Haro sur les droits dans l’offensive turque contre le terrorisme

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Toujours sous le coup de l’attentat meurtrier survenu dans une ville à majorité kurde proche de la frontière syrienne, les Kurdes de Turquie se considèrent une fois de plus pris en cible - cette fois par les mesures de riposte antiterroristes engagées par leur propre gouvernement.

Depuis l’attentat suicide du 20 juillet attribué à l’État islamique, qui a coûté la vie à 31 militants kurdes et turcs dans la ville de Suruç, la Turquie a arrêté des centaines de personnes et bloqué des dizaines de sites web et de comptes Twitter.

« Plus de 1300 personnes ont été détenues, parmi elles près de 900 de nos membres et militants ; c’est une sorte de guerre psychologique à laquelle ils se livrent contre nous », dit Nazmı Gür, ancien député du Parti démocratique des peuples (HDP) dans la ville de Van, dans l’est de la Turquie.

En juin, l’organisation est entrée dans l’histoire en devenant le premier parti à racines kurdes à dépasser le seuil minimum élevé de 10% requis pour la représentation parlementaire. Auparavant, des membres du HDP comme Gür avaient dû poser des candidatures indépendantes pour contourner ce seuil.

Les chiffres officiels du gouvernement corroborent les déclarations de Gür selon lesquelles plus de Kurdes que de militants de l’État islamique ont été placés en garde à vue - 847 contre 137 respectivement, selon le vice-premier ministre Bülent Arınç. Ankara maintient que les détenus sont des partisans du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), engagé dans un conflit armé de plusieurs décennies avec l’État turc.

À la suite de nouvelles attaques du PKK contre les forces de sécurité turques, Ankara lance depuis une semaine des frappes aériennes contre l’État islamique en Syrie et contre le PKK en Irak.

« La Turquie ne peut rester passive pendant que des militants kurdes, communistes et de l’État islamique la prennent en cible », a proclamé le Premier ministre Ahmet Davutoğlu lorsque les frappes aériennes ont été lancées. « Nous prendrons les mesures qui s’imposent contre quiconque menacera nos frontières. »

Malgré la volonté affichée du HDP sous la coprésidence de Selahattin Demirtaş de prendre ses distances par rapport au PKK, les deux organisations partagent des bases communes de soutien parmi les Kurdes de Turquie. Les militants kurdes ont fréquemment été poursuivis pour des chefs de terrorisme généralement considérés comme étant politiquement motivés.

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a accusé Demirtaş en personne de maintenir des sympathies avec le PKK et a appelé le parlement turc à lever l’immunité parlementaire des députés du HDP. « Vous continuez à collaborer avec l’organisation terroriste alors vous en payerez le prix », a dit le président.

Deux jours plus tard, le parquet général de la Turquie a engagé une procédure contre Demirtaş, accusant ce dernier d’avoir incité les Kurdes à descendre dans la rue dans le cadre des manifestations de l’automne dernier, à l’issue desquelles plusieurs personnes ont perdu la vie. Une enquête a été lancée par la suite contre l’autre codirigeant du HDP, Figen Yüksekdağ, sur des chefs de propagande terroriste.

De telles démarches entrainent un « risque de voir resurgir ce que nous avons vu par le passé en termes de poursuites iniques ciblées contre des militants et des politiciens kurdes et autres et de persécutions contre des personnes pour leurs seules convictions politiques », d’après Andrew Gardner, chercheur spécialiste de la Turquie auprès d’Amnesty International.

Les démarches initialement engagées par le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, qui prévoyaient des réformes positives en faveur des droits des kurdes et d’autres minorités ont, selon lui, été suivies de « développements extrêmement négatifs et l’entrée en vigueur de lois plus répressives ».

Celles-ci incluent de nouvelles restrictions sur l’Internet, ainsi qu’une nouvelle loi sur la sécurité intérieure fort controversée, adoptée par le parlement au printemps dernier qui, d’après Gardner, « ont paré d’un voile de légitimité des pratiques pernicieuses qui existaient déjà, y compris les arrestations arbitraires et le recours à la force létale par la police ».

La répression contre les Kurdes envoie également un signal clairement dissuasif aux autres opposants politiques de l’AKP.

« Le message que nous avons vu s’affirmer depuis Gezi [manifestations de l’été 2013] est que l’AKP et Erdoğan ne sont prêts à tolérer la dissidence sous aucune forme, indépendamment de si elle s’exprime par la voie démocratique ou non », indique Gareth Jenkins, expert sur la Turquie et chercheur supérieur dans le cadre du programme d’études Silk Road Studies.

« D’autres opposants en marge du mouvement kurde ne manqueront pas de prendre également note de ces nouvelles mesures », signale Jenkins.

Toujours selon Jenkins, les nouvelles pressions contre le HDP servent aussi à intimer aux Kurdes que les appels antérieurs à la recherche d’une solution aux conflits par la participation à la démocratie parlementaire au lieu de l’engagement armé n’étaient « pas sincères ». Le parti continue, cependant, d’affirmer sa foi inébranlable dans le processus démocratique.

« Dans un pays démocratique, tous les partis sont tenus de respecter les résultats des suffrages », a déclaré l’ancien député du HDP, Nazmi Gür. « C’est précisément ce que nous avait dit M. Davutoğlu avant les élections du 7 juin — que vous atteignez [le seuil de 10%] ou pas, vous devez respecter les résultats - et nous avions ouvertement déclaré que nous le ferions.

« À présent, nous attendons de l’AKP et de M. Erdoğan qu’ils respectent les résultats de cette élection, au même titre que les 60 sièges [parlementaires] du HDP et les 6 millions d’électeurs qui ont voté pour nous. »

 

Cet article a été traduit de l’anglais.