Face à la corruption, l’approche hybride de la Zambie pour récupérer les avoirs détournés

Face à la corruption, l'approche hybride de la Zambie pour récupérer les avoirs détournés

Since being inaugurated as president of Zambia on 24 August 2021, Hakainde Hichilema (centre) has embarked on a crusade against corruption, mainly targeting people with links to the previous administration of Edgar Lungu.

(AFP/Patrick Meinhardt)

Timothy Bwalya est soulagé que l’époque où il devait payer des pots-de-vin aux milices locales soit révolue. Jusqu’à l’année passée, il devait débourser de l’argent chaque semaine pour avoir le droit de vendre ses marchandises aux passagers du terminal de bus de Lusaka. La défaite de l’ancien président zambien Edgar Lungu en août 2021 et l’élection du leader de l’opposition, Hakainde Hichilema, ont permis de mettre fin aux extorsions dans l’un des principaux centres de transport de la capitale.

« C’était tellement étouffant. Les “cellules” étaient des mafias qui exigeaient 64 kwachas [environ 4 euros] par semaine pour qu’un marchand informel comme moi puisse travailler au marché de la station de bus », explique M. Bwalya, qui pousse chaque matin dans les rues de la ville d’énormes brouettes remplies de sacs de charbon de bois.

Ces « cellules » seraient alignées sur le parti de l’ancien président Lungu, qui a gouverné le pays entre 2015 et 2021. Lorsqu’il était au pouvoir, ces cellules contrôlaient les marchés municipaux et exigeaient des dessous de table de la part de petits commerçants comme M. Bwalya avec l’approbation tacite de responsables municipaux associés à Lungu. Ces cellules étaient considérées comme « intouchables » et leurs raids violents sur les terminaux de bus ont fait des dizaines de blessés et au moins un mort répertorié.

La spectaculaire défaite du parti de gauche Front patriotique de M. Lungu et la victoire du parti de centre droit de M. Hichilema, le Parti unifié pour le développement national, lors des élections de 2021, ont suscité l’« euphorie » dans certains secteurs et marqué le point de départ d’une nouvelle campagne visant à éradiquer une corruption profondément ancrée.

« Nous adopterons une tolérance zéro envers la corruption. Ce sera notre cheval de bataille. La lutte contre la corruption sera professionnelle et non vindicative », a promis M. Hichilema dans son discours d’investiture du 24 août 2021.

En prenant ses fonctions, M. Hichilema a été confronté à un incroyable cadeau d’arrivée : en 2020, la Zambie, riche en ressources naturelles et deuxième producteur de cuivre d’Afrique, a été le premier pays du continent à faire défaut sur sa dette extérieure de près de 15 milliards de dollars US depuis le début de la pandémie. Quelque 6 milliards de dollars étaient dus rien qu’à la Chine, qui avait accordé des prêts pour divers projets d’infrastructure. Des centaines de millions de dollars auraient été siphonnés des caisses de l’État dans ces projets, ainsi que dans les programmes de subvention des carburants et des engrais. Dans les marchés publics également, des prix largement gonflés ont entaché l’acquisition de tout type de produits, des fournitures médicales aux camions de pompiers en passant par les engrais, illustrant le type de corruption qui n’a pas commencé sous Lungu, mais qui a eu un impact dévastateur sur les dépenses publiques à un moment où le peuple zambien en a le plus besoin.

En décembre 2021 était annoncée la création d’une équipe spéciale de lutte contre la corruption, suivie d’un tribunal spécial pour accélérer la récupération des biens volés et la poursuite des affaires de corruption. Ce qui a vraiment retenu l’attention du monde est le fait que dans sa lutte contre la corruption, le gouvernement d’Hichilema ne suit pas le schéma traditionnel « arrêter, poursuivre, condamner » de la lutte contre la corruption. Le pays opte plutôt pour une approche hybride consistant à poursuivre certains contrevenants et à appliquer la politique « pas de prison, mais restitution des biens mal acquis » pour d’autres.

Pardon conditionnel

La nouvelle équipe gouvernementale zambienne a choisi de confisquer les biens des bénéficiaires de l’ancien régime plutôt que de procéder à des arrestations coûteuses et à de longues poursuites judiciaires – une approche connue sous le nom de confiscation de biens sans condamnation. Cela signifie que les auteurs présumés de corruption sont invités à remettre l’argent liquide, les fermes, les manoirs et les véhicules acquis de manière illicite.

Ceux qui coopèrent reçoivent l’assurance qu’ils ne seront pas poursuivis et qu’ils ne feront pas de la prison. « La confiscation des biens est une approche mondialement acceptée pour lutter contre la corruption », explique Maurice Nyambe, directeur général de Transparency International – Zambie (TI-Z). Il estime toutefois que des problèmes peuvent surgir lorsque la confiscation des avoirs constitue la première étape de la lutte contre la corruption.

« TI-Z est d’avis que, dans tous les cas, la première option pour lutter contre la corruption devrait consister à engager des poursuites. Cependant, lorsqu’un dossier n’est pas suffisamment solide pour emprunter cette voie, la confiscation peut être envisagée. »

Même s’il n’existe aucune base de données publique sur la valeur financière de tous les biens saisis à ce jour auprès de personnes soupçonnées de corruption, un certain nombre de saisies très médiatisées ont néanmoins eu lieu. Une propriété de 22 millions de kwachas (environ 1,37 million de dollars US) a été saisie chez un ancien ministre provincial, tandis qu’un ancien ministre des affaires étrangères a été arrêté en mars, car il était soupçonné de posséder deux hélicoptères et un hôtel achetés grâce aux recettes tirées d’activités criminelles.

Dans l’une des affaires de recouvrement de biens les plus retentissantes à ce jour, Faith Musonda, une ancienne animatrice de radio qui aurait entretenu une relation avec le précédent président, a restitué un luxueux manoir, 65 millions de kwachas (environ 4 millions de dollars US) et 58.000 dollars US en espèces. Ces sommes ont été découvertes chez elle au cours d’un raid mené par des inspecteurs anticorruption en octobre 2021. Mme Musonda a bénéficié d’une amnistie et ne fera pas l’objet de poursuites pénales parce qu’elle a entièrement divulgué son butin et a volontairement remis ses biens à l’État, selon les médias locaux. Si d’autres infractions devaient cependant être découvertes à l’avenir, Mme Musonda serait alors soumise à la procédure habituelle de poursuites judiciaires.

« Essentiellement, cette [politique] s’inscrit dans la continuité des principes de pardon promulgués par le Président fondateur [de la Zambie], Kenneth Kaunda », explique Stephen Chan, professeur d’affaires africaines à l’École d’études orientales et africaines de l’université de Londres et ancien diplomate britannique dont l’expertise est régulièrement sollicitée par le nouveau gouvernement zambien. M. Kaunda a œuvré pour libérer la Zambie de la domination coloniale britannique, est devenu son premier président en 1964 et était connu pour une philosophie qu’il décrivait comme un « humanisme africain ». « Il s’agit d’un pardon conditionnel. Vous devez rendre l’argent volé et effectivement faire l’objet d’une honte publique », explique M. Chan.

Approches variées, résultats en demi-teinte

Certains observateurs affirment que l’approche de la Zambie, qui consiste à récupérer les biens, est novatrice par rapport à celle de ses voisins au Sud. Au Zimbabwe, les autorités ont mené ce que les critiques ont décrit comme une campagne anticorruption en demi-teinte. Les présumés fraudeurs, généralement des fonctionnaires de haut niveau, sont arrêtés lors de campagnes éclairs très médiatisées, mais les affaires stagnent dans les tribunaux et les procureurs formulent délibérément des accusations faibles. À mesure que l’intérêt du public se dissipe, les accusations sont finalement retirées et les suspects libérés ; une approche connue sous le nom de « catch and release » (attraper puis relâcher).

Un autre voisin de la Zambie, l’Afrique du Sud, a entrepris une vaste campagne de lutte contre la corruption après qu’une enquête a révélé une « capture étatique » très répandue. Cette expression est utilisée pour décrire la corruption et la réaffectation d’entreprises publiques à des fins privées. Les autorités sud-africaines ont mené une politique de poursuites judiciaires et de confiscation des biens, mais aucun haut responsable n’a été condamné à ce jour en raison d’intenses manœuvres juridiques et politiques. Jacob Zuma, l’ancien président sud-africain au cœur des allégations d’appropriation de l’État, a multiplié les procès depuis les années 1990 sans qu’aucune condamnation ne soit prononcée pour les 18 chefs d’accusation de fraude et de corruption qui pèsent sur lui.

Les résultats en demi-teinte de ces diverses approches en matière de corruption illustrent pourquoi l’approche hybride de la Zambie pourrait s’avérer plus efficace. Ce système de pardon et de confiscation des biens pillés n’est « pas très différent de celui de la Commission pour la vérité et la réconciliation en Afrique du Sud, mais il s’applique aux crimes économiques et non aux crimes racistes », explique M. Chan.

Les contrevenants repentis qui ont révélé tous les détails de leurs crimes et qui ont renoncé aux biens acquis illicitement sont un don du ciel pour les procureurs, car les chances de réussite juridique sont généralement très faibles. Poursuivre des contrevenants fortunés est très coûteux pour un pays en difficulté financière et aux ressources restreintes comme la Zambie. « Il y a tellement de cas présumés de corruption en Zambie qu’il n’y aurait pas assez de juges [dans toute] l’Afrique australe pour tous les juger », déclare M. Chan.

Les actions en justice peuvent traîner pendant une décennie et n’offrent aucune certitude de victoire pour les procureurs ou encore de restitution de l’argent volé dans les coffres de l’État. Adrian Sikoko, un économiste basé à Ndola, une ville riche en cuivre du nord de la Zambie, explique

« Les “Pandora Papers” nous ont montré que les politiciens corrompus sont notoirement doués pour gagner du temps. Ils utilisent l’argent dérobé lui-même pour engager les meilleurs avocats, ouvrir des comptes bancaires offshore, acquérir des propriétés imbriquées en multiples couches dont les identités réelles sont cachées, et construire des pyramides de dissimulation fiscale pour éviter de devoir rendre des comptes ».

La Zambie a cruellement besoin de l’argent qu’elle a recouvré dans des affaires de corruption pour relancer son économie après des années de dépenses irréfléchies de l’administration Lungu. En raison de ses dettes massives et de ses finances publiques insoutenables, le gouvernement d’Hichilema a accepté en septembre les conditions d’un prêt de 1,3 milliard de dollars US accordé par le Fonds monétaire international (FMI). De nombreux observateurs ont vivement critiqué cet accord de prêt, qui obligera la nouvelle administration à sabrer les services sociaux afin de rembourser les prêteurs étrangers.

Grieve Chelwa, l’un des économistes les plus respectés de Zambie et directeur de recherche à l’Institute on Race, Power and Political Economy de la New School de New York, a décrit les conditions du prêt (qui prévoient notamment des réductions drastiques des subventions publiques aux carburants et de celles, très efficaces, accordées aux agriculteurs zambiens ainsi que le fait de permettre aux forces du marché de déterminer les tarifs d’électricité et d’élargir le panier de la taxe sur la valeur ajoutée) comme étant « invraisemblables, sans cœur » et « la définition même de l’austérité ».

L’ONG Debt Justice, basée à Londres, relève que les « documents du FMI lui-même indiquent que 8,4 milliards de dollars US (8,59 milliards d’euros) de remboursements de la dette doivent être annulés par le gouvernement et les créanciers privés externes entre 2022 et 2025, qu’une annulation supplémentaire sera nécessaire pour les paiements entre 2026 et 2031, mais ne fixe aucune limite pour les paiements après 2031 ».

Tim Jones, responsable des politiques de Debt Justice, appelle à une annulation significative des remboursements de la dette au cours des quatre prochaines années, car les reporter aux années 2030 « menace de reproduire la crise de la dette à ce moment-là ». Il déclare : « Nous continuons à nous battre pour une annulation de la dette à grande échelle pour la Zambie afin que les banques, les fonds spéculatifs et les gestionnaires d’actifs assument une partie du risque de leurs paris spéculatifs sur la dette zambienne à taux d’intérêt élevé. »

Témoignant des tensions économiques auxquelles sont confrontés les Zambiens ordinaires, une annonce visant à pourvoir 11.000 postes au sein du ministère de la Santé a attiré pas moins de 137.000 candidatures en avril. « Notre désespoir est humiliant », déclare Anne Musotokoya, infirmière en hématologie à Lusaka, qui faisait partie des dizaines de milliers de personnes qui ont postulé. Elle ajoute : « Il n’y a pas assez d’emplois dans le secteur public, car le gouvernement ne dispose pas d’argent pour payer les salaires d’une population active nombreuse, du moins c’est ce qu’ils disent. »

Sur le plan macroéconomique, la dette du secteur public zambien a explosé en raison des emprunts prodigues de l’ex-président Lungu. En octobre dernier, cette dette s’élevait à 26 milliards de dollars US (25,4 milliards d’euros), soit 112 % de son PIB. Par ailleurs, les experts ont averti que la dette cachée pourrait être encore plus élevée. « En substance, le trésor public de la Zambie a été vidé par son ancien régime. Des milliards ont disparu du trésor public », déclare M. Sikoko. « Il est tout à fait judicieux que les nouveaux maîtres de la Zambie demandent aux coupables présumés de restituer les biens acquis illicitement. »