Il est grand temps de sensibiliser le monde du travail aux menstruations

En 2018, l’organisation suédoise MENSEN – forum för menstruation a obtenu de l’Agence suédoise pour l’égalité un financement pour un projet d’un an sur le thème des menstruations depuis la perspective du travail. Au travers de ce projet pilote qu’elle mène en collaboration avec une entreprise de Göteborg, MENSEN cherche à établir une « certification menstruelle » d’entreprise.

Concrètement, cela signifie sensibiliser les employeurs et les employés aux menstruations depuis une perspective physiologique et sociologique et explorer en commun les meilleures approches pour créer un environnement de travail sensible aux menstruations. Le projet a pris cours il y a quatre mois seulement, mais il apparaît déjà clairement que la certification menstruelle répondra aux besoins de nombreuses travailleuses menstruées ou souffrant de complications liées à leur cycle menstruel.

Les règles, bien qu’elles constituent une fonction corporelle normale, restent entourées de tabous et de préjugés dans nombre de pays et contextes. On songe notamment à la « précarité menstruelle » en Grande-Bretagne et dans bien d’autres pays, à l’injustice de la « taxe tampon » (les protections hygiéniques assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée, alors que d’autres produits considérés de première nécessité en sont exempts), à l’absentéisme résultant des règles, voire à la pratique du chaupadi (le bannissement des femmes dans des huttes d’isolement durant leur période menstruelle) dans l’ouest du Népal.

Les milieux universitaires ont évoqué une stigmatisation cachée associée aux menstruations, qui tient au tabou qui entoure la communication sur cette question. Ainsi, les menstruations sont généralement passées sous silence et les femmes menstruées prennent leurs dispositions pour physiquement dissimuler leurs règles.

Cette situation ne date pas d’aujourd’hui. À l’époque de Pline l’Ancien (23-79) déjà, les femmes réglées étaient décrites comme un danger pour leur entourage – une idée qui n’a pas tardé à être consignée dans les encyclopédies et répandue aux quatre vents, sous diverses formes, au fil des siècles.

Au début du 18e siècle, les menstruations, et l’idée selon laquelle les femmes étaient esclaves de leurs hormones et donc peu fiables, ont servi de prétexte pour tenir les femmes à l’écart du marché du travail.

Si les obstacles qui empêchaient autrefois les femmes et les personnes transgenres menstruées d’accéder au marché du travail ont généralement été vaincus, les discours misogynes persistent.

Sondage en ligne

Un récent sondage d’opinion en ligne réalisé par MENSEN a montré que dans le marché du travail suédois, les personnes menstruées et celles souffrant de règles difficiles continuaient d’être affectées de diverses façons par les préjugés, les tabous et des normes adverses.

Sur 800 personnes interrogées, 96,3 % ont répondu avoir ou avoir eu des problèmes associés à leurs menstruations et 57,5 % ont admis que leur cycle menstruel affectait leur travail – 42,8 % souhaitaient en conséquence que leur travail soit adapté à leur cycle.

En tout état de cause, peu de lieux de travail sont adaptés aux besoins des personnes menstruées. Seules 25,4 % des personnes interrogées ont affirmé pouvoir se reposer au besoin pendant une journée normale de travail. Quant aux personnes dont le lieu de travail physique varie, comme les conductrices de bus ou les personnes travaillant à l’extérieur, l’accès limité aux toilettes figure parmi les principaux obstacles pendant les jours de règles.

Même quand il y a des toilettes, les employées n’y ont pas toujours accès, en raison de la charge de travail ou du manque de personnel. Il en va de même en ce qui concerne la possibilité de disposer d’un bref temps de repos au cours de la journée de travail.

Cette situation affecte directement les personnes concernées, qui peuvent se voir obligées de s’absenter du travail et donc de perdre une partie de leur revenu, avec les répercussions que cela suppose en termes de productivité de l’organisation.

Le sondage et les entretiens réalisés sur le lieu de travail pilote soulèvent une série de questions concernant non seulement les dispositions physiques et organisationnelles, mais aussi le climat social au travail.

Ainsi, des employées ont signalé avoir fait l’objet de remarques vexatoires de la part de leurs supérieurs alors qu’elles souffraient de douleurs menstruelles, et de plaisanteries condescendantes au sujet du trouble dysphorique prémenstruel (TDPM), une forme plus sévère du syndrome prémenstruel.

Dans les entreprises à main-d’œuvre majoritairement masculine, sans expérience des menstruations, il est évidemment difficile pour les personnes menstruées de s’ouvrir de leur situation – en raison de la composition hommes-femmes du lieu de travail, mais aussi des sentiments de honte refoulés chez les personnes menstruées elles-mêmes.

Une approche holistique

Il est nécessaire d’aborder la question de manière holistique et de formuler des solutions fondées sur l’expérience. Aussi, la connaissance est-elle une forme de pouvoir et la solution réside en partie dans l’éducation menstruelle sur les lieux de travail. Les menstruations sont une fonction corporelle normale et non une maladie.

Pourtant, elles s’accompagnent fréquemment de symptômes tels que maux de ventre, mal-être général, crampes ou ménorragies. Le fait d’être mal ou insuffisamment informées au sujet des menstruations pourrait faire que des personnes réglées ne prennent pas leur état suffisamment au sérieux et s’abstiennent de demander de l’aide à leur employeur ou de recourir aux services médicaux lorsque cela s’avère nécessaire. Grâce à l’éducation menstruelle, les gérants et les collègues seront plus susceptibles de se montrer compréhensifs à l’égard des absences dues aux menstruations.

D’autre part, comme on a pu observer dans l’entreprise pilote, malgré les problèmes associés aux menstruations, l’agencement des tâches en fonction du cycle menstruel peut contribuer à des taux de présence et de productivité élevés, dans la mesure où l’environnement de travail de la personne menstruée est amélioré. La direction doit s’assurer que tout le monde adhère à cette idée et réalise que les menstruations n’affectent pas les compétences d’une personne.

Le concept de certification menstruelle n’est pas nécessairement un appel en faveur de politiques menstruelles européennes ou même nationales en réponse aux besoins des femmes et des personnes transgenres menstruées dans le monde du travail.

Chaque lieu de travail est différent, de même que chaque solution est différente. En Suède, le code du travail garantit le droit des travailleurs au congé maladie indemnisé – qui pourrait être utilisé pour des questions liées aux menstruations –, et la loi suédoise sur l’environnement du travail établit que l’employeur est responsable de l’environnement de travail. Les employeurs sont aussi soumis à l’obligation d’œuvrer proactivement contre la discrimination. Les menstruations pourraient dès lors être interprétées comme une dimension parmi tant d’autres dont l’employeur devra tenir compte, au même titre que les préjugés à l’égard de la grossesse.

Pourtant, même si le cadre législatif est favorable, les employeurs tiennent rarement compte des menstruations dans leur gestion quotidienne. Pour en revenir à la stigmatisation cachée des menstruations et au tabou autour des communications, la clé semble se trouver dans l’information.

Le projet, à ce stade, est centré sur le lieu de travail. Par le biais de la certification menstruelle, MENSEN cherche à attirer l’attention sur la menstruation comme une dimension parmi tant d’autres de l’environnement physique, organisationnel et social du lieu de travail. Ce savoir doit permettre aux employeurs, à titre individuel, de créer un lieu de travail sensible aux menstruations.

Pas de panacée

Dans une perspective plus large, les politiciens et les syndicats sont invités à participer aux discussions. L’éducation menstruelle doit être mise en œuvre dans le cadre des conventions collectives et de toute autre documentation se rapportant aux droits des travailleurs. Cependant, il n’existe pas de solution unique applicable à tous les contextes.

Toutes les personnes menstruées sont différentes, de même que toutes les entreprises en Europe et ailleurs sont différentes. MENSEN ne plaide pas pour une politique générale de congé menstruel, comme c’est le cas dans certains pays.

Une solution plus propice et plus complexe à nos yeux consisterait à faire des menstruations un enjeu explicitement lié au travail. Il s’agit de l’énoncer noir sur blanc – dans le discours quotidien ainsi que dans les textes de loi et les accords relatifs aux droits des travailleurs – en se fondant sur le principe que les menstruations sont une fonction corporelle qui affecte différentes personnes de différentes façons.

Là où certaines entreprises pourraient adopter une politique menstruelle locale – comme celle mise en œuvre avec d’excellents résultats par l’organisation britannique CoExist – pour d’autres, la meilleure approche pourrait consister à incorporer les perspectives des personnes menstruées dans leurs procédures existantes concernant le travail et l’environnement.

La leçon la plus importante, en définitive, est qu’il est grand temps de sensibiliser le monde du travail aux menstruations. Et que nous sommes toutes et tous parties prenantes de ce changement.

Cet article a été traduit de l'anglais.