Inde: de la misère à la richesse grâce aux syndicats

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En 1993, alors que le Premier ministre Narendra Modi n’était qu’un débutant de province et que le réchauffement planétaire n’était pas encore entré dans le vocabulaire politique et social courant, un syndicat novateur de la ville de Pune, à l’ouest de l’Inde, a lancé une véritable révolution en matière d’environnement.

Au début, peu de monde croyait en cette révolution menée par des femmes et axée sur l’autonomisation des dalits, qui collectaient et recyclaientles déchets – la catégorie la plus inférieure qui soit dans le système de castes de la société indienne.

Mais aujourd’hui, l’Inde et ses autorités politiques commencent enfin à s’éveiller au travail précurseur du KKPKP – Kagad, Kach, Patra, Kashtakari Panchayat, ce qui signifie « Conseil des travailleurs du papier, du verre et du métal ».

Le premier geste politique de Modi après son triomphe aux élections de mai 2014 fut de lancer la campagne Swachh Bharat (Nettoyer l’Inde).

Après avoir réduit à néant le consensus politique dominé par le parti du Congrès suite à l’indépendance de l’Inde, l’action de Modi était peut-être aussi symbolique que pratique – une manifestation littérale du « bon coup de balai ».

Au cours des mois qui ont suivi son arrivée au pouvoir, une armée de centaines de milliers de partisans de Modi munis de balais se sont mis à nettoyer le pays.

Cependant, il y avait une ville qui n’avait pas besoin de leurs services : la métropole de Pune, dans l’État de Maharashtra, berceau du mouvement du KKPKP.

« Nous avons 11.000 membres syndicaux à Pune. Nous possédons déjà de nombreux balais. Nous n’avions pas besoin de tous ces balais envoyés par Delhi », reproche Shailajah Aralkar, une des porte-parole du syndicat qui se définit elle-même cadre du KKPKP.

« Il n’y a pas de dirigeants dans ce syndicat. Nous sommes tous travailleurs et cadres du syndicat », explique Shailajah, quadragénaire déterminée au tempérament explosif.
Deuxième plus grande ville de l’État de Maharashtra après Mumbai, Pune (prononcer Pounè) compte environ huit millions d’habitants.

Célèbre pour ses universités et ses ashrams (monastères) et jadis citadelle de la dynastie de Peshawar, qui a gouverné le Maharashtra avant la conquête de l’empire colonial britannique, il y aurait à Pune quelque 25.000 chiffonniers, ou kabadi wallahs, qui travaillent dans l’économie informelle du secteur des ordures.

Aujourd’hui, le syndicat comprend 11.000 membres et se compose de 90 % de femmes, de 95 % de dalits et de 5 % de musulmans. Le syndicat compte également parmi ses membres des tanneurs et des agents de service chargés du nettoyage des toilettes.

 
« Le meilleur de la force syndicale »

Le KKPKP fut le premier syndicat de collecteurs de détritus en Inde, et le mouvement s’est aujourd’hui étendu à l’ensemble du pays sous la forme de syndicats associés à Delhi, Mumbai, Chennai, Bangalore, Bhopal, Indore et Patna, entre autres villes.

« C’est un exemple de ce que la force syndicale et la syndicalisation peuvent apporter de meilleur », déclare Shailajah à Equal Times, en s’exprimant en anglais.

« L’exploitation a cessé en grande partie. Avant, on nous appelait ‘les voleurs’. Maintenant, les femmes ont retrouvé leurs droits ».

Une des premières campagnes mises au point par le KKPKP visait à éliminer le travail des enfants au sein des familles de travailleurs.

« À l’origine, il y avait beaucoup d’enfants qui travaillaient. Mais si vous voyez des enfants travailler aujourd’hui, je peux vous garantir que ce ne sont pas les enfants de nos membres », fait remarquer Shailaja.

« Les enfants de nos membres étaient à la rue, alors nous avons commencé à nous organiser pour qu’ils soient éduqués. Maintenant, de plus en plus d’enfants vont à l’école ».

Le syndicat s’est battu pour que les enfants des membres syndicaux aient droit à la cantine gratuite ainsi qu’à des cahiers et des manuels gratuits. Le syndicat propose également à ses membres des prêts à taux zéro de 20.000 INR (environ 300 USD) pour aider à payer l’inscription à l’université.

Le KKPKP a remporté d’autres victoires syndicales : en 1996, il avait insisté auprès de l’entreprise municipale de Pune afin d’obtenir des cartes d’identité officielles pour tous les membres du syndicat, ce qui a largement contribué à mettre fin à la discrimination exercée par la police et au harcèlement des travailleurs.

Par ailleurs, en 2004, les autorités municipales ont fini par consentir à prendre en charge les primes d’assurance maladie des travailleurs.

« Avant, on nous traitait comme si nous n’étions rien. Mais quand nous nous sommes syndiqués, les gens ont commencé à nous respecter », précise Anil Shirsad, un jeune homme de 27 ans qui collecte les détritus.

« Avant, si on fouillait dans les conteneurs à ordures, les policiers nous arrêtaient ou nous harcelaient. Souvent, ils nous faisaient vider nos sacs pour s’assurer qu’on ne transportait rien d’autre.

« Ils nous traitaient comme des voleurs alors que nous fournissions un service important. Parfois, ils nous obligeaient à leur donner de l’argent », ajoute Anil.

Avec sa femme de 25 ans, Nita, ils font partie des sept membres syndicaux qui travaillent pour la société de logement Ravi Raj, une résidence sécurisée de la banlieue de Pune.

Grâce au KKPKP, ils ont un contrat fixe en bonne et due forme pour assurer l’entretien des 285 appartements de la résidence Ravi Raj, ramasser les ordures de chaque foyer tous les jours (sauf le dimanche), composter les déchets organiques qui seront utilisés dans les jardins municipaux, trier et séparer tous les déchets restants pour le recyclage.

Chaque travailleur est payé 4300 INR par mois (environ 68 USD) et reçoit, en moyenne, 1200 INR supplémentaires par mois (19 USD) pour le recyclage.

« Nous sommes payés régulièrement, le 8 du mois », dit Nita en affichant une satisfaction paisible.

« Je n’avais jamais fait ce genre de travail et au début je trouvais que c’était très sale. Mais je m’y suis habituée et je suis contente de faire ce travail », ajoute la jeune femme, précédemment ouvrière agricole.

« Si quelqu’un se plaint, les chefs d’équipe interviennent et résolvent le problème. Ils protègent nos emplois. C’est très, très avantageux pour nous, les travailleurs ».

 
Développement du consumérisme

Sadthana Bhagwat, membre du comité de la société de logement Ravi Raj, souligne l’importance du syndicat : « Ces personnes sont indispensables. Elles éduquent les citoyens sur la nécessité et l’intérêt du recyclage et du tri des déchets ».

« En Inde, de plus en plus de gens entrent dans la société de consommation et, par conséquent, il y a de plus en plus de déchets de plastique ».

À une heure de bus à travers la ville, dans la banlieue de Pune, Pimpri, les travailleurs du KKPKP attendent la livraison de l’après-midi.

Plusieurs camionnettes se garent devant le centre de recyclage, appelé « scrap shop » (magasin de récupération).

De grands sacs en plastique sont déposés par terre et les travailleuses se mettent à examiner, trier, empiler et séparer les détritus de l’Inde moderne, « Shining India » telle qu’elle est surnommée.

Shailajah Aralkar est fière et pugnace. « Nous ne demandons pas au gouvernement de nous donner un emploi. Nous sommes des travailleurs indépendants. Nous protégeons l’environnement. C’est un travail vital », affirme-t-elle.

« Tout ce que vous voyez ici est recyclé. Partout en Inde, les personnes qui collectent les ordures font économiser des millions et des millions de roupies aux entreprises municipales. Rien qu’à Pune, ils font économiser chaque année 16 millions INR (2,5millions USD) à la municipalité.

« Nous nous battons pour tout, poursuit-elle. Dès que nos membres ont un problème, le syndicat est là. Nous sommes les plus compétents pour cela ».

L’activité syndicale du KKPKP a permis de passer de la misère à la richesse.

 
Cet article a été traduit de l’anglais.