurité. « Lorsque je touche mon salaire à la fin du mois, je paie les frais d’école, et un point c’est tout. C’est retour à la case départ et une fois de plus commencer le mois sans le sou. »

À un kilomètre environ de la case de M. Larbi, nous rencontrons Innocent Tsey, un charpentier, que les prix exorbitants des loyers à Accra ont contraint, lui aussi, à installer sa famille dans un de ces kiosques.

Initialement, l’idée de pouvoir se loger à bon marché dans le quartier des kiosques avait paru attrayante.

Pour quelqu’un qui pouvait gagner jusqu’à 1.000 cedis (90 USD) par mois, la somme de 600 cedis (54 USD) par an de location pour l’emplacement du kiosque paraissait supportable. Cependant, il n’a pas tardé à se rendre compte que l’endroit où il vit actuellement ne convenait pas pour y élever ses deux filles.

« C’est comme une jungle. Il n’y a pas d’autorité ici. Pas de sécurité », confie M. Tsey. « Je regrette beaucoup d’avoir amené ma famille ici. Si ça ne tenait qu’à moi, je partirais dès aujourd’hui. »

La case de M. Tsey est située sur un terrain appartenant au ministère du Logement rural du Ghana. La redevance annuelle qu’il paie pour l’emplacement est reversée à l’État. Il ne risque donc pas de voir son kiosque démoli par les pouvoirs publics locaux. En revanche, la famille de M. Larbi, elle, fait partie des centaines de ménages à faibles revenus installées illégalement dans le quartier d’Ayigbe, et il lui est déjà arrivé de voir le kiosque où il vivait démoli.

Ces opérations de démolition sont le seul moment de son existence où M. Larbi soit entré en contact avec les pouvoirs publics. Malgré sa condition de pauvre, il n’a jamais bénéficié d’aucune aide sociale. « Ici, personne ne vient aider qui que ce soit, mais tous les quatre ans, ils débarquent avec des urnes pour nous faire voter », fulmine M. Larbi.

L’urgence de réformes durables en matière de logement

La population urbaine au Ghana est passée de 50 % en 2010 à 56 % en 2021, les régions du Grand Accra et d’Ashanti comptant pour 47 % de cette augmentation. Des études ont montré que la hausse des taux d’exode rural, entraînée par le manque d’emplois décents dans les zones rurales et la pression pour des salaires plus élevés, met à mal les services essentiels tels que l’éducation, les soins de santé, les transports et le logement.

Selon les estimations, le Ghana accuserait un déficit de logements de l’ordre de 1,8 million d’unités. En d’autres termes, environ six millions de personnes, sur une population d’environ 33 millions d’habitants, sont à la recherche d’un logement. Ces chiffres ne tiennent toutefois pas compte de la qualité du logement disponible. Selon l’examen national volontaire 2022 du Ghana au titre des objectifs de développement durable des Nations Unies, 8,8 millions de personnes au Ghana vivront dans des bidonvilles d’ici 2020, contre 5,5 millions en 2017.

Plusieurs gouvernements successifs ont tenté de mettre en place des programmes de logements abordables afin de combler le déficit de logements décents dans le pays et de soulager les difficultés économiques rencontrées par les personnes en quête d’un logement. Récemment, toutefois, la crédibilité du gouvernement a été ébranlée par la mauvaise gestion d’un programme très médiatisé de logements abordables à Saglemi, en périphérie de la région du Grand Accra, actuellement au centre d’un procès pour corruption.

Pour Divine Aggor, PDG du Rent Chamber Group, qui préconise des solutions innovantes en matière de logement, le gouvernement devrait tirer les leçons qui s’imposent de cette mauvaise gestion, renoncer aux programmes de logement abordable et se concentrer à la place sur l’option « plus simple » consistant à régulariser le régime des loyers qui, à l’heure actuelle, pousse un grand nombre de Ghanéens à quitter les villes du pays en raison de prix inabordables.

Dans les zones urbaines du Ghana, 46 % des ménages occupent des logements locatifs, selon un rapport du service statistique du Ghana datant de 2021. « La mise au point de solutions locatives pourrait permettre d’éliminer d’emblée 90 % des problèmes que nous rencontrons dans ce secteur », a déclaré M. Aggor.

​​​​« Les programmes de logements abordables [conduits par l’État] sont une véritable perte de temps et de ressources », ajoute-t-il, notamment parce que la majorité des gens n’auraient pas les moyens d’acheter en raison des taux d’intérêt hypothécaires élevés et du faible nombre de personnes pouvant même prétendre à un prêt hypothécaire.

En janvier, le gouvernement a lancé un programme national d’aide à la location, dans le cadre duquel l’État accordera aux Ghanéens éligibles des prêts locatifs leur permettant de couvrir les avances de loyer. Cette mesure ne s’attaque toutefois pas aux problèmes structurels du marché du logement d’Accra, en particulier pour les travailleurs à faibles revenus, à savoir : une pénurie massive de logements et des bas salaires qui ne suivent pas le coût de la vie.

Selon M. Aggor, la solution la plus simple consisterait pour le gouvernement à faire appliquer les lois en vigueur relatives à la propriété foncière et aux loyers, ce qui permettrait aux propriétaires potentiels d’acheter plus facilement des terres sans craindre d’avoir à payer plusieurs fois pour le même terrain ou de subir des extorsions, dont les coûts sont répercutés sur les locataires.

Les incitations en ce sens restent, toutefois, selon lui, extrêmement limitées. « Au Ghana, nous n’appliquons pas les lois dès lors que les responsables censés y veiller sont eux-mêmes complices d’activités que les lois cherchent à réglementer », explique M. Aggor.

Les interventions locatives n’ont rien de nouveau au Ghana. Des mesures de contrôle des loyers ont été appliquées dès les années 1970 et jusqu’au début des années 1980 dans le but de rendre les logements plus abordables. Ces dispositions ont toutefois eu des conséquences inattendues, dans la mesure où elles dissuadaient le secteur privé de fournir des logements locatifs.

Les failles réglementaires n’arrangent pas la situation

Actuellement, le département national chargé du contrôle des loyers – censé réguler le régime des loyers – se heurte à un manque cruel de ressources lorsqu’il s’agit de surveiller de manière adéquate le marché locatif du pays. L’une des infractions les plus surveillées est celle visée par la loi limitant les demandes d’avances sur loyer à six mois. Toutefois, compte tenu de l’offre limitée de logements, cette réglementation est ouvertement bafouée et les avances de loyer de deux à trois ans sont monnaie courante. Les commissions chargées des loyers et du logement ne sont pas non plus en mesure d’évaluer et de valoriser correctement les biens immobiliers afin de s’assurer que les loyers pratiqués sont équitables.

« Nous nous trouvons face à un certain nombre de défis. Je me dois d’être franc. Nous sommes confrontés à des problèmes logistiques », déclarait Emmanuel Kporsu, attaché de presse du département du contrôle des loyers, lors d’un forum en ligne, précisant que les 58 bureaux nationaux du département n’avaient accès qu’à quatre véhicules pour mener à bien les évaluations et les inspections.

Il est difficile de trouver des données complètes et actualisées sur les loyers. La dernière enquête globale sur le logement au Ghana a été réalisée après le recensement de 2010.

Or, considérées à la lumière de la réalité économique actuelle, où l’inflation dépasse 50 % et où le cedi ghanéen se classe parmi les monnaies les moins performantes au monde en 2022, les données de 2014 montrent que le coût du logement dépasse les revenus des ménages, forçant les Ghanéens moyens à quitter Accra, ainsi que d’autres grandes villes comme Kumasi et Takoradi, sous la contrainte du prix du logement.​ ​Dans son Rapport sur le logement au Ghana de 2014, le service statistique ghanéen faisait état d’une « dollarisation » de l’espace locatif de la classe moyenne à Accra, due en partie au retour des Ghanéens de la diaspora. À l’époque, les professionnels de la classe moyenne pouvaient s’attendre à devoir payer entre 80 USD (880 cedis) et 450 USD (4.950 cedis) par mois de loyer et les locataires devaient parfois s’acquitter d’avances pouvant aller jusqu’à deux ans.

Selon une enquête sur le niveau de vie au Ghana réalisée en 2019, les revenus annuels moyens des ménages à Accra s’élevaient à 63.027 cedis (5.729 USD), contre une moyenne nationale de 33.937 cedis (3.084 USD).

Les zones périurbaines affichent un développement immobilier de plus en plus important en raison du coût du logement dans les grandes villes. Selon l’African Cities Research Consortium, le modèle de croissance physique urbaine reflète une relocalisation rapide des villes côtières comme Accra vers les zones périurbaines situées à l’intérieur des terres, et ce en raison du prix moins élevé des terrains et donc des loyers. Rien qu’au cours de la dernière décennie, on estime que 89 % des nouveaux aménagements urbains de la région du Grand Accra ont eu lieu en dehors de la zone métropolitaine d’Accra.

Kwabena Nyarko Otoo, économiste en chef de la centrale syndicale ghanéenne Trades Union Congress (TUC), fait partie des nombreux travailleurs qui passent jusqu’à quatre heures chaque jour à faire la navette entre leur domicile et leur lieu de travail parce qu’ils ont opté pour un logement plus abordable à l’extérieur de la ville. Il vit dans la banlieue de Tema, la ville jumelle d’Accra. « Il est très cher de vivre dans la ville de Tema elle-même », a-t-il déclaré à Equal Times.

Les difficultés liées au coût de la vie au Ghana sont une source d’inquiétude pour le syndicat. Outre ses activités de plaidoyer, le TUC cherche également à mettre en place des dispositifs de soutien pour ses membres, tels que des allocations de logement, pour venir en aide aux membres en difficulté. Le syndicat travaille également à la mise en place de ce qu’il appelle une banque du travail (Labour Bank) pour répondre aux besoins des membres du syndicat en leur proposant des prêts et des hypothèques.

M. Otoo reconnaît toutefois que ces mesures ne sont pas suffisantes pour résoudre un problème de logement qui « accable tout le monde ». Il souligne que de « graves problèmes de gouvernance » limitent l’efficacité de l’État à cet égard. Néanmoins, l’État ne peut se soustraire à sa responsabilité ultime, qui est de faciliter l’accès de tous les Ghanéens à des logements abordables et décents.

« Nous ferons notre part du travail. Mais ce que nous ferons ne résoudra peut-être pas entièrement le problème », concède M. Otoo. « L’ampleur de la crise du logement exige une intervention majeure du gouvernement, et nous continuerons à faire pression en ce sens. »