Fuyant une violente insurrection djihadiste, des Mozambicains trouvent refuge au Malawi

Fuyant une violente insurrection djihadiste, des Mozambicains trouvent refuge au Malawi

Fleeing the atrocities of the jihadists in the Cabo Delgado region, a Mozambican mother, Chrissy Ngundumu, found refuge with her family in a village in southern Malawi on 2 March 2022.

(Paul Boyer/Rémi Carton)

Sur une étroite piste en terre, la moto 125 cc rouge de Nassim roule à vive allure. Le chauffeur connaît par cœur cette petite route, qui relie la ville de Chiponde au Malawi et celle de Mandimba au Mozambique. Au moins huit fois par jour, il fait la navette entre les deux postes-frontières. « La plupart des gens qui sont près de cette frontière sont des Mozambicains qui fuient la guerre », assure le chauffeur de taxi-moto entre deux allers-retours.

Depuis que des conflits agitent le nord du Mozambique, cette frontière est le principal point de passage des populations civiles qui quittent leur pays pour le Malawi. Afin de fuir les combats, une famille de 17 personnes est passée par ici le 23 décembre 2021, avant de trouver refuge dans le petit village de Matiti, situé à une dizaine de kilomètres de la frontière.

Originaires du district de Lichinga, ils ont fui les combats qui se sont étendus de la région de Cabo Delgado, au nord-est du pays, vers l’ouest du pays. Depuis octobre 2017, ce conflit oppose les insurgés djihadistes du mouvement Ansar al-Sunnah, connu localement sous le nom de « al-Shabab », au gouvernement mozambicain. Les insurgés veulent faire appliquer la Charia, la loi islamique. Ses membres rejettent l’autorité de l’État, les écoles et le système de santé. Selon différentes organisations humanitaires, en 2022, il y a déjà eu plus de 3.500 morts depuis le début du conflit, 600 femmes kidnappées et au moins 800.000 personnes déplacées. Les témoignages font état d’exactions, de décapitations et de crimes sexuels.

« Ce que j’ai vu est effrayant »

Le doyen de la famille de 86 ans, Namanya Anderson, explique que l’unique raison de leur départ est le conflit qui a lieu dans leur région d’origine. Face à cela, la famille avec plusieurs enfants en bas âge n’a qu’une seule idée en tête, partir. « Dans les villages voisins, les combattants d’Al-Shabab coupaient la tête des gens sans raison. Ces boucheries ont eu lieu à cinq ou dix kilomètres de chez nous, nous devions partir », lance l’ancien aux cheveux grisonnants, devenu grand-père de plusieurs petits-enfants.

Chrissy Ngundumu, vêtue d’une tunique bleue et parée de bijoux, affirme quant à elle avoir échappé de peu au viol. « Ce que j’ai vu est effrayant », souffle-t-elle, « les combattants ont arraché les vêtements des femmes et les ont fait courir nues dehors ». Sa plus jeune fille lovée dans un pagne sur son dos, elle explique qu’aucun de ses huit enfants ni de ses quatre petits-enfants ne retournera au Mozambique. Elle espère profondément qu’ils soient scolarisés au Malawi, mais c’est impossible pour le moment sans papiers d’identité.

Un peu plus loin, un jeune couple de cette même famille revient sur une traversée aux allures d’exode spectaculaire. Aeness Awali, jeune mozambicaine de 24 ans, raconte les innombrables changements de moyens de transport et l’absence de nourriture.

« Les enfants criaient tout le temps car ils avaient faim. Des gens riaient et se moquaient de nous sur le trajet », confesse la jeune maman, le regard austère.

Son mari, January Anderson, était fermier et a refusé de prendre les armes contre les insurgés. « Je ne sais pas me servir d’une arme. Aujourd’hui, j’aide dans cette ferme comme je peux », lance-t-il en désignant un champ de maïs. Aucun des membres de cette famille ne croit aujourd’hui en un apaisement des tensions dans la région de Cabo Delgado. En attente d’être régularisés au Malawi, ils ont pu obtenir le statut de « réfugiés de guerre » au poste-frontière de Chiponde.

Aujourd’hui, les Mozambicains présents dans le pays sont quasi-absents des décomptes officiels (86.427 réfugiés au Malawi selon l’UNHCR en 2022). « La capacité de recensement est très problématique », souligne Regio Conrado, doctorant en science politique et enseignant à Sciences Po Bordeaux. « Dans le cas des réfugiés au Malawi, la situation est globalement oubliée car il y a une habitude des réfugiés au Malawi depuis la guerre ».

Lors de la guerre civile qui a déchiré le Mozambique, entre 1977 et 1992, des centaines de milliers de personnes avaient pris le chemin du Malawi. Aujourd’hui encore, traverser la poreuse frontière qui sépare les deux pays reste l’une des meilleures manières de fuir les exactions qui ont lieu à Cabo Delgado.

Selon Éric Morier-Genoud, historien spécialiste du Mozambique, ces réfugiés ne peuvent plus aller en Tanzanie, pays situé au nord du Mozambique. « Ils sont attrapés par le gouvernement et mis dans des bus pour retourner au Mozambique », précise-t-il. Depuis cette interdiction de la part du gouvernement tanzanien, la plupart des Mozambicains se réfugient au Malawi. « Il y aura sûrement des grands camps d’ici quelques mois », indique l’historien.

Guérilla et enfants-soldats

La province de Cabo Delgado, l’une des plus pauvres du Mozambique, est peuplée de 2,3 millions d’habitants, dont 58 % de musulmans. Les djihadistes recrutent de nombreux combattants dans cette zone, où il existe un fort sentiment de marginalisation chez ces populations. Le mouvement Al-Shabab, à l’origine de ces exactions, s’est militarisé au Mozambique dès 2016. L’insurrection a réellement débuté en 2017, et a progressivement basculé dans la guérilla.

En juin 2019, l’État islamique revendique ses premières attaques au Mozambique. Un mois plus tard, Al-Shabab prête allégeance à l’EI. Le 24 mars 2021, l’attaque et lahttps://www.franceinter.fr/emission...prise du port de Palma par les djihadistes a causé la mort de 55 personnes et a fragilisé les troupes militaires du président mozambicain Filipe Nyusi. Récemment, le 16 mars 2022, les insurgés ont revendiqué une attaque sur l’île de Matemo, à l’est du pays, causant la mort de sept militaires.

Depuis plusieurs mois, les djihadistes se replient dans les forêts de Cabo Delgado et de Mecula, terrains qu’ils connaissent parfaitement, où ils peuvent former des centaines d’enfants soldats dans des camps d’entraînement.

En effet, « parmi les préceptes du djihadisme, après la puberté, un adolescent peut participer aux combats et prendre les armes », précise Wassim Nasr, spécialiste des mouvements djihadistes. De plus, la continuité des combats empêche les civils mozambicains de retourner chez eux pour plusieurs raisons. La première est qu’il est impossible de revenir tant que les insurgés terrorisent toujours la population. La seconde, selon Wassim Nasr, « est qu’en cas de retour, certains civils seraient assimilés à des djihadistes par le gouvernement mozambicain. »

Face à cette montée de l’insurrection, le gouvernement a signé un accord bilatéral avec le Rwanda en juillet 2021, qui confirme l’envoi d’un millier de soldats rwandais par Kigali dans la province de Cabo Delgado pour se battre face aux djihadistes. Le déploiement s’est effectué notamment dans les districts de Palma et de Mocimboa de Praia. Cette intervention extérieure renforce la position du président rwandais Paul Kagame en Afrique australe. Celui-ci donne l’impression d’un semblant de maîtrise de la situation mais dans les faits les combats continuent. Selon Régio Conrado, le Rwanda est « dans une perspective de vente de son modèle en Afrique australe. Le but est d’éliminer les dangers externes dans la région et de s’étendre politiquement », confie ce spécialiste qui était encore sur le terrain à Cabo Delgado en 2021.

Intérêts économiques

La présence rwandaise à Cabo Delgado s’explique aussi par la richesse des sols de la région, l’une des plus importantes réserves de gaz au monde, convoitées par les géants internationaux du secteur comme l’italien ENI et l’américain Exxon. Le 24 mars 2021, suite à l’attaque terroriste sur la ville de Palma, le groupe français TotalEnergies a suspendu son plus grand projet en cours. Depuis l’intervention militaire dans la région, la reprise des forages est envisagée, pour une exploitation prévue en 2026.

« Reprendre les villes côtières, notamment Palma, aux djihadistes permet aux investisseurs étrangers de mettre en œuvre ce qu’ils avaient commencé », explique Thierry Vircoulon, coordinateur de l’Observatoire de l’Afrique centrale et australe de l’Institut français des relations internationales (Ifri). « C’est un projet d’exploitation offshore du gaz mais qui nécessite quand même de sécuriser la côte ». Ce retour des capitaux étrangers n’est pas de bon augure pour les populations civiles qui ont fui la menace terroriste. « Le risque est de voir apparaître des îlots de sécurité autour des projets gaziers, avec la guérilla qui continue autour », alerte Éric Morier-Genoud.

S’il accueille les réfugiés, le Malawi ne participe pas à l’effort militaire à Cabo Delgado. « C’est un micro-État qui a une très petite armée et une faible capacité sécuritaire », précise Thierry Vircoulon. « Le mieux qu’il puisse faire est de contrôler les frontières car les djihadistes peuvent les franchir ». Le risque de propagation de l’insurrection islamiste est réel selon Éric Morier-Genoud : « Il y a quelques années, les mouvances sectaires qui ont incité à l’insurrection étaient aussi influentes dans les régions de Nampula et Niassa, jusqu’à la frontière du Malawi. »

Devant leur refuge malawite, Namanya Anderson et sa famille ont installé une petite casserole sur un réchaud. « C’est pour ça que d’autres membres du groupe ne sont pas là », indique le doyen. « Ils sont allés faire des petits travaux pour acheter un peu de nourriture ». Assis en tailleur, il observe sereinement les enfants qui jouent dans la cour. Malgré les conditions de vie difficiles, il sait ce qu’il a sauvé en quittant Lichinga.

This article has been translated from French.