L’âgisme serait-il devenu la forme la plus acceptable de violation des droits humains ?

Qui donc aime à s’imaginer en personne âgée ? Personne n’aime penser au vieillissement. Car quand nous le faisons, la plupart d’entre nous avons tendance à invoquer des stéréotypes négatifs concernant le troisième âge. Est-ce parce que nous ne tenons pas à ce qu’on nous rappelle notre propre vieillissement que nous tendons à étiqueter les personnes plus âgées comme appartenant à un groupe d’âge distinct, nous livrant ainsi à un processus d’ « altérisation » ?

Au milieu d’un tel déni ambient, il n’est guère surprenant d’observer l’incapacité relative de nos sociétés à s’attaquer aux inégalités liées au vieillissement. Plus encore, nos préjugés et notre peur de vieillir nous empêchent de reconnaître l’inégalité de traitement fondée sur l’âge comme une forme de discrimination.

D’après un rapport de 2017 de l’ONU sur le vieillissement : « Bien que la Déclaration universelle des droits de l’homme proclame que tous les êtres humains naissent libres et égaux, il est évident que la jouissance de ces droits diminue avec l’âge, dû à la perception négative que les personnes âgées sont, d’une certaine manière, moins productives et moins utiles à la société et représentent une charge pour l’économie et les nouvelles générations. »

L’âgisme est omniprésent, il est ancré au cœur de nos cultures, de nos institutions et de nos politiques. Nous le trouvons tout autour de nous : dans les publicités pour les soins « anti-âge », dans les blagues qui présentent la mort des personnes âgées comme une solution à la crise, ou encore dans les productions culturelles qui dépeignent le vieillissement comme synonyme d’étourderie, de gâtisme, de mauvais caractère et de mort. La langue est un autre vecteur sournois d’âgisme.

En général, nos sociétés tendent à porter aux nues les jeunes comme étant « plus futés, plus dynamiques, plus capables que les vieux.

Dans certains États membres de l’UE, les personnes de plus 70 ans n’ont pas le droit de louer une voiture, quelles que soient leurs aptitudes à la conduite. Les personnes âgées présentant un handicap auront accès à des services d’assistance relativement performants jusqu’à l’âge de 60 ou 65 ans mais passé cet âge, elles seront susceptibles de ne plus pouvoir avoir accès à la réhabilitation, aux primes de mobilité ou aux soins hors des maisons de retraite. Certaines lois établissent un âge limite au-delà duquel les personnes ne peuvent plus avoir accès à des traitements chirurgicaux, ni bénéficier de formations professionnelles. Sur le marché du travail, si vous êtes sans emploi et avez plus de 55 ans, il est plus probable que vous ne décrochiez plus jamais un emploi.

Pour la majorité des législations et juridictions nationales, ces restrictions liées à l’âge sont « objectivement justifiées  », exactement au même titre que les distinctions sur la base du sexe étaient, elles aussi, considérées « objectivement justifiées  » il n’y a pas si longtemps de ça. Jusqu’aux années 1970, par exemple, les femmes irlandaises devaient renoncer à leur emploi dans la fonction publique quand elles se mariaient. Alors qu’il serait impensable dans les sociétés occidentales aujourd’hui de priver les femmes de leur droit fondamental à travailler, nous obligeons encore toujours des gens à prendre leur retraite lorsqu’ils atteignent un certain âge. Si les discriminations fondées sur le sexe ou la race sont inacceptables, pourquoi permet-on celles fondées sur l’âge ?

Une nouvelle campagne mondiale pour combattre l’âgisme

Il y a quelque chose de foncièrement biaisé dans les hypothèses qui traitent la discrimination et l’exclusion à l’égard des personnes âgées comme une chose plus acceptable que la discrimination et l’exclusion de personnes sur la base du sexe, de la race ou de la capacité. Bien au contraire, la discrimination fondée sur l’âge vient s’ajouter au fardeau des traitements différenciés que subissent tout au long de leur vie ces groupes de personnes (comme les femmes, les migrants, les personnes LGBTQI, etc.), ce qui provoque un risque accru de précarité et d’exclusion sociale dans la vieillesse.

Certaines de ces distinctions fondées sur l’âge sont même dénuées de sens. Il est tentant de penser que la retraite anticipée ou l’âge de la retraite obligatoire sont nécessaires pour permettre aux jeunes d’entrer dans le marché du travail. La recherche montre, toutefois, qu’il n’y a pas de preuve que de telles politiques contribuent à des taux d’emploi plus élevés chez les jeunes.

D’une part, de telles politiques ne réussissent pas à s’attaquer au problème qu’elles se proposent de résoudre, le chômage des jeunes ; et d’autre part, nous perdons le savoir et les compétences des personnes plus âgées en tant que mentors potentiels. Les politiques de retraite anticipée ou d’âge de retraite obligatoire contribuent aussi au stéréotypage des générations, montant les différents groupes d’âge les uns contre les autres, tout en alimentant l’appréhension des jeunes générations qu’elles feront – tôt ou tard – partie des vieilles générations.

Si nous vivons suffisamment longtemps, l’âgisme est la discrimination dont nous sommes toutes et tous le plus susceptibles d’être les victimes, aussi est-il dans notre intérêt à toutes et à tous de le combattre.

En tant qu’individus, nous pouvons prolonger notre vie de 7 ans et demi en moyenne en cultivant des attitudes positives à l’égard de la vieillesse. Et en tant que société, nous pouvons bénéficier des compétences, de l’expérience et du savoir des vieilles générations en les impliquant dans la prise de décisions, dans nos communautés, ainsi que dans le travail rémunéré ou bénévole.

Il nous faut désormais repenser le vieillissement à la fois pour les personnes âgées d’aujourd’hui et pour les personnes âgées que nous-mêmes serons demain. La campagne mondiale #AgeingEqual a été lancée par AGE Platform Europe, un réseau pour les personnes de plus de 50 ans ayant vocation à sensibiliser l’opinion à l’âgisme et à ses conséquences adverses sur la capacité des personnes plus âgées de jouir pleinement de leurs droits humains et de contribuer pleinement à la société.

La campagne, dont le coup d’envoi a été donné à l’occasion de la Journée internationale des personnes âgées, le 1er octobre 2018, durera 70 jours et culminera le 10 décembre, date de la Journée internationale des droits de l’homme, qui est aussi l’Anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. 70 ans après son adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies, la Déclaration reste tout aussi pertinente qu’au premier jour et est un rappel fondamental du fait que les droits humains ne diminuent pas avec l’âge.

Étant profondément ancrée dans nos cultures, ainsi que dans les conduites et attitudes des institutions, la discrimination fondée sur l’âge peut uniquement être combattue au prix d’efforts collectifs. Pour venir à bout de l’âgisme, vu son ampleur, il sera indispensable d’atteindre une masse critique d’activistes. Nous valons mieux que ça : unissons nos forces pour créer une société pour tous les âges !

Cet article a été traduit de l'anglais.