Inondations au Pérou, en Colombie et en Équateur : Catastrophes naturelles ou incompétence de l’État ?

Inondations au Pérou, en Colombie et en Équateur : Catastrophes naturelles ou incompétence de l'État ?

Une fille erre pieds nus dans le quartier de San Miguel à la recherche des membres de sa famille, portés disparus, deux jours après l’avalanche de Mocoa, dans le sud de la Colombie.

(José Fajardo)

Dans la nuit du 31 mars 2017, 129,3 mm de pluie ont été enregistrés en à peine trois heures, ce qui en temps normaux équivaudrait à dix jours de précipitations dans cette région forestière du sud de la Colombie.

Au cours des quatre premiers mois de 2017, une quantité d’eau phénoménale s’est abattue sur le littoral nord du Pérou, conséquence du phénomène El Niño.

Pendant ce temps, sur les côtes sud de la province d’El Oro, en Équateur, les précipitations ont battu des records historiques, dû à la hausse de la température de l’eau de l’océan Pacifique.

La réponse des gouvernements de ces trois pays de la région andine d’Amérique latine ne s’est pas fait attendre. Les caméras de télévision furent dépêchées sur place et la communauté internationale s’est solidarisée. Pendant plusieurs semaines, des hashtags de soutien ont braqué l’attention sur les réseaux sociaux, un espace habituellement occupé par la corruption, la violence ou encore le football : #TodosConMocoa, #FuerzaPerú, #LluviaEnQuito.

De l’avis général, il s’agissait de catastrophes inévitables. Cependant, un des trois pays concernés est parvenu à contenir l’impact des pertes humaines et matérielles. Comment y est-il parvenu ?

Aujourd’hui, on peut être surpris d’entendre certaines déclarations de l’ancien leader équatorien Rafael Correa prononcées en août 2015. Déjà à l’époque, il était conscient du risque d’inondations : « Des pertes il y en aura toujours, mais il est possible de les minimiser. Tout est en place : Système d’aide, abris polyvalents, contrôle des inondations, canaux et assainissement ».

Ses homologues en Colombie et au Pérou, Juan Manuel Santos et Pedro Pablo Kuczynski respectivement, ont au contraire insisté sur le fait que de tels phénomènes climatiques étaient imprévisibles. Les conséquences de l’une et l’autre de ces approches sont évidentes.

Un avant et un après

Le séisme qui, le 16 avril 2016, a frappé la province de Manabí, sur le littoral nord-est de l’Équateur, a marqué un important précédent, conduisant à une remise en cause des politiques de prévention des risques environnementaux dans le pays. C’est du moins ce que pense Bernardo Ortiz, d’Ecociencia, une fondation scientifique équatorienne centrée sur la protection de la biodiversité. « Ce fut une tragédie extrêmement grave qui a marqué un avant et un après », dit-il.

Il explique que depuis lors, chaque municipalité d’Équateur est obligée par la loi d’entreprendre une analyse des risques de catastrophes environnementales. Le pays s’est converti en un exemple à suivre au niveau de la région pour ses bonnes pratiques en matière de prévention, de systèmes d’alerte, de réponse efficace et d’évacuation des victimes.

« Des progrès notables ont été accomplis au cours de l’année écoulée et d’importants investissements ont été faits dans les infrastructures comme les digues et les murs », a-t-il indiqué.

Pourquoi les deux pays voisins n’en font pas de même ? Dans un cas comme dans l’autre, la géographie (pays situés entre des cordillères et sujets à de fortes précipitations tropicales) a provoqué des catastrophes – entraînant des pertes humaines– dont certaines récentes : En 2015, une avalanche provoquée par des précipitations torrentielles similaires à celles qui se sont abattues sur Mocoa, a fait des dizaines de morts à Salgar, municipalité de l’intérieur de la Colombie. Au Pérou, le tremblement de terre de 2007 a eu des effets dévastateurs dans les régions de Pisco et Chincha, ravageant toute la région du littoral central du pays.

Le président péruvien Pedro Pablo Kuczynski, celui-là même qui, il y a peu, reconnaissait ne pas être en mesure de déclarer l’État d’urgence suite aux dégâts causés par les pluies torrentielles, et ce dû à la corruption galopante qui gangrène le pays, a fait l’éloge du dispositif de prévention des risques de catastrophes en Équateur mais n’estime, cependant, pas qu’il soit nécessaire de suivre son modèle, du moins pour l’heure.

« Ce matin, j’ai pu voir ce qui a été fait en Équateur. Évidemment, c’est un pays où il pleut toute l’année, pas ici. Mais je crois que ce sont de bons exemples qu’il faut suivre », a-t-il déclaré.

La douleur pour la disparition d’un proche ou le désespoir face à la destruction de son logement ne peuvent être mesurés avec des chiffres. Dans ce cas, toutefois, les chiffres sont à ce point accablants qu’ils exigent des responsabilités.

À Mocoa, le gouvernement a confirmé que 332 personnes sont mortes et 7600 familles ont été sinistrées. À la fin mai, au Pérou, les bilans des inondations faisaient état de 147 morts et de plus d’un million de sinistrés. Les derniers bilans en Équateur faisaient état de 40 morts.

Comme explique Diego Rubio, conseiller expert en ressources hydriques travaillant pour le compte du gouvernement colombien, à Mocoa, « trois mauvaises décisions du passé » se sont combinées : Une gestion territoriale défaillante (établissements incontrôlés à flanc de montagne et à proximité des embouchures de fleuves et de ruisseaux), la déforestation (l’érosion du sol provoque l’instabilité) et l’absence d’un système d’alertes précoces.

Si les causes sont connues et s’il est possible d’identifier les zones de risque, pourquoi ne fait-on rien ? C’est la question que s’est posée lors d’un entretien avec Equal Times Roddy Mari Bermejo, à Mocoa, deux jours après l’avalanche. Cette femme avait perdu sa maison, située à quelques mètres à peine de la rivière Sangoyaco, qui traverse la localité. « Il y a plus de deux ans, j’ai déposé une plainte auprès de Corpoamazonia [institution publique régionale chargée de l’environnement]. Nous savions déjà qu’il était dangereux de vivre ici. Qui va payer pour tout ça ? », dit-elle, la voix entrecoupée de sanglots.

À la croissance incontrôlée des villes au Pérou est venue s’ajouter l’incompétence d’un État défaillant, dénonce Jack Lo, journaliste spécialisé dans les thématiques environnementales. Il pointe aussi du doigt la corruption, les détournements de fonds et une bureaucratie infranchissable qui retarde tout. « Cette année, le problème a, pour la première fois, donné lieu à un débat national. Pendant que les pluies battaient leur plein, Lima, la capitale, est restée plusieurs jours sans eau. C’est ce qui a amené l’opinion publique à se poser certaines questions. »

Où sont donc passées les belles promesses ?

Plusieurs mois après l’avalanche de Mocoa, des familles continuent de dormir sous les décombres et dans les caniveaux, selon Álvaro Cruz, vice-président de l’OZIP, organisation indigène qui s’est portée au secours de quelques 600 personnes affectées. « Nous sommes extrêmement contrariés par le gouvernement et il y a même eu des marches de protestation. Le président affirme que tout est revenu à la normale mais c’est un mensonge. »

« Nous allons construire une Mocoa meilleure », avait promis Santos peu après l’avalanche.

Des paroles qui jusqu’ici, n’ont rien inspiré de plus à Edwin Ñáñez que colère et douleur. Cet homme a perdu son épouse et ses deux enfants. Les corps lui furent délivrés par le département médico-légal le 2 avril. Un mois plus tard, ils sont venus lui reprendre l’un d’eux : Les preuves ADN indiquaient que le corps appartenait à une autre famille. « Ils avaient mélangé les documents. Je cherche toujours ma fille, elle n’a que quatre ans. J’ignore si elle est morte. Cela m’a causé un dommage moral indicible, or ils n’ont même pas daigné m’offrir une aide psychologique », a-t-il confié dans un entretien avec Equal Times au début du mois du juin.

Pour l’heure, personne n’assume la responsabilité d’une gestion désastreuse. Diego Rubio explique qu’en vertu de la Loi 1523 de 2012, en Colombie, c’est sur les municipalités que retombe la responsabilité ultime de ces tragédies attendu que ce sont elles et non le gouvernement qui réglementent l’utilisation des sols publics. Le procureur général a ouvert une enquête pour déterminer si les autorités de Mocoa auraient pu faire davantage pour empêcher le drame.

« Au Pérou, le peuple a cessé de faire confiance aux politiques, et je m’inclus dans cette catégorie : Tant que des dispositions concrètes ne seront prises, je ne les croirai pas, parce que jusqu’à présent ils n’ont fait que démontrer leur incompétence », affirme Jack Lo.

Pendant ce temps, en Équateur, on voit naître la crainte que le nouveau gouvernement de Lenin Moreno ne réduise les budgets affectés à la gestion des catastrophes. « Tout n’a pas été positif sous Rafael Correa », affirme la journaliste Daniela Aguilar, qui a publié une étude sur les progrès environnementaux intervenus en Équateur au cours de la dernière décennie, où elle dénonce l’augmentation de l’extraction minière et l’essor des compagnies pétrolières.

Dans les trois pays affectés, il est déjà question des coûts des réparations (estimés à 9 milliards de dollars en cinq ans, selon le président péruvien) et les dons internationaux suscitent un accueil favorable. Cependant, les victimes, elles, veulent du concret : « Nous vivons un calme passager, dans l’attente que quelqu’un nous rende nos maisons. Ce que nous voulons c’est retrouver notre vie », déclare Edwin Ñáñez.

Cet article a été traduit de l'espagnol.