Faire de 2021 l’année charnière pour l’élimination du travail des enfants

Faire de 2021 l'année charnière pour l'élimination du travail des enfants

Around the world, laws to prohibit child labour remain under-enforced and under-resourced.

(ILO/Phan Hien)

Après le tumulte et l’incertitude déchaînés par la pandémie de Covid-19 en 2020, la nouvelle année se place sous le signe de l’espoir et de la détermination retrouvés. Au nom de la communauté mondiale des organisations et activistes en lutte contre le travail des enfants, nous nous réjouissons tout particulièrement que 2021 ait été proclamée Année internationale de l’élimination du travail des enfants.

La lutte contre le travail des enfants a connu de réels progrès au cours des 20 dernières années. Au cours de cette période, le nombre d’enfants au travail a diminué de 100 millions, un résultat encourageant.

La Convention 182 de l’OIT (Organisation internationale du travail) sur les pires formes de travail des enfants est la seule convention universellement ratifiée dans l’histoire de l’OIT.

Elle est suivie de près par la Convention 138 sur l’âge minimum d’admission à l’emploi, qui ne doit plus être ratifiée que par 14 pays. Ces deux conventions contribuent aux cadres juridiques nationaux nécessaires à la prévention du travail des enfants et aux mesures correctives. Le programme et le cadre de développement actuels des objectifs de développement durable (ODD) comprennent un objectif spécifique et distinct visant l’élimination du travail des enfants sous toutes ses formes à l’horizon 2025. Il s’agit de l’objectif 8.7. Fer de lance de la réalisation de cet objectif, l’Alliance 8.7 est un partenariat mondial qui rassemble toutes les parties prenantes et encourage les pays à redoubler d’efforts dans le cadre de la lutte contre le travail des enfants, et ce par l’intermédiaire de son mécanisme des « pays pionniers » qui a, à ce jour, abouti à des engagements dans 22 pays.

Malgré ces progrès considérables, il y a aussi eu des revers. Selon les estimations disponibles, le nombre total d’enfants qui travaillent dans le monde atteint le chiffre ahurissant de 152 millions, tandis que ces deux dernières années ont vu le rythme de la réduction ralentir. La part du travail des enfants a augmenté dans l’agriculture, secteur en grande partie informel et sous-réglementé, et touche désormais 108 millions d’enfants. Ces constats soulignent à la fois les progrès réalisés dans les secteurs formels de l’économie mondiale et la nécessité urgente de redoubler d’efforts dans le secteur informel.

Risque de revers avec le décrochage scolaire causé par la pandémie

Les lois et les politiques nationales en matière de travail des enfants sont insuffisamment appliquées et sous-financées. On peut citer comme exemples la faiblesse des systèmes d’inspection du travail qui effleurent à peine l’économie informelle où se concentre la majorité du travail des enfants, ou encore les retards liés à l’examen ou à la publication des listes nationales de travaux dangereux interdits aux enfants de moins de 18 ans. Le revers le plus important a été la pandémie qui dure depuis un an et qui annule les progrès accomplis à ce jour, maintenant les enfants hors de l’école et de plus en plus au travail, avec des répercussions socio-économiques qui repoussent encore plus à la marge des communautés déjà vulnérables. La fermeture des écoles pour cause de pandémie est susceptible, selon certaines prévisions, d’entraîner un risque de décrochage scolaire chez quelque 24 millions d’enfants. Ceux-ci se verraient, dès lors, contraints de travailler, inversant par-là même les progrès accomplis et perpétuant la pauvreté et l’inégalité intergénérationnelles.

C’est dans ce contexte que la société civile et les militants syndicaux envisagent cette année internationale avec l’espoir et la détermination d’inscrire à nouveau le fléau du travail des enfants au centre de tous les programmes sociaux, politiques et de développement.

Plus encore, il s’agit d’une opportunité, et peut-être même de la dernière chance (l’objectif de la Feuille de route de La Haye en vue de l’élimination des pires formes de travail des enfants à l’horizon 2016 ayant été manqué) pour tous les acteurs de s’engager corps et âme à réaliser des progrès significatifs alors que s’égrène le compte à rebours de cinq ans vers l’élimination du travail des enfants à l’horizon 2025. Les engagements et les mesures prises au cours de cette dernière étape détermineront les progrès réalisés dans la lutte contre le travail des enfants.

C’est pourquoi les militants contre le travail des enfants et la société civile dans son ensemble appellent à quatre actions cruciales en 2021 :

- 1. La première est un appel à faire de la lutte contre le travail des enfants une priorité à financement optimal pour une cause sous-financée, en demandant aux gouvernements d’engager davantage de ressources et des budgets plus importants pour les efforts nationaux en matière de lutte contre le travail des enfants. De nombreux pays tels que le Ghana, le Malawi, la Tanzanie et l’Ouganda, entre autres, ont élaboré des plans d’action nationaux ambitieux pour l’élimination du travail des enfants. Cependant, faute de ressources, ces plans sont toujours en attente d’une mise en œuvre adéquate. Il en va de même pour les 22 Pays pionniers de l’Alliance 8.7, qui devront accompagner leurs engagements, stratégies et plans nationaux de mesures budgétaires rapides et appropriées. Les gouvernements donateurs du Nord devront également donner la priorité à la lutte contre le travail des enfants dans le cadre de leurs plans de subventions et d’aide étrangère.

- 2. Les activistes préconisent une approche holistique de la problématique du travail des enfants, soit une approche qui s’attaque aux causes profondes du travail des enfants, qui implique l’ensemble des parties prenantes, notamment les enfants et leur entourage, une approche multidimensionnelle et transversale qui tienne compte des enjeux corrélés tels que l’éducation, l’égalité entre les hommes et les femmes et l’ethnicité. Une telle approche garantira notamment que les efforts déployés pour combattre le travail des enfants dans un secteur ou un domaine spécifique ne se traduisent pas par un accroissement du nombre d’enfants travaillant dans un autre secteur ou domaine. Ceci implique également de mettre suffisamment l’accent sur l’élimination du travail des enfants, tous secteurs confondus : l’exploitation des enfants dans le travail domestique illustre bien cette situation, car malgré son omniprésence, ce problème reste tragiquement négligé.

- 3. Les organisations de la société civile cherchent à s’assurer que leur participation renforcée est prise en compte dans ces interventions politiques et programmatiques sur le travail des enfants. Malgré le rôle établi de la société civile dans l’élimination de l’exploitation, étant donné son accès aux communautés vulnérables et son rôle de « premier intervenant », les programmes de lutte contre le travail des enfants soutenus par les gouvernements manquent souvent l’occasion de progresser en laissant de côté ou en excluant les ONG. La définition des priorités mondiales et les discussions nationales et régionales en particulier doivent encourager et faciliter la prise en compte maximale des voix des ONG du Sud – qui se trouvent au plus près du problème.

- 4. Enfin, la société civile demande l’inclusion non négociable des voix des enfants et des jeunes à travers ces efforts, dans le but de renforcer leurs compétences en matière d’intervention et de leadership. Cet aspect est essentiel à bien des égards : pour promouvoir les valeurs démocratiques et les droits humains à un niveau fondamental, en incluant et en impliquant les communautés locales dans leur propre progrès, et en construisant l’avenir du mouvement syndical mondial.

Bien d’autres mesures encore sont à envisager. Aussi, les recommandations ci-dessus ne constituent-elles nullement un ensemble exhaustif de propositions. Ces initiatives cruciales peuvent, néanmoins, contribuer à soutenir d’autres actions. Pourvu que nous abordions l’année 2021 avec détermination et urgence, nous avons de bonnes chances de faire en sorte que d’ici cinq ans et au-delà, les enfants n’aient plus à subir la pression et les dangers de leur mise au travail.