L’échec d’un modèle : Pourquoi le monde a besoin d’un nouveau contrat social

L'échec d'un modèle : Pourquoi le monde a besoin d'un nouveau contrat social

The promise of a zero-poverty, zero-carbon world will require the massive
reform of global governance and the commitment of national governments to act in the interests of their people.

(Chhor Sokunthea/World Bank)

La démocratie est devenu un dégât collatéral dans un monde où le multilatéralisme a échoué et un modèle de cupidité entrepreneuriale a réduit à néant les promesses du contrat social, forgé aux confins de deux guerres mondiales et d’une Grande dépression.

Ce modèle global de croissance économique a alimenté la cupidité des entreprises qui a, à son tour, entraîné la destruction du contrat social. Les revenus des travailleurs à l’échelle globale ont été en déclin constant depuis trois décennies, cependant que l’inégalité des revenus s’est creusée dans 53% des pays.

C’est ce même modèle de croissance qui a entraîné le déclin de la part de revenus des travailleurs dans toutes les économies des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), outre la baisse systématique des salaires à des niveaux inférieurs à la croissance de la productivité dans la majorité de ces mêmes pays – un modèle qui prive les travailleurs de leur part équitable des fruits du progrès économique.

94 % des travailleurs des chaînes d’approvisionnement à travers le monde proposent des emplois faiblement rémunérés, précaires et souvent dangereux. 70 % des travailleurs dans le monde disposent d’une protection sociale inadéquate ou nulle, alors qu’il est estimé qu’au moins 21 000 milliards de dollars US sont mis de côté dans des paradis fiscaux.

La cohérence globale stimulée par la coopération au sein d’institutions multilatérales prend tout son sens si toutes les voix sont égales : Autrement dit, si au cours des négociations, les gouvernements donnent voix au chapitre aux citoyens et non aux grandes entreprises multinationales.

Il y a une communauté croissante d’entreprises qui comprennent que le modèle de globalisation en place fomente une inégalité massive, entraînant des violations des droits humains, la destruction de l’environnement et, à terme, la destruction des marchés dont elles-mêmes elles dépendent. Malheureusement, nous sommes aussi en présence d’une communauté encore plus nombreuse d’entreprises qui semblent incapables de voir plus loin que leurs gains propres.

Là où le contrat social est en place et les gouvernements respectent le rôle des partenaires sociaux dans la négociation de solutions, où la protection sociale, des salaires minimaux couvrant les nécessités vitales, la négociation collective, des services publics essentiels, une politique industrielle et un régime fiscal équitable sont garantis, une croissance inclusive est possible. Bien que ces sociétés ne soient pas à l’abri des défis du changement climatique, de la numérisation accélérée, de la robotique ou de l’automation, la responsabilité collective en matière de négociation de transitions justes peut nous fournir des réponses.

Malheureusement, elles ne sont pas nombreuses. On peut les voir dans les pays scandinaves, l’Allemagne, le Canada, la Nouvelle-Zélande et éventuellement aussi le Japon, alors que de nouveaux espoirs naissent au Portugal. Le consensus autour d’un nouveau pilier social en Europe est certes prometteur, à condition, toutefois, qu’il soit suivi de la promulgation d’une législation qui en garantisse la mise en œuvre.

En attendant, la dure réalité reste que l’économie globale se trouve largement enlisée dans un modèle d’autodestruction où les vies et les moyens d’existence des travailleurs et de leurs familles se trouvent dans l’œil du cyclone.

Quand des gouvernements manquent de réguler en faveur d’un travail décent, pour mettre leurs citoyens à l’abri de l’exploitation, pour assurer que les impôts sur les entreprises sont dûment payés, afin de leur permettre de garantir l’accès à l’éducation et à la santé pour tous et d’investir dans les infrastructures vitales et la création d’emploi, ils engendrent la méfiance. Et quand les gens peinent à voir les fruits de la démocratie, cette méfiance finit par s’étendre aux institutions démocratiques.

Le multilatéralisme moderne doit tomber

D’après le Sondage d’opinion mondial 2017 de la Confédération syndicale internationale, 85 % des personnes interrogées de par le monde veulent voir les règles de l’économie mondiale consignées par écrit, alors que l’opinion est unanime sur le fait que le monde se porterait mieux si les gouvernements faisaient preuve d’un engagement plus résolu en faveur de l’emploi et du travail décent; des soins aux enfants, aux personnes âgées et aux malades ; des droits humains et des travailleurs ; des droits et libertés démocratiques; du partage de la richesse et de l’action en réponse au changement climatique.

Ressortir les mêmes frasques avec un coup de peinture et un slogan accrocheur ne suffira pas. Un libre-échange qui permet l’esclavage, qui tolère le travail informel sous prétexte d’entreprenariat indépendant, qui s’appuie sur une rémunération misérable, qui ne garantit ni la liberté syndicale, ni les droits de négociation collective, qui brouille les responsabilités en matière de sécurité au travail et incite à l’évasion fiscale est un concept immoral.

Si c’est ça le multilatéralisme moderne, alors il doit tomber.

De même, les institutions de Bretton Woods doivent être réformées. Nous en appelons aux gouvernements du G20 à parrainer une consultation large avec les syndicats, les entreprises et la société civile en vue de l’élaboration d’une nouvelle architecture globale.

Cette architecture doit guider l’implantation des Objectifs de développement durables (ODD), avec un engagement en faveur des mesures de transition juste requises pour protéger les travailleurs et les communautés à l’issue des transitions globales découlant de l’action sur le climat et des évolutions technologiques.

Des politiques qui soutiennent la privatisation, les restrictions sur les salaires minimaux et la négociation collective, les coupes dans les retraites et autres mesures de protection sociale équivalent, ni plus ni moins, qu’à la destruction de l’espoir et de la sécurité des gens. La stabilité et le développement dont ces institutions sont chargées manquent à l’appel.

Et bien qu’une réforme de l’ONU s’impose, celle-ci ne peut se faire aux dépens du mandat fondamental de droits qui a émergé en tant que pilier fondateur du contrat social du siècle dernier et de l’espoir de paix et de prospérité.

Le multilatéralisme est un impératif si nous tenons à concrétiser les engagements des ODD et de l’Accord de Paris sur le Climat – la promesse d’un monde « zéro pauvreté » et « zéro carbone » – cependant, cela exigera une réforme en profondeur du mandat de la gouvernance mondiale et l’engagement des gouvernements nationaux à agir dans l’intérêt de leurs citoyens.

Le dialogue social est indispensable au nouveau contrat social

L’OCDE vient de parvenir à un accord concernant le guide général sur le devoir de diligence. Dès lors un bon point de départ serait de suivre l’exemple du gouvernement français et d’exiger le devoir de diligence et, conséquemment, de transparence et de responsabilité à nos principales multinationales. D’autre part, ceci devrait être en conformité avec les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits humains et, pour ce qui concerne l’OCDE, les Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales.

Le Global-Deal, une initiative conjointe de l’OIT et de l’OCDE, menée avec le soutien de la Suède, peut aider à reconstruire les partenariats porteurs d’une communauté pour le changement. Cependant, il devra inclure un dialogue social qui résulte dans un nouveau contrat social.

Il s’agit d’une recette toute simple qui prépare le terrain à un plancher de concurrence équitable et de travail décent à travers :

• L’application des normes relatives à la liberté syndicale, outre les normes de l’OIT sur la santé et la sécurité au travail, avec force exécutoire sur toutes les modalités de travail ;

• La garantie de salaires minimaux vitaux et de négociation collective ;

• Des clauses de protection sociale universelle et de protection de la maternité.

Celles-ci constituent le plancher d’un nouveau contrat social indispensable pour rétablir la confiance dans la globalisation. Une fois que ces conditions seront réunies à l’intérieur d’un cadre réglementaire qui garantisse que toutes les entreprises disposent d’une « licence sociale pour opérer » - et qui exige aussi un devoir de diligence, des mécanismes de plainte et de réparation en matière de droits humains et des travailleurs et garantisse le paiement d’impôts sur le revenu – nous pourrons commencer à reconstruire un plancher de concurrence équitable sur la base duquel les défis de l’avenir pourront être relevés.

Le dialogue social doit être respecté dans tous les milieux de travail ; la mise en œuvre du Pilier social européen pourrait constituer une base pour le progrès, pour autant que les fondements législatifs sont garantis et fournissent une feuille de route permettant de définir le futur du travail à l’échelle globale.

Une réforme approfondie de la politique macroéconomique s’impose pour que nous puissions nous concentrer sur ces mesures visant une croissance inclusive, le plein emploi et le travail décent. Cela impliquera une réforme fondamentale des institutions multilatérales et de la gouvernance, tant au niveau national qu’international, car la paix et la justice sociale et économique doivent figurer au cœur-même d’un nouveau mandat pour toutes les institutions.

Le Cadre pour une croissance inclusive en cours d’élaboration à l’OCDE est à même de fournir la réponse politique appropriée aux défis que nous affrontons. Pour que cela soit possible, ce Cadre et l’OCDE dans son ensemble devront insister sur la centralité du dialogue social, de la négociation collective et sur une transition juste pour les travailleurs dans les économies, de plus en plus numérisées et à faible émission de carbone, d’aujourd’hui et de demain.

Article initialement paru sur le site web du Forum OCDE.