Des juges étrangers virés pour avoir révélé la corruption au Timor oriental

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Les organisations de droits humains et la justice internationale intensifient leurs pressions sur le Premier ministre du Timor oriental concernant sa décision d’expulser des juges et procureurs étrangers du pays.

Le 24 octobre dernier, le Premier ministre timorais Xanana Gusmao a persuadé le parlement de renvoyer sept juges et procureurs responsables, selon lui, d’avoir rendu un jugement défavorable au pays à l’issue d’un procès d’évasion fiscale contre le géant américain du secteur de l’énergie, l’entreprise ConocoPhillips, dans le cadre d’un contrat d’exportation de gaz et de pétrole.

Toutefois, selon un rapport initialement publié fin novembre par la Northern Territory Bar Association (NTBA) australienne et ensuite révisé à la fin décembre, le renvoi des juges pourrait être attribuable à la crainte de voir ces derniers engager des poursuites pour corruption contre des membres du gouvernement du Timor oriental.

Auteur du rapport, Alistair Wyvill SC (avocat principal), a déclaré à Equal Times :
« La nature précise des actions intentées contre des membres du gouvernement n’est pas claire. Ce qui est clair, par contre, c’est que des procédures en instance aux tribunaux du Timor oriental mettent en cause des membres du gouvernement ou, au demeurant, semblent concerner ces derniers. »

Le Timor oriental a obtenu son indépendance de l’Indonésie en 2002 après des décennies d’occupation indonésienne soutenue par les États-Unis, au cours de laquelle près de 100.000 Timorais ont perdu la vie, selon les Nations Unies.

Depuis lors, le pays a fait appel au soutien de la communauté internationale pour mettre sur pied un appareil judiciaire compétent et indépendant.

Toutefois, au terme de discussions avec des conseillers gouvernementaux et des avocats locaux à Dili, capitale du Timor oriental, Wyvill affirme que les expulsions ont fortement affaibli le système judiciaire.

« Quand bien-même le système judiciaire du Timor oriental n’est par parfait, la meilleure manière de contribuer à son développement est de consolider ses points forts et, notamment, sa capacité démontrée à agir indépendamment du gouvernement.»

« Les mesures récentes du gouvernement du Timor oriental courent le risque grave d’ébranler plutôt que de promouvoir cette indépendance et de détruire le progrès qui a été accompli depuis l’indépendance. »

 

Dissimulation des faits

En novembre, un juge supérieur de nationalité portugaise expulsé du Timor oriental a indiqué au journaliste indépendant Ted McDonnell que les actions du gouvernement partaient d’une volonté de dissimuler la corruption :

« Ils ne sont pas prêts à se plier aux décisions de la justice, a fortiori quand il s’agit de l’évaluation des taxes pétrolières et de procès pour corruption. Le gouvernement… est en train de galvauder sa propre constitution. Par ailleurs, le moment précis où sont survenus les licenciements devra faire l’objet d’un examen par la justice internationale et les autres gouvernements démocratiques. »

La sortie du dernier rapport de la NTBA intervient au milieu d’appels renouvelés des organisations des droits humains demandant au gouvernement du Timor oriental de revenir sur sa décision.

Fin décembre, l’East Timor and Indonesia Action Network (ETAN) – organisation basée aux États-Unis – a réitéré les inquiétudes soulevées par Wyvill et décrit l’impact des expulsions sur la justice timoraise.

« Le système judiciaire du Timor oriental est fortement circonscrit. Beaucoup de procès ont dû être recommencés alors que des gens croupissent derrière les barreaux en attendant d’être traduits en justice et que les victimes de crimes attendent en vain que la justice soit rendue

« La formation de nouveaux juges et avocats timorais est considérablement restreinte, les enquêtes sur la corruption et autres crimes progressent au ralenti, tandis que tous les membres – aussi bien timorais qu’étrangers – de l’appareil judiciaire ont été avertis qu’ils devraient réfléchir à deux fois avant de mécontenter des hauts fonctionnaires. »

Ceci faisait suite à une déclaration de la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur l’indépendance des juges et des avocats, Gabriela Knaul, en novembre, où elle appelait instamment les autorités timoraises à revoir leur décision.

« Les résolutions représentent une ingérence grave dans l’indépendance du judiciaire », a dit Mme Knaul.

« Je suis profondément préoccupée par le fait que la décision puisse avoir été prise en représailles de jugements qui auraient été mal reçus par des membres du gouvernement et du parlement. »

Des inquiétudes ont également été soulevées par Amnesty International quant à l’impact négatif que les expulsions sont susceptibles d’avoir sur les efforts visant à poursuivre en justice les auteurs de violence domestique contre des femmes et des enfants.

« Les procès rejugés incluent des cas de violence conjugale et d’agression sexuelle, qui constituent la vaste majorité des affaires en instance devant les tribunaux du Timor oriental. Les victimes – majoritairement des femmes et des enfants – courent le risque d’être soumis à un traumatisme et à une victimisation supplémentaires s’ils sont appelés à se représenter à la barre dans le cadre de nouvelles procédures », selon Amnesty.