L’État sri-lankais utilise la violence contre ses citoyens, tandis que la crise politique et économique s’aggrave

L’État sri-lankais s’enfonce dans une véritable crise politique et économique, alors que de plus en plus de personnes sont confrontées à la famine, à la mort et à de graves bouleversements. Désormais, ils sont également confrontés à la violence brutale de l’État.

La BBC rapporte qu’au moins neuf personnes sont mortes et plus de 200 ont été blessées lorsque des véhicules et des maisons ont été incendiés, début mai, dans le cadre d’affrontements entre partisans et détracteurs du gouvernement. L’île est confrontée à sa pire crise économique depuis son indépendance, et les réponses de l’État témoignent de son incapacité à protéger ses citoyens.

Le déploiement de l’armée a toutefois peu de chances de faire cesser les protestations. En effet, la colère et la frustration manifestées par la population, exacerbées par les manifestants progouvernementaux, sont susceptibles de croître et d’alimenter la méfiance à l’égard du gouvernement au pouvoir. L’armée a reçu l’ordre de tirer à vue sur toute « personne enfreignant la loi », alors que les gens se rassemblaient dans la rue pour protester contre les pénuries de nourriture, de carburant et de médicaments.

Les troubles politiques récents s’expliquent par des problèmes économiques, le Sri Lanka étant confronté à la perspective très réelle d’une faillite, puisque ses réserves en devises se sont taries.

Comme je l’ai récemment écrit pour l’Australian Institute of International Affairs, les 22 millions de citoyens du pays pâtissent aujourd’hui d’un héritage de corruption gouvernementale, de népotisme et de mauvaise gestion économique. L’île est profondément endettée vis-à-vis de la Chine et incapable de générer des revenus suffisants en raison d’une série de réductions d’impôts.

Son président nationaliste, Gotabaya Rajapaksa, est arrivé au pouvoir en novembre 2019 après avoir fait campagne sur le thème de la sécurité nationale et fait appel au nationalisme cingalais bouddhiste.

Depuis, la famille Rajapaksa a étendu son pouvoir : Gotabaya a installé son frère Mahinda — lui-même ancien président — comme Premier ministre et a nommé d’autres membres de sa famille à des postes ministériels.

Les récents changements constitutionnels ont accru le pouvoir du président afin de supprimer l’opposition politique, d’éroder les institutions démocratiques et de renforcer la discrimination à l’encontre des minorités tamoules et musulmanes.

Une crise économique prévisible

La mauvaise gestion économique n’est pas un phénomène nouveau au Sri Lanka, les gouvernements successifs n’ayant pas su gérer l’inflation, la dette et les dépenses. Mais les décisions du gouvernement actuel ont amené l’île au bord de la faillite.

Il s’agit de la pire crise économique que le Sri Lanka ait connu depuis son accession à l’indépendance de la domination britannique en 1948.

Une politique particulièrement désastreuse sous la présidence de Gotabaya Rajapaksa concernait l’interdiction des engrais chimiques. Les moyens de subsistance des agriculteurs se sont effondrés, ce qui a entraîné une baisse du rendement des cultures, la fermeture de plantations, des pertes d’emplois et des pénuries alimentaires. Cette mesure a déclenché l’inflation et a eu pour effet de laminer les principales industries d’exportation, telles que le thé et le caoutchouc.

Parallèlement, la pandémie de Covid-19 a détruit l’industrie du tourisme, une source de revenus essentielle pour le Sri Lanka. La guerre en Ukraine a également entraîné des pénuries de carburant et mis à mal le tourisme, la Russie et l’Ukraine étant des marchés touristiques clés.

L’autoritarisme de l’État n’est pas nouveau au Sri Lanka, comme le savent bien les minorités tamoules et musulmanes. Ces groupes ont été confrontés à d’horribles violences avant, pendant et après la guerre civile qui s’est déroulée entre 1983 et 2009.

Le déploiement des forces de sécurité est un développement rapide dans la crise récente, mais la militarisation est un pilier central de la gouvernance sri-lankaise depuis des années.

Le ministère de la Défense a reçu 12,3 % du total des dépenses publiques estimées en 2022, soit la plus grande allocation pour un ministère dans le budget. Et ce, malgré la fin de la guerre civile, il y a 13 ans.

La population tamoule du Nord et de l’Est de l’île est la plus touchée par cette militarisation, qui empiète sur sa vie quotidienne. L’armée contrôle la vie civile, des écoles aux activités récréatives et religieuses. Dans le nord et l’est, on estime qu’il y a un militaire pour six civils. Ces mêmes militaires ont massacré des dizaines de milliers de Tamouls pendant la guerre, entraînant un génocide. Les Nations unies continuent de réclamer des enquêtes sur les violations du droit international humanitaire et des droits humains ainsi que sur les crimes internationaux.

Pas moins de 115 parents tamouls sont morts depuis la fin de la guerre civile, sans savoir où se trouvaient leurs proches enlevés par les forces de sécurité sri-lankaises vers la fin de la guerre. Une femme de 75 ans, Thangarasa Selvarani, a protesté sur le bord de la route pendant cinq ans au sujet de son fils qui avait été enlevé ; elle est récemment décédée sans savoir ce qui était arrivé à son enfant.

Le Premier ministre, Mahinda Rajapaksa, a démissionné le 9 mai en raison de l’escalade de la violence dans le pays. Des manifestants se sont rassemblés dans le port de Trinquemalay après que des informations non confirmées aient indiqué qu’il s’y était rendu avec sa famille après avoir fui sa résidence de Colombo.

Les manifestations antigouvernementales se poursuivront sur l’île, tant que le président Gotabaya Rajapaksa campera sur ses positions et que les politiciens se réfugieront dans des abris sécurisés pour éviter le public. Jusqu’à présent, le président refuse de démissionner et cherche plutôt à nommer un nouveau cabinet. Un nouveau cabinet ne résoudra pas les problèmes et la répression croissante à l’encontre des civils ne fera qu’éroder encore davantage la confiance dans ce gouvernement.

Cet article a été traduit de l'anglais par Charles Katsidonis