L’Allemagne en passe de revenir sur la légalisation de la prostitution par crainte de l’exploitation sexuelle

 

Depuis la légalisation de la prostitution en 2002, l’Allemagne assiste à une hausse significative du tourisme sexuel.

D’après les statistiques, chaque jour, plus d’un million d’hommes ont des relations sexuelles tarifées avec les quelque 400.000 prostituées que compte l’Allemagne.

Alors que le commerce du sexe continue de prospérer dans le pays, le nouveau gouvernement de coalition promet de réformer la législation actuelle sur la prostitution, de crainte qu’elle n’encourage le trafic, l’exploitation et l’enrichissement excessif autour des activités liées au sexe.

Une nouvelle hausse est prévisible quant au nombre de touristes sexuels qui se rendent en Allemagne, ainsi que dans l’Autriche voisine – où la prostitution est également légale et réglementée –, dans la mesure où des promoteurs des deux pays prévoient d’ouvrir début 2014 des maisons closes, qui seront parmi les plus grandes d’Europe.

À Sarrebruck, à l’ouest de l’Allemagne, une entreprise de Stuttgart, Paradise Island Entertainment, envisage d’installer une «méga maison close» de 4,5 millions EUR, qui emploiera 90 travailleuses du sexe à plein temps, en tirant parti de la proximité de la ville avec la frontière française.

Sarrebruck est déjà connue pour accueillir les Français qui viennent faire du tourisme sexuel le week-end, et le commerce du sexe devrait connaître un nouvel essor dans cette ville après l’adoption par les parlementaires français du premier volet d’un nouveau projet de loi qui criminalise les clients des prostituées.

Dans la banlieue de Vienne, une maison close encore plus importante est en cours de construction. Le FunMotel, qui coûtera 14,2 millions EUR, aura une capacité d’accueil de plus de 1000 visiteurs par jour, d’après les médias, avec 147 chambres et des parkings réservés aux autobus.

Cette maison close est construite en dehors de Vienne dans le but de contourner les réglementations relatives à la délivrance d’autorisations. D’ailleurs, le projet a d’ores et déjà été approuvé par la police et les autorités.

 

Trafic sexuel

Cependant, les projets de Sarrebruck et de Vienne suscitent tous deux une vive inquiétude parmi les groupes de femmes et les organisations non gouvernementales qui viennent en aide aux victimes du trafic sexuel.

En effet, « l’ouverture de maisons closes aussi grandes prouve l’incapacité de ces pays à atteindre l’égalité des genres » déclare à Equal Times Pierrette Pape, du lobby européen des femmes.

« Pour nous, ces évolutions constituent une atteinte aux droits humains, et plus particulièrement aux droits des femmes ».

Selon Andrea Matolcsi, experte du trafic sexuel installée en Allemagne pour l’ONG de défense des droits humains Égalité maintenant, avec la «normalisation» de la prostitution et la hausse de la demande, les trafiquants ramènent souvent des femmes et des filles – et, dans certains cas, des garçons – des pays défavorisés.

« Dans les pays qui ont légalisé ou décriminalisé la prostitution, le nombre de femmes qui se prostituent semble augmenter, de même que la demande de prostitution », précise-t-elle.

« En Allemagne et en Autriche, de nombreuses femmes des pays d’Europe centrale et orientale sont amenées dans des maisons closes et des établissements légaux et illégaux ».

En Autriche, jusqu’à 78 % de travailleuses du sexe proviennent d’autres pays d’Europe centrale et orientale, d’après l’étude Sex Work in Europe (travailleurs/euses du sexe en Europe) réalisée en 2010 par European Network for HIV/STI Prevention and Health Promotion among Migrant Sex Workers (Réseau européen pour la prévention du HIV et des MST et la promotion de la santé chez les travailleurs/euses migrants du sexe).

Pour Helmut Sporer, le commissaire divisionnaire de police de la brigade criminelle d’Augsburg, en Allemagne, la proportion de travailleuses du sexe étrangères en Allemagne s’élève à environ 80 %, la majorité étant issue des nouveaux États membres de l’UE situés en Europe du Sud-Est.

« 90 % de ces femmes n’ont pas choisi librement la prostitution, elles sont soumises à diverses formes de pression », explique-t-il.

 

Une activité légale

La réglementation allemande actuelle, qui s’appuie sur la Loi de 2002 concernant la prostitution, donne droit aux travailleurs/euses du sexe de bénéficier d’une assurance sociale et de santé et reconnaît qu’ils/elles exercent une activité légale, sans les obliger toutefois à s’inscrire auprès de quelque autorité que ce soit.

« Par conséquent, la majeure partie des femmes qui se prostituent n’existent pas officiellement », ajoute Sporer.

« Si une femme manque à l’appel, absolument personne ne s’en rend compte. Évidemment, c’est ce qui rend l’Allemagne très attractive pour les trafiquants et les exploiteurs de toutes sortes ».

Seulement 44 travailleuses du sexe, sur les 400.000 que compte le pays, se sont inscrites pour bénéficier de l’assurance sociale, comme l’indique l’Agence fédérale allemande pour l’emploi.

Au début du mois, le futur gouvernement de coalition allemand a signalé qu’il s’efforcerait de réformer la législation existante pour répondre aux préoccupations relatives au trafic et à l’exploitation.

Parmi les modifications prévues, à partir de début 2014, les clients seront poursuivis lorsqu’ils seront convaincus d’avoir recouru en connaissance de cause aux services d’une personne qui se prostitue sous la contrainte.

Fin octobre, près de 90 responsables politiques de premier plan, acteurs/trices et autres personnalités publiques allemandes, sous la houlette de la célèbre militante féministe Alice Schwarzer, ont signé un appel à la réforme adressé à la chancelière Angela Merkel et au Parlement.

Mais les points de vue divergent.

Monika Lazar, porte-parole du parti Alliance 90/Les Verts pour les questions des femmes, a défendu la loi actuelle, rappelle The Guardian, en soulignant que le fait de rendre la prostitution illégale n’améliorerait pas la situation.

« La prostitution est toujours stigmatisée d’un point de vue social, et cela n’a pas changé depuis que la loi est entrée en vigueur, il y a quelques années », indique-t-elle. « Mais la loi permet de renforcer la position des prostituées et garantit aux femmes, et aux hommes, une bien meilleure protection ».