L’appel des syndicats à voter pour une Europe progressiste

L'appel des syndicats à voter pour une Europe progressiste

Dans l’ensemble de l’Europe, les travailleurs font part de leurs préoccupations, comme ici le 26 avril à Bruxelles, sur les mesures d’austérité, les attaques contre les droits du travail, la catastrophe climatique, le nationalisme et la hausse des inégalités.

(Mathilde Dorcadie)

Les élections européennes qui auront lieu à la fin du mois se tiennent à un moment déterminant et difficile pour l’Europe – et pour le mouvement syndical européen.

Il pourrait en effet s’agir des élections les plus importantes pour toute une génération, dans la mesure où elles définiront le cap que prendra l’Europe au cours des prochaines décennies. Selon le résultat des élections européennes, l’UE se dirigera vers davantage d’égalité et de cohésion sociales, ou commencera à se disloquer sous le poids des intérêts nationaux et de la xénophobie.

Les défis à relever sont multiples : l’impact de la mondialisation non réglementée, de la crise économique et de l’austérité ; les évolutions de l’économie et du marché du travail imputables au changement climatique, à la numérisation et à l’automatisation ; les attaques contre les droits des travailleurs et les droits syndicaux ; une demande accrue en faveur des services essentiels en raison de l’allongement de la durée de vie ; la hausse des inégalités à l’intérieur des pays et entre les pays ; la migration, qui va souvent de pair avec la discrimination et l’exploitation – le tout dans un contexte de montée de l’extrême droite et des mouvements nationalistes et néo-fascistes, qui promettent des solutions radicales, faciles et mensongères.

Ces forces sont non seulement une menace pour les droits humains et sociaux et les valeurs qui constituent les fondations de l’UE, mais aussi pour l’avenir même de la démocratie.

Depuis près de sept décennies, l’UE préserve et renforce la paix, défend un modèle social reposant sur les droits humains et sociaux et sur les droits des travailleurs et de l’environnement, et cherche à offrir des conditions de vie et de travail équitables.

Mais rien de tout cela ne peut être considéré comme acquis. Les considérables inégalités entre les personnes, les régions et les pays à travers l’Europe, qui couvent depuis la crise financière, laissent de profondes cicatrices et alimentent la peur et la colère dans de nombreux secteurs de la société.

Nous exhortons tous nos membres, et tous les citoyens, à se rendre aux urnes à la fin du mois et à voter pour des candidats qui veilleront à protéger et à défendre une Europe équitable et démocratique.

Les politiques syndicales

Juste avant les élections, la Confédération européenne des syndicats (CES) organisera son 14e Congrès à Vienne, du 21 au 24 mai. Les délégués syndicaux, qui représentent 45 millions de travailleurs dans 38 pays européens, définiront un programme d’action axé sur des politiques rationnelles pour l’avenir de l’économie européenne, de la société et du marché du travail de l’UE, et exposeront en détail l’action à mener pour renforcer le rôle des syndicats.

Voici ce que nous voulons : une nouvelle politique économique progressiste et durable, basée sur une imposition juste ; une hausse des salaires et une meilleure convergence des salaires entre les pays et les secteurs ; des emplois de qualité ; une protection sociale et des services publics solides ; des mesures destinées à renforcer le dialogue social, la négociation collective et la participation des travailleurs ; une transition juste qui aide les travailleurs à s’adapter à une économie plus verte ; une mondialisation et des échanges commerciaux justes et durables ; des politiques humaines en matière de migration et d’asile.

La Commission européenne salue les prémices de la reprise économique et de la baisse du chômage. Toutefois, la diminution du chômage résulte en partie du faux travail indépendant, des emplois précaires des plateformes, des contrats zéro heure, du travail temporaire ou partiel non choisi, et d’autres formes d’emplois précaires et faiblement rémunérés. La CES demande au contraire des emplois de qualité qui offrent une sécurité et une protection sociale suffisantes, un salaire égal pour un travail égal, et le droit à la représentation syndicale et à la négociation collective pour tous les pays, secteurs et travailleurs.

Une des réalisations les plus prometteuses obtenues lors du dernier mandat de la Commission est le socle européen des droits sociaux, que nous avons largement contribué à mettre au point.

Bien que la version finale n’aille pas aussi loin que ce que nous aurions souhaité, elle comprend 20 principes qui portent notamment sur l’égalité des chances et l’accès au marché du travail, les conditions de travail équitables, la protection sociale et l’inclusion sociale.

Il s’agit d’un nouvel engagement de la Commission pour une Europe plus sociale, et il constitue une base solide pour de nombreuses initiatives législatives de l’UE dans le domaine social, telles que la révision de la Directive sur les travailleurs détachés, les nouvelles Directives sur les conditions de travail transparentes et prévisibles, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et la Recommandation sur l’accès universel à la sécurité sociale ; ensemble, ces instruments prévoient d’importantes protections du travail, en particulier pour les personnes qui occupent des emplois atypiques ou les travailleurs des plateformes.

Cependant, de nombreux domaines de la politique sociale relèvent de la responsabilité des États membres, et le succès du socle est largement tributaire de la volonté des gouvernements nationaux de le mettre en œuvre ou non. C’est pourquoi nous travaillons avec les affiliées nationales afin de faire campagne auprès de leurs gouvernements respectifs et d’observer les actions qu’ils entreprennent, tout en veillant à promouvoir le tableau de bord social dans le cadre du processus d’élaboration de politiques économiques du « semestre européen ».

Une réponse humanitaire

La question urgente des réfugiés est loin d’être résolue et assombrit les réalisations de l’Europe dans le secteur humanitaire. La guerre en Syrie a agi comme le catalyseur de la crise migratoire qui défie la solidarité européenne et, d’un autre côté, les difficultés économiques de nombreux pays sont exploitées par les mouvements nationalistes et fascistes, qui accusent les minorités et les migrants d’être à l’origine des problèmes de l’Europe.

Les syndicats s’efforcent d’inciter les institutions et les gouvernements à respecter la législation internationale et à prendre leur part de responsabilités vis-à-vis des réfugiés en Europe. En tant que syndicats, nous pouvons travailler avec les employeurs et les populations locales pour que les réfugiés et les personnes qui sollicitent une protection internationale soient intégrés sur le lieu de travail.

La CES demande par ailleurs à l’UE et à ses États membres d’adopter une politique européenne plus concrète et plus juste en termes de migration économique, pour établir des filières légales d’immigration et soutenir une politique d’intégration fondée sur le respect des droits et l’égalité de traitement des travailleurs locaux et migrants.

Compte tenu de sa population vieillissante et de son déclin démographique, l’UE doit trouver des solutions pour accueillir et intégrer les jeunes travailleurs et leur permettre de s’épanouir pleinement.

L’adoption du Pacte mondial des Nations Unies pour les migrations et les réfugiés marque une avancée positive mais comme il ne s’agit pas d’instruments contraignants, ils ne vont pas assez loin.

C’est aussi la vague de populisme qui a influencé le résultat regrettable du référendum britannique en juin 2016 en faveur du Brexit, contre lequel la CES et ses affiliées britanniques et irlandaises ont manifesté leur opposition. Quel que soit le résultat final, nous œuvrerons à protéger les droits des travailleurs dans les 28 pays concernés et à mettre fin au dumping social.

Le changement climatique reste l’un des plus grands enjeux actuels, en Europe comme dans le reste du monde. La CES demande activement une transition juste pour les travailleurs, en particulier dans les régions où les emplois sont concentrés dans les industries à forte intensité de carbone. Nous avons besoin de députés européens qui seront encore plus ambitieux pour réduire les émissions de CO2 en Europe et protéger les travailleurs. En participant à la Plateforme multi-parties prenantes, nous exhortons l’UE à mettre en œuvre le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et les Objectifs de développement durable.

S’organiser contre les inégalités

Les études montrent qu’un déclin de la force syndicale aggrave les inégalités. La négociation collective permet d’obtenir des salaires plus élevés, mais la proportion de travailleurs couverts par des conventions collectives a chuté dans dix pays de l’UE depuis 2008-2009. Il n’est donc guère surprenant que les gains de productivité ne se traduisent pas par des hausses de salaire.

En 2015, la Commission Juncker a promis un « nouveau départ pour le dialogue social  », mais un considérable travail reste à faire pour construire – ou reconstruire – la capacité de dialogue social dans de nombreux États membres. Les prochains dirigeants de l’UE doivent en faire leur principale priorité. La CES prévoit de lancer une importante initiative pour discuter des possibilités d’instaurer une nouvelle Directive-cadre destinée à favoriser la négociation collective, et cela devrait guider le prochain mandat de l’UE.

Davantage de démocratie et de participation au travail ne sont pas seulement des questions de droits humains ou de meilleurs salaires ; elles permettent également aux personnes d’être plus actives dans la société en général et elles apportent des avantages économiques, tels qu’une augmentation de la productivité et de l’innovation.

Ainsi, une autre priorité de la CES au cours des quatre années à venir sera la réforme de la législation de l’UE sur l’information et la consultation, la représentation au niveau des dirigeants, les comités d’entreprise européens, dans le but d’améliorer la participation des travailleurs sur le lieu de travail et dans le processus de changement et de restructuration de l’économie.

Bien que notre action vise principalement les politiques européennes, la CES coopère avec la Confédération syndicale internationale (CSI) pour promouvoir un développement mondial équitable et durable, la démocratie et la paix, la solidarité et le respect des droits humains sur l’ensemble de la planète, en s’appuyant spécialement sur les politiques commerciales et les politiques extérieures de l’UE.

Nous continuerons d’appeler l’UE à conclure des accords commerciaux européens qui comportent des dispositions contraignantes et ayant force exécutoire en matière de droits du travail, et de demander aux institutions de l’UE de respecter les droits du travail lorsqu’elles collaborent avec des pays tiers. Nous soutiendrons la liberté syndicale et la négociation collective pour aider les syndicats des pays qui souhaitent adhérer à l’UE, ainsi que les syndicats des pays voisins et du reste du monde.

La CES veut apporter aux Européens la vision nouvelle d’une société équitable et durable reposant sur l’unité, la coopération, l’intégration et la solidarité, comme le précise notre Programme d’action pour 2019-2023, qui sera adopté à Vienne. L’ancien contrat social est inopérant. Nous veillerons à négocier avec les autorités européennes et nationales et les employeurs en vue d’établir un nouveau contrat social pour l’Europe, notamment un Protocole sur le progrès social, qui sera centré sur les travailleurs, les syndicats et les droits sociaux, et qui sera inscrit dans les traités et mis en œuvre par le biais de la législation et de la politique de l’UE.

Cet article a été traduit de l'anglais.