L’Espagne étend les droits des travailleuses domestiques, mais néglige les travailleuses sans-papiers

L'Espagne étend les droits des travailleuses domestiques, mais néglige les travailleuses sans-papiers

Colombian migrant Clara Hoyos has been living in the Spanish city off Valencia for three years. During this time, she has earned a living as a domestic worker, taking care of cooking, cleaning, caring for people and even animals.

(Marga Ferrer)
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Il y a trois ans, la Colombienne Ángela López atterrissait à Madrid avec l’intention de se faire passer pour une touriste. Elle connaissait par cœur les monuments les plus célèbres de la ville, mais lorsque les services d’immigration lui ont demandé quel était son plan de voyage, Ángela est restée muette. Elle avait un nœud dans l’estomac à cause du stress. « Dès que j’ai mis les pieds en Espagne, je me suis dit : “Mais qu’est-ce que je fais ici ? », se souvient-elle. Elle fuyait une relation conjugale marquée par la violence, elle avait laissé ses deux enfants en Colombie et était confrontée à un destin écrit d’avance.

« Je voulais travailler à domicile parce que c’est ce que l’on vous recommande quand vous arrivez. Tout le monde vous dit que de cette façon vous économiserez en nourriture et en logement ».

On estime que 600.000 femmes travaillent dans le secteur des services domestiques et que seules 400.000 d’entre elles paient des cotisations de sécurité sociale. Les autres subsistent dans un marché non réglementé, où abondent les mères célibataires originaires d’Amérique latine et en situation irrégulière.

Elles arrivent comme touristes et prolongent leur séjour au-delà de la période légale de trois mois, sans permis de travail et avec la nécessité urgente de gagner un revenu fixe afin de pouvoir l’envoyer à leurs enfants, un salaire qu’elles trouveront dans l’informalité des foyers. De ce fait, les migrantes et les familles espagnoles se soutiennent mutuellement dans le dos de l’État. En effet, ce sont elles qui assument une grande partie de la charge des soins.

Dans l’ombre, mais essentielles

Bien qu’il existe en Espagne un engagement en faveur de la prise en charge des personnes dépendantes, ce système a montré ses limites, de sorte que de nombreux ménages sont contraints (et d’autres tentés) d’engager une main-d’œuvre bon marché. C’est ce qui a provoqué une résurgence du secteur. Au milieu du 20e siècle, le service domestique était un signe de statut. Dans les années 1990 cependant, il est réapparu, comme nécessité cette fois-ci, en raison de l’entrée des femmes sur le marché du travail, du vieillissement démographique et d’un flux croissant d’une immigration constituée de femmes. Les migrantes remplacent les ressortissantes nationales dans les responsabilités ménagères. Les hommes sont toujours aux abonnés absents.

« Nous nous débrouillons avec ce pis-aller des travailleuses domestiques parce que l’État ne souhaite pas ouvrir la boîte de Pandore que constitue le sujet des soins », explique l’avocate Arantxa Zaguirre, collaboratrice de l’association Territorio Doméstico.

« De fait, il est problématique que le travail domestique et le travail des soins ne soient pas séparés. Cette situation découle d’une relation de travail qui n’était même pas considérée comme telle : il y a 40 ans, les femmes des villages faisaient le ménage, le repassage, si elles avaient des enfants, elles s’en occupaient et s’il y avait des grands-parents, aussi. Ainsi, lorsque la loi est élaborée, en 1985, elles sont traitées comme des femmes de ménage et sont responsables de tout ce qui se passe à l’intérieur du foyer. Mais prendre soin de quelqu’un n’est pas la même chose que de repasser. L’État doit se charger des personnes dépendantes, pas de votre fer à repasser. »

Sans une telle division, les travailleuses domestiques sont confrontées à une avalanche de tâches qu’elles exécutent, souvent, car elles sont désemparées par la loi sur les étrangers, qui les oblige à attendre trois ans avant de pouvoir régulariser leur statut. Pendant cette période, elles vivent et travaillent dans la clandestinité, sans pouvoir signer un contrat de travail.

« Quand elles trouvent du travail dans une maison, avec la promesse qu’elles seront régularisées après trois ans, elles acceptent n’importe quelle conditionet quand elles obtiennent leurs papiers, elles doivent signer un contrat pour ne pas perdre leur permis de travail ».

Ángela se tient sur cette corde raide. En tant qu’employée de maison, elle a dû travailler tous les jours, du matin au soir, pour 750 euros par mois. Pendant six mois, elle a nettoyé, cuisiné, donné la douche et fait prendre des médicaments à un couple de personnes âgées qu’elle soignait même aux premières heures du matin, lorsqu’elles voulaient changer de position et qu’elles ne pouvaient pas bouger. « Les filles [de ce couple] voulaient réduire mon salaire, alors je suis allée dans un autre foyer, qui s’est avéré être pire que le précédent : je devais leur demander la permission pour aller aux toilettes », raconte Ángela, qui vient de rentrer après les vacances. « Maintenant, je m’occupe d’un autre couple et ils m’ont emmené dans leur maison de vacances. J’ai été enfermée pendant deux mois. J’ai même été obligée de nettoyer leur piscine ».

Une autre Colombienne, Clara Hoyos, a connu les mêmes expériences et a subi quelque chose qui semble commun à ses employeurs : faire appel à elles pour s’occuper d’une personne alors qu’en fait il y en a deux. « Je n’étais censé m’occuper que d’un seul grand-père, mais sa femme est tombée très malade et j’ai dû m’occuper d’elle aussi. Je n’avais plus de vie. J’ai travaillé sept mois pour 850 euros [par mois] jusqu’à ce que les vieillards finissent par mourir. Au monsieur, j’ai même dû lui faire des injections de morphine. J’étais seule avec lui quand il est mort. Vous savez comme c’est traumatisant ? », se souvient-elle.

Leurs histoires sont dissimulées dans l’économie souterraine, loin de l’Inspection du travail, où tout fonctionne par le bouche-à-oreille, les recommandations croisées entre collègues et le hasard de trouver un employeur honnête. Ce qui n’arrive pas toujours. « Nous voyons souvent des employeurs profiter de la vulnérabilité de nos camarades, avec un total manque d’intérêt pour apprendre quels sont leurs droits », déclare Marcela Bahamón, porte-parole de l’Association interculturelle des professionnels des services à domicile et des soins (AIPHYC). « En général, les gens pensent que ces personnes n’ont aucun droit en matière de travail parce qu’elles n’ont pas de papiers en règle. C’est une idée fausse, mais très répandue. »

Local et international, une lutte sur tous les fronts

Des associations comme Territorio Doméstico et AIPHYC se battent depuis des années pour la ratification de la Convention 189 de l’OIT, un accord international présenté en 2011 pour réglementer le travail domestique. Onze ans plus tard, l’Espagne a finalement ratifié la convention et adopté un décret-loi royal qui reconnaît le droit au chômage des travailleurs domestiques (il s’agissait du seul secteur sans chômage, ce que la justice européenne avait qualifié de discriminatoire), harmonise les autres droits et élimine un grief du groupe : le congédiement non motivé.

Cependant, la nouvelle règle ne couvre pas toutes les employées. Les migrantes sans papiers sont toujours laissées pour compte. Pour elles, pas de grands changements, hormis une réforme de l’Office des étrangers qui assouplit les exigences d’enracinement social et encourage la dénonciation des fraudes : en attestant de 6 mois de travail irrégulier, elles peuvent obtenir un permis de séjour et de travail.

Rafaela Pimentel, porte-parole de Territorio Doméstico et dirigeante du Syndicat des travailleuses domestiques et des soins (Sintrahocu), plaide pour aller plus loin : « Il faut une régularisation extraordinaire de toutes celles qui sont déjà ici, car elles aussi sont essentielles. Nous, les migrantes, soutenons le système et le jour où nous nous croisons les bras, tout s’écroule ».

Peut-être a-t-elle raison, mais s’il s’agit bien d’un travail essentiel effectué par les migrantes, la question se pose alors de savoir pourquoi des canaux de migration légale n’ont pas été ouverts. Marcela Bahamón fait valoir que ces femmes ne sont pas régularisées « parce que l’État-providence se maintient sur le dos des personnes appauvries », ce que Mme Zaguirre partage et complète :

« Ce que fait l’État, c’est ouvrir le robinet à l’aéroport pour laisser entrer des touristes qui, l’État le sait, seront de futures travailleuses sans-papiers, engageant ainsi une main-d’œuvre bon marché et craintive qui vous garantit une certaine paix sociale ».

Le syndicat Comisiones Obreras (CCOO) convient de la nécessité d’accueillir les migrants et appelle le gouvernement à faire des efforts supplémentaires. « Le décret royal est courageux, mais certaines questions fondamentales ne sont pas résolues », déclare Pilar Expósito, secrétaire de Femmes des CCOO chargée du secteur de l’habitat : « Par exemple, le droit à la négociation collective doit être réglementé, la représentation syndicale doit être encouragée et la professionnalisation du secteur doit être davantage visible ». Elle termine en ajoutant sa voix à une revendication des associations interrogées : l’intégration du secteur dans le système général de sécurité sociale afin d’obtenir une égalité totale avec les autres travailleurs.

Les syndicats CCOO et UGT ont joué un rôle important en faisant pression pour que l’Espagne adhère à des conventions telles que les conventions 189 et 190 (contre la violence et le harcèlement au travail). « Le fait de signer ces conventions revient à dire que le travail domestique mérite lui aussi une reconnaissance internationale », estime Ana María Corral, responsable du secteur Migration du syndicat UGT, « et d’une certaine manière, cela permet de promouvoir les droits de toutes les travailleuses ». Mais la syndicaliste demande également à ce que le Décret-loi royal soit étendu : « Il nous manque un système pour que l’Inspection du travail fasse son travail et que, par exemple, les travailleuses sans papiers puissent dénoncer leurs conditions d’emploi. »

En somme, les partenaires sociaux aspirent à obtenir un cadre juridique plus large et plus étendu qui englobe toutes les camarades, y compris celles qui arrivent sans papiers. Pour cela, ils réclament un changement de mentalité passant par la revalorisation de la prise en charge des personnes dépendantes, indispensable dans une société caractérisée par l’accroissement de l’espérance de vie et le recul des politiques de protection sociale. Reconnaître cette urgence signifie s’orienter vers un réseau public de soins qui ne lésine pas sur les budgets et qui intègre les professionnels de l’ombre. Sinon, des femmes comme Ángela López et Clara Hoyos continueront d’être réduites à l’état d’objet et de ressource d’urgence pour les familles en situation de besoin. Une main-d’œuvre précaire, mais condamnée à être essentielle.

This article has been translated from Spanish by Charles Katsidonis

Cet article a été financé par la fondation Friedrich-Ebert-Stiftung.