France Castro de l’ACT : « Le président Duterte a peur des mots "droits humains" »

France Castro de l'ACT : « Le président Duterte a peur des mots "droits humains" »

En arrière-plan, des manifestants marchent vers le Congrès à Manille, le 22 juillet 2019, pour dénoncer les tueries générées par les politiques anti-drogues du gouvernement philippin.

(Fredk/Education International-AP/Bullit Marquez)

Les violations des droits humains ne cessent de s’amplifier aux Philippines. Sous prétexte de vouloir réprimer la criminalité, le gouvernement s’attaque aux défenseurs des droits humains et syndicaux dans le but de faire taire toute critique. Depuis son lancement en 2016 par le président Duterte, la « chasse aux drogues » a donné lieu à plus de 29.000 exécutions extrajudiciaires. En cette journée internationale des Droits humains, ce 10 décembre, le mouvement syndical international mène une campagne pour soutenir les syndicalistes menacés aux Philippines.

La militante syndicale France Castro, ex-secrétaire générale du syndicat philippin de l’éducation ACT (Alliance of Concerned Teachers), actuellement élue au sein de la chambre des représentants, a reçu le Prix Arthur Svensson 2019 pour son engagement à défendre les droits des syndicats. Elle a rencontré Equal Times, une semaine avant que deux membres de l’ACT ont été la cible d’une attaque à main armée dans leur salle de classe par des hommes masqués, afin de témoigner justement des campagnes visant à discréditer les syndicalistes. Elle évoque aussi son combat pour défendre les droits des Lumads, une population indigène du Sud des Philippines.

L’indice CSI des droits dans le monde cite les Philippines comme l’un des 10 pires pays au monde pour les travailleurs et les travailleuses. Quelle est la réalité sur le terrain ?

Être syndicaliste aux Philippines à l’heure actuelle est dangereux, car le gouvernement du Président Duterte n’aime pas ceux qui luttent pour les droits humains, pour les droits syndicaux, qui s’opposent aux politiques menées par ce gouvernement contre le peuple. C’est pourquoi notre syndicat fait face actuellement à une persécution politique, à des campagnes ciblées.
Des membres des forces de l’ordre sont allés d’école en école pour demander qui était membre de l’ACT. C’est une action qui viole la vie privée de nos membres, mais cela affecte aussi notre liberté syndicale. Nos membres sont effrayés et dans certaines régions, ils se désaffilient de notre syndicat.
Nos membres et dirigeants sont aussi victimes de menaces, parfois de menaces de mort. Récemment, le président de notre syndicat dans la région 5 (Bicol) a reçu une enveloppe contenant son profil et les profils des membres de sa famille. C’est une forme d’intimidation.

De nombreux membres de votre syndicat sont victimes d’« étiquetage rouge » [« red tagging », en anglais, pratique qui vise à ternir la réputation d’une personne et à la décourager de se syndiquer, de faire valoir ses droits et de critiquer les politiques gouvernementales, nda] Quelles en sont les conséquences ?

Aux Philippines, lorsqu’une organisation ou un individu est étiqueté de « rouge », cela signifie qu’il est lié aux soutiens de groupes terroristes, même si c’est totalement faux. Dès ce moment, la police, les militaires et les paramilitaires et d’autres groupes de pression vous désignent comme cible.
C’est ce qui arrive non seulement à des membres de mon syndicat, aux organisations progressistes, mais aux autres groupes d’opposition, aux médias, à des groupes de défense des femmes, de pauvres, etc.

Comment votre syndicat lutte-t-il contre la propagande et les abus ?

Nous dénonçons le ciblage de nos membres à travers des conférences de presse, des communiqués, nous déposons des plaintes en justice. Nous éduquons de manière continue nos membres au sujet des fausses nouvelles, des campagnes dont nous sommes victimes. Nous dénonçons les cas de harcèlement, nous enquêtons avec d’autres collègues parlementaires sur les violations des droits humains.

Le soutien des organisations internationales nous aide aussi énormément. Le gouvernement Duterte sait que nos membres et dirigeants sont protégés par la solidarité internationale. Les récompenses internationales que j’ai reçues, comme le prix Arthur Svensson et le prix Febe Velasquez, nous donnent une forme de protection et de confiance, ils montrent que ce que nous faisons en tant que syndicalistes est juste. J’espère que ça inspirera d’autres femmes syndicalistes à lutter au sein de leurs organisations, à demeurer affiliées à leurs syndicats.

Nos membres ne devraient pas avoir peur, ils doivent continuer à lutter pour leurs droits : la solidarité internationale va nous protéger tant que nous poursuivons notre engagement syndical.

Vous vous êtes également opposée au gouvernement pour soutenir les droits à l’éducation des populations indigènes, pourquoi cet engagement ?

Nous soutenons les plus défavorisés et les plus marginalisés. C’est le cas des Lumads, un peuple indigène qui vit dans le sud des Philippines. Depuis des temps immémoriaux, ils luttent pour leurs terres et le droit à l’autodétermination, ils ne bénéficient que de très peu de services sociaux, car ils vivent loin des villes. Leurs terres sont menacées par des entreprises minières et d’agro-business, elles sont militarisées, le gouvernement fait tout pour que les Lumads aillent vivre en ville. Comme le gouvernement a négligé leur droit à l’éducation, ils ont construit des écoles lumads, avec l’aide d’ONG et d’enseignants volontaires.

Nous les avons aidés en ce qui concerne le programme scolaire, les fournitures scolaires, la formation des enseignants. Le gouvernement Duterte nous en veut pour ce soutien car à ses yeux, les Lumads qui résistent contre le contrôle de leurs territoires sont des rebelles, des terroristes, et si nous les aidons, nous sommes accusés d’aider des terroristes.

En novembre 2018, à l’invitation des Lumads, j’ai participé à une mission nationale dans leur région, car leurs écoles avaient été fermées. Il y avait des barrages routiers dans la zone mis en place par les autorités. Les Lumads pensaient que comme je suis parlementaire, les militaires et les policiers me laisseraient passer, mais au contraire, mon véhicule a essuyé des tirs, des jets de pierre. Mes compagnons et moi avons été détenus arbitrairement sur base de fausses accusations durant 18 heures par la police.

Votre syndicat a-t-il adopté une position concernant les exécutions extra-judiciaires menées par les autorités ?

L’administration du Président Duterte a entamé sa guerre sanglante contre la drogue en 2016, elle a débouché sur les assassinats de milliers de personnes en toute impunité. Nous avons dénoncé fermement cette politique dès le début, ce qui a rendu le président hors de lui. Il refuse que quiconque s’oppose à quoi qu’il fasse et a peur des mots « droits humains ».